Minuit et Henri Causse, héraut du livre et de la librairie
Henri Causse, directeur commercial des éditions Minuit et figure centrale du monde du livre, nous a quittés. Il fut l'un des artisans du prix unique du livre et membre fondateur de l'ADELC, l'Association pour le Développement Économique de la Librairie de Création, qui oeuvre infatigablement au développement et au rayonnement du secteur.
-
J'étais plutôt son genre, et elle m'avait dans la peau. Mais pourquoi me demander ça à moi ? Parce que j'étais disponible, malgré mes ennuis ? Parce que j'habitais juste en face, et que Miko, son mari, qui m'invitait souvent à la pêche à la mouche, n'y verrait que du feu ?
Je lui ai demandé si c'était parce qu'elle n'avait pas d'autre solution ? Véritablement, Sally ne savait pas dans quoi elle s'embarquait en ma compagnie. -
Paris, musée du XXIe siècle. Le dix-huitième arrondissement
Thomas Clerc
- Minuit
- 29 August 2024
- 9782707355379
Le 18e arrondissement compte 425 rues, squares, places, avenues, cités, jardins, villas, boulevards, impasses et passages que Thomas Clerc a entrepris d'arpenter depuis qu'il y a emménagé récemment. Description totale, née de ses déambulations, dérives et notations, ce livre n'omet rien de ce que la ville laisse voir, entendre et ressentir.
De Montmartre aux abords du périphérique, des habitants de ses quartiers aux touristes égarés, des cafés aux dark stores, de la nuit au jour, l'ancien faubourg de Paris, insurgé sous la Commune, ne cesse de changer d'apparence, quand ce n'est l'auteur lui-même qui le refaçonne au gré de son périple. Le 18e se déroule comme une toile géante où chaque rue est un tableau vivant. -
Dans un menu enfant, on trouve un burger bien emballé, des frites, une boisson, des sauces, un jouet, le rêve. Et puis, quelques années plus tard, on prépare les commandes au drive, on passe le chiffon sur les tables, on obéit aux manageurs : on travaille au fastfood.
En deux récits alternés, la narratrice d'En salle raconte cet écart. D'un côté, une enfance marquée par la figure d'un père ouvrier. De l'autre, ses vingt ans dans un fastfood, où elle rencontre la répétition des gestes, le corps mis à l'épreuve, le vide, l'aliénation.
« Le monde du travail [...] constitue le motif et la matière de ce beau premier roman, d'une intensité maîtrisée, fermement contenue par une écriture d'une âpre et résolue précision. » (Nathalie Crom, Télérama)
« Ce qui fait la valeur d'En salle est son rythme, sa précision, sa colère rentrée, son humour et sa rigueur dans les situations, les portraits, les dialogues : une attention sauvage, portée par le langage. » (Philippe Lançon, Libération)
Ce premier roman a paru à la rentrée littéraire 2022 et a recu le Prix François Mauriac.
« Quel admirable roman. » (Virginie Bloch-Lainé, Elle) -
« Imaginez l'espace d'un film de Cocteau quand les personnages remontent le temps et se déplacent au ralenti, à cause de la force du vent. C'est dans un tel univers visuel que l'auteur de ce livre, devenu personnage à son tour, va et vient. Le lieu imaginé cependant n'a pas pour référence l'antiquité et les vieux murs mais le San Francisco moderne. C'est un San Francisco rendu utopique par la projection systématique d'un nulle part qui est soit l'enfer, soit les limbes, soit le paradis. Dans l'enfer souffle le vent et il est difficile d'avancer. Dans le paradis on tombe sans crier gare. Quant aux limbes c'est là où on va boire un coup. On, c'est-à-dire Wittig et Manastabal, un guide qui est loin d'avoir la douceur du Virgile de Dante, protagonistes d'un opéra des gueuses à la fois féroce et gai et qui comme la comédie de Dante finit bien. Il y a une providence, il y a des anges en chair et en os, il y a des monstres, il y a l'Achéron, il y a les horreurs de l'enfer et les délices du paradis. »
M. W.
La quatrième roman de Monique Wittig a paru initialement en 1985. -
En 1979, Monique Wittig figure en une image toute guérillère la portée de son projet : entrer par effraction « dans l'arène ennemie » pour faire sauter les formes, concepts et catégories qui font de l'hétérosexualité le seul contrat social possible.
Ce volume inédit réunit la riche production de textes, articles et entretiens qu'elle a signés entre 1966 et 1999 - devenus au fil du temps introuvables. Écrits ou publiés en français, anglais, néerlandais, portugais ou allemand, ils constituent autant d'entrées dans l'arène ennemie, toujours fracassantes par leur pouvoir immédiat de mise en cause de nos mythologies modernes.
Édition établie par Sara Garbagnoli et Théo Mantion. -
Les faits d'affects sont à valences multiples. Ils méritent donc d'être interrogés dans le pourquoi de leurs motifs souvent inconscients, dans le comment de leurs manifestations gestuelles et, tout aussi bien, dans le pour quoi de leurs destins éthiques et politiques. Car tout cela fonctionne ensemble dans chaque moment de l'histoire.
Ce volume, comme le précédent, s'autorise à vagabonder entre des analyses de cas singuliers très divers, mais pour voir s'y dessiner une configuration particulière bien que, malheureusement, très puissante et répandue. Les faits d'affects y sont réglés selon une disjonction : « fronts contre fronts », en quelque sorte. On entre là dans le vaste domaine d'une anthropologie politique des sensibilités et, notamment, de ce que Svetlana Alexievitch nommait les « documents-sentiments » relatifs à l'expérience des femmes russes enrôlées dans les combats de la Seconde Guerre mondiale. Comment, alors, ne pas s'interroger, en amont sur la « fabrique des émotions » dans le cadre propagandiste nazi, en aval sur la notion économique de « promotion » capitaliste ? Comment, au fil de ce parcours, ne pas revenir à la notion - toujours à revisiter, de Hegel à Marx et de Freud à l'anthropologie contemporaine - du fétichisme, là où justement les relations des sujets aux objets prennent un tour réifié, aliéné, mortifère ?
La disjonction affective ne caractériserait-elle pas, pour finir, ce « malaise dans la culture » duquel nous peinons à nous extraire dans un monde où notre liberté dans le « partage du sensible » se heurte constamment à une sorte de loi du marché affectif ? -
Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants
Charlotte Delbo
- Minuit
- 7 March 2024
- 9782707355072
De son retour des camps à sa disparition en 1985, Charlotte Delbo ne cesse d'écrire des poèmes, qu'elle compile dans des cahiers et insère dans la plupart de ses livres.
Ce volume rassemble pour la première fois ses poèmes complets, suivis de dix inédits et un entretien.
« Les poètes voient au-delà des choses. » (C. D.) -
Ce livre, j'ai choisi de l'appeler Vivarium. Mais qu'est le vivarium ici ? Cette série de fragments qui se voudraient abris vitrés pour la mouvante pensée ? Ou bien la vie elle-même qui nous enveloppe et nous prête, comme le biotope de l'animal, un milieu où tenir ? C'est là en tout cas que j'ai résidé un temps, au creux de cette indistinction, dans les échanges incessants du vivant et du nommé, où l'on découvre quelquefois, à la lisière de toutes les choses, de fugaces résolutions, précipités de langage qui semblent, plus qu'à l'ordinaire, faire scintiller le cristal de l'expérience. Or dans l'expérience il y a de tout : des villes et des fleuves, des souvenirs et des questions, des fleurs et des livres, du vent et des lignes d'horizon.
-
Un couple au bord de la séparation s'offre un séjour en Sicile pour se réconcilier.
À quelques kilomètres de l'aéroport, sur un chemin de terre, leur voiture de location percute un objet non identifié. Le lendemain, ils décident de chercher un garage à Taormine pour réparer discrètement les dégâts.
Une très mauvaise idée.
« On pourrait continuer à se régaler des petites choses par lesquelles le romancier avance en peignant, impitoyable et tendre à la fois, la nature humaine, mais ce serait oublier que Ravey, si minutieux soit-il, convoque toujours d'une manière ou d'une autre l'état du monde. Son comique rentré est pénétré des plus graves questions. Taormine en est une démonstration concentrée. » (Valérie Marin La Meslée, Le Point) -
« Je voulais raconter ça, l'histoire d'une famille de pasteurs qui perd la mémoire. Traiter d'un drame, avec le plus de lumière possible. » (E. D. v. T.)
-
Ma voix avait change. Des poils duveteux dessinaient sous mon nez les premices d'une moustache et de rebutants boutons me mangeaient le visage. Depuis le début de l'année, on se moquait de moi au college Irene-Joliot-Curie.
Ma mere, elle, ne me supportait plus. Elle se méfiait, même, et m'avait à l'oeil après ce qui s'était passé dans le vestaire du gymnase. J'avais intérêt à bien me comporter durant le week-end chez mes grands-parents.
Pour être honnête, je la comprenais. Mes camarades et elle avaient raison. Avec l'arrivee de la puberte, j'etais en train de devenir un monstre. -
Cinq hommes sont partis à la guerre, une femme attend le retour de deux d'entre eux. Reste à savoir s'ils vont revenir. Quand. Et dans quel état.
« On ignorait, au terme du triptyque remarquable des "vies imaginaires" qu'il a composé autour de Maurice Ravel (Ravel), d'Emil Zátopek (Courir) et de l'ingénieur Nikola Tesla (Des éclairs), vers où s'avancerait Jean Echenoz. [...] Refusant l'emphase tragique, mais imprégné d'un indicible chagrin, un fatalisme énoncé à mi-voix, 14 est, à cette interrogation, l'admirable réponse. Une méditation sur la destinée de l'individu, celle aussi des générations. Portée par une phrase qui atteint aujourd'hui sa perfection. Maîtrisée, renversante, superbe jusque dans ses feints relâchements, ses moments d'apparente et grisante désinvolture. » (Nathalie Crom, Télérama)
Suivi de Jean Echenoz, rescapé de la Grande Guerre par Bernard Pivot et d'un entretien avec Jean Echenoz par Eléonore Sulser. -
On ne cesse d'affirmer, depuis l'Antiquité et plus encore depuis Freud, qu'OEdipe aurait tué son père. Mais cette accusation ne résiste pas à l'examen. En menant avec rigueur l'enquête sur les circonstances du meurtre et en révélant l'identité de l'assassin, ce livre montre que des pans entiers de notre culture reposent sur une erreur judiciaire.
« Comme les opérations de rectification précédentes, OEdipe n'est pas coupable est drôle, brillant, stimulant et dérangeant. On sait que sous leurs habits provocateurs, les analyses de Pierre Bayard incitent à dépasser les lectures officielles et à penser par soi-même. » (Isabelle Rüf, Le Temps)
« Inutile d'avoir lu Sophocle pour suivre cette nouvelle enquête : notre détective en restitue les sources, (...) et croise enfin les données disponibles avec leurs interprétations successives. Conclusion de cette brillante relecture : OEdipe s'est accusé à tort. Et Pierre Bayard de livrer un ultime coup de théâtre : les pièces de Sophocle cèlent un crime plus grave encore, que Freud n'avait su voir. Le voici révélé pour la première fois. » (Jean-Louis Jeannelle, Le Monde des livres) -
De 1970 à 1987, Gilles Deleuze a donné un cours hebdomadaire à l'université expérimentale de Vincennes, puis de Saint-Denis à partir de 1980. Les huit séances de 1981 retranscrites et annotées dans le présent volume sont entièrement consacrées à la question de la peinture.
Quel rapport la peinture entretient-elle avec la catastrophe, avec le chaos ? Comment conjurer la grisaille et aborder la couleur ? Qu'est-ce qu'une ligne sans contour ? Qu'est-ce qu'un plan, un espace optique pur, un régime de couleur ?...
Cézanne, Van Gogh, Michel-Ange, Turner, Klee, Pollock, Mondrian, Bacon, Delacroix, Gauguin ou le Caravage sont pour Deleuze l'occasion de convoquer des concepts philosophiques importants : diagramme, code, digital et analogique, modulation. Avec ses étudiants, il renouvelle ces concepts qui bouleversent notre compréhension de l'activité créatrice des peintres. Concrète et joyeuse, la pensée de Deleuze est ici saisie au plus près de son mouvement propre. -
Il est impossible de croire sérieusement, comme les deux héros du célèbre film d'Hitchcock Fenêtre sur cour, que leur voisin aurait tué sa femme, puis l'aurait découpée en morceaux devant les fenêtres ouvertes d'une trentaine d'appartements.
Mais leur délire d'interprétation n'a pas pour seule conséquence de conduire à accuser un innocent. Il détourne l'attention d'un autre meurtre - bien réel celui-là - qui est commis devant les spectateurs à leur insu et mérite l'ouverture d'une enquête. -
« Ici, à Paris, au bord du canal, à deux pas du grand palais indien aux fresques colorées, il pense à vous, le fou qui marche, le fou qui sue, le fou qui boit l'eau fraîche de la fontaine d'Aubervilliers, l'eau filtrée par les sables du sous-sol d'Aubervilliers, l'eau vivante, l'eau habitée, froide et fluctuante. Il pense à vous, le fou, à vous qui chantez l'après-midi lumineux dans vos appartements étroits en regardant une fleur du papier peint qui recouvre les vieux murs humides ou bien une fleur épanouie dans un petit vase de zinc vieilli, de verre dépoli ou de porcelaine fine, ou en épluchant un oignon rouge, cet oignon qui fait pleurer vos yeux, vos yeux de chatte ou de renarde, vos jeunes yeux ou vos vieux yeux de chien battu, en allumant des bougies, les sept bougies du chandelier ou les deux bougies flanquant le portrait fané de votre grand-mère qui vous fait un signe depuis le paysage enneigé d'un lointain passé. Et ce fou vous écrit qu'il faut peut-être changer de terre, de globe, de famille ou de pays. Il vous aime tant tous les trois, tous les dix-sept, tous les milliards, comme féerie indispensable au bon cours des choses, comme fantôme bienveillant. »
-
Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s'embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que Malusci et cette femme s'aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas convient, puisque s'aimer cela peut être mille choses, même coucher simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la fulgurance d'un désir éphémère, l'éclair d'un plaisir suraigu, dont tout indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui.
-
Je voulais que ce livre traite autant des ouvertures que des fins de partie, je voulais que ce livre me raconte, m'invente, me recrée, m'établisse et me prolonge. Je voulais dire ma jeunesse et mon adolescence dans ce livre, je voulais débobiner, depuis ses origines, mes relations avec le jeu d'échecs, je voulais faire du jeu d'échecs le fil d'Ariane de ce livre et remonter ce fil jusqu'aux temps les plus reculés de mon enfance, je voulais qu'il y ait soixante-quatre chapitres dans ce livre, comme les soixante-quatre cases d'un échiquier.
J.-P. T. -
« Tellement proches. On est si proches - tellement rapprochés qu'on peut plus respirer - j'étouffe - on étouffe à force d'être si proches. »
Proches sera créée le 12 septembre 2023 à La Colline à Paris dans une mise en scène de l'auteur. Du 12 septembre au 8 octobre 2023 à La Colline puis en tournée au printemps 2024 et à l'automne 2024 (Aix-en-Provence, Cherbourg, Toulouse, Colmar, Grenoble...). -
« - Une dernière chose, je ne jouerai qu'une seule partie. Veuillez prévenir ces messieurs à l'avance pour que cela ne paraisse pas discourtois après coup. Cette partie doit solder les comptes, et rien d'autre. Un trait final, pas un nouveau départ. »
Connue, en France, sous le titre Le Joueur d'échecs, la Schachnovelle est le dernier texte qu'ait écrit Stefan Zweig avant de se donner la mort à Petrópolis en 1942.
Jean-Philippe Toussaint a réalisé cette nouvelle traduction pendant l'écriture de son dernier livre, L'Échiquier, qui paraît simultanément aux Éditions de Minuit.