Les essais rassemblés dans cet ouvrage balisent et condensent une vingtaine d'années d'enquêtes ethnologiques, de réflexions et de lectures au cours desquelles Alban Bensa, spécialiste du monde kanak, propose une approche novatrice de la différence qui le conduit à concevoir véritablement, loin de la fossilisation des cultures, la fin de l'exotisme d'antan.
En se situant toujours au plus près des gens, de leurs paroles et de leurs actions, ces seize textes précis et respectueux des variations régionales entendent rompre avec les considérations générales et globales qui escamotent le plus souvent le "grain" si particulier de la culture kanak. En retour, loin de tout exotisme et de tout passéisme, ce livre propose des outils d'investigation et d'analyse novateurs, pour aborder l'une des civilisations les plus originales et les plus toniques que la France ait eues à connaître.
Alban Bensa, né en 1948, a fait ses études d'ethnologie à Paris. Il consacre ses premières recherches de terrain aux cultes populaires du Perche - matière d'une thèse de 3e cycle, soutenue en 1975 à la Sorbonne, et dont le présent ouvrage est une version remaniée. Puis, il effectue - pour le CNRS - plusieurs missions en Nouvelle-Calédonie.
Actuellement, assistant en ethnologie à l'UER de sciences sociales (Université de Paris V), il partage son temps entre l'enseignement et l'analyse de ses matériaux.
Peut-on exister collectivement sans une histoire à présenter et à transmettre ? Chaque commune française n'a-t-elle pas des édifices, des objets, des vestiges à exposer et, au moins, un passé à raconter ? Évident ou discret, troué de lacunes et d'oublis, tiraillé entre l'archive et la légende, le récit historique fonde, dans nos sociétés, les identités dans le temps. Il a ses érudits, ses thèmes de prédilection et ses formes d'expression. Par l'intermédiaire de l'école, la Nation et la République ont longtemps délimité les horizons et posé les grands repères qui permettaient d'inscrire la localité dans leur "grand récit". Aujourd'hui, le paysage de l'histoire ordinaire se métamorphose sous nos yeux. D'autres acteurs la racontent d'autres pouvoirs la suscitent. Ils la donnent moins à lire qu'à voir, à toucher, à ressentir. Et puis, surtout, la référence spectaculaire au passé énonce d'autres façons de fonder et de partager un même lieu en produisant son sens. Ce livre explore ces nouveaux rapports à l'histoire. En nous conduisant du Larzac à la Creuse, du vignoble languedocien aux anciens sites industriels lorrains et stéphanois, de Martigues à Montpellier des ethnologues nous découvrent à quel point notre modernité a partout relancé deux débats cruciaux : qui a autorité pour représenter l'histoire ? Que faire ensemble de ces figures, de ces récits ?
Conrad et Stevenson nous en apprennent-ils moins sur les tropiques que Malinowski, et Chateaubriand ou Proust que Lévi-Strauss sur l'homme en société ? Pourquoi les écrivains (les grands) disent-ils mieux le monde que les anthropologues patentés ?
Dans ce livre impertinent, douze spécialistes de l'enquête en science sociale se plongent dans les expériences vécues où s'enracinent quelques grands textes littéraires : Montaigne, Lamartine, Pouchkine, George Sand, Nerval, Flaubert, Rimbaud, Kipling, Virginia Woolf, Céline, Montherlant, Camus sont ici successivement sollicités.
Si l'ethnographe n'existe que par l'enquête de terrain, les écrivains s'y astreignent tout autant. Leur matériau collecté et son élaboration jusqu'à la fiction est ici épluché de près. Avertissement cuisant : cette archéologie met au jour une relation tangible aux mondes arpentés. Une dimension sociale et humaine que la prose anthropologique escamote trop souvent sous les conventions narratives et conceptuelles. Salubre retour au terrain en ces temps de tout textuel.