Un récit autobiographique ? Un roman grammatical ? Un témoignage sur l'ancien Tanger, d'avant 1956 ? Une chronique des années 40 et 50 ? Tout cela à la fois ?... Je n'ai pas pensé à ces catégories en l'écrivant.
Depuis 2006 (Terrasse à la Kasbah), j'ai raconté cette histoire, avec ses anecdotes, ses digressions, ses raccourcis, ses hésitations, ses apories, ses répétitions, ses contradictions, ses retours en arrière... Sans me soucier de savoir où cela mènerait ; mon parcours s'est imposé ainsi au fur et à mesure de l'écriture.
Maintenant que j'ai terminé, je regarde Une Grammaire de Tanger comme une vraie fiction, avec ses personnages et son narrateur, le petit Jule, écolier rétif aux prises avec la grammaire. Mais y a-t-il seulement lieu de différencier fiction et non fiction, puisque, dans un cas comme dans l'autre, ce sont les mêmes mots, les mêmes règles fixes qui sont à l'oeuvre ?
Né à Cannes en 1940, Emmanuel Hocquard a créé la maison d'édition Orange Export, avec Raquel en 1973. Cette structure disparaît en 1986. Il a également dirigé le département de littérature contemporaine à l'A.R.C. (Musée d'Art Moderne de la ville de Paris) de 1977 à 1991, puis fondé en 1989 'Un bureau sur l'Atlantique', une association destinée à favoriser une meilleure connaissance de la poésie américaine contemporaine.
Emmanuel Hocquard est en France le tenant le plus représentatif de ce que l'on peut définir comme la 'modernité négative'. Se réclamant des objectivistes américains (Charles Reznikoff ou George Oppen), il s'attache en effet à rompre avec le lyrisme pour privilégier des formes minimalistes et descriptives. Le poète selon Emmanuel Hocquard est un 'guetteur involontaire de notre quotidien, et qui en retient ce qu'il veut en retenir. Il s'agit alors de parvenir à une sorte d'écriture tabulaire, de l'ordre de la photographie, d'où serait exclu tout attirail métaphorique, c'est-à-dire toute pseudo-profondeur, et qui néanmoins s'imposerait au regard, à l'oreille et à la sensibilité même comme "poétique", à cause de son agencement, sa grammaire et sa focale.'
Les sept élégies rassemblées dans ce volume de Poésie/Gallimard ont été écrites de 1969 à 1989. Durant ces vingt années, elles ont accompagné et ponctué le travail d'écriture d'Emmanuel Hocquard, en prose comme en vers. Les élégies n'ont évidemment pas pour fonction d'éclairer le lecteur sur un passé individuel mais, au contraire, de le faire assister à un arrachement du biographique, c'est-à-dire du culturel, et de ce qui nourrit, au départ, tout écriture lyrique : le narcissisme, les états d'âme, la douleur, l'amour, les souvenirs, les soupirs et les regrets.
Emmanuel Hocquard enseigne régulièrement à l'École des Beaux-Arts de Bordeaux entre 1993 et 2005. Il y donne des « leçons de grammaire » dans un atelier de recherche et de création intitulé d'abord Langage & Écriture puis Procédure, Image, Son, Écriture (P.I.S.E.) en 1999. À partir de 1998, un ou plusieurs volumes photocopiés réunissent chaque année les textes qu'il élabore ou agence en vue de ces cours (à côté de textes d'autres enseignants, de travaux et de correspondances des étudiants, d'extraits de livres et de journaux, de reproductions iconographiques). Ces conducteurs écrits pour les interventions, ces lettres aux étudiants (individuelles et partagées ou collectives), ces textes de création... vont reprendre, développer, réarticuler les notions et les concepts que l'on trouve dans les livres d'Emmanuel Hocquard ; le tout traversé de citations et d'extraits, d'anecdotes, de points de grammaire, de récits personnels... L'ensemble qui s'est constitué là, dont les pièces se sont peu à peu ajoutées mais aussi dupliquées et réagencées sur plusieurs années, dessine une forme entre théorie et approche pragmatique de l'écriture ; une forme en mouvement qui relève à la fois d'une poétique et d'une éthique. C'est cette forme que nous avons tenté de saisir, dans ce livre.
Ce livre est tout à la fois un recueil de poèmes, des sonnets, une déclaration d'amour, un livre de grammaire et un essai philosophique. Pour Emmanuel Hocquard la poésie ne saurait se contenter d'être belle, agréable et sensible. D'autres choses s'y jouent autrement plus cruciales comme le devenir de la langue et de la pensée, notre perception. Et tout est matière à nourrir cette réflexion active, cette réflexion dont les avancées coïncident parfaitement avec le texte qui les énonce.
Trois personnages ont pris la mer pour une journée dans le détroit. Le quatrième est resté à terre.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Un recueil d'impressions-lettres poétiques publié en 1981 par Emmanuel Hocquard, co-fondateur de l'École de Symi, directeur de la section poésie / littérature de l'ARC entre 1977 et 1990.
" Tu es belle. Tu italique.
Vois ceci sans rapport avec le temps présent, ni les gens que nous connaissons. Tu es l'ombre. Lieu décrit en retrait du jour.
Le travail élégiaque est figure de ce retrait. Figure de (ta) beauté distraite du jour et du lieu. Comme une ville dans les terres. Dans la terre.
(L'éclat de Bruges décliner avec l'ensablement du port. Abandonnée des navires marchands, la ville se refermer sur ses murs, noyée au-dedans, loin de la mer et de l'histoire. Même les oiseaux marins).
Tu : le travail élégiaque est ce retrait en pure perte. Perte de langue, temps et sens commun.
Mais tu. Mais cette vocation obscure sans profération. Disant ce mouvement de retrait, moi invoqué, me vois-ci en recherche de ce qui reste à avoir eu lieu. Pas de souvenirs, mais une rumeur autour des images, les circonstances d'une défaite.
Le travail élégiaque, ce reflux de langue dans l'inaccompli. Une description de l'absence. Ou tel silence à défaut. L'ébranlement de ce silence au corps de la langue, si la langue. Tu.
Le lieu que fondent ces lignes découper un carré dans le ciel. Par cette ouverture mes pensées tendrement vers toi. "
E.H.