La deuxième épée est le récit d'une expédition vengeresse en solitaire, longuement mûrie mais toujours retenue. Tout au long d'une journée et jusqu'au lendemain matin, nous suivons à travers "l'Île-de-France, pays en soi, île-pays", en passant par Port-Royal-des-Champs, un homme dans ses préparatifs de meurtre vers l'endroit où aura lieu la vengeance de sa mère insultée publiquement par une autre femme.
"Meurtrier je me sentais et me savais né... mais nullement vengeur."
Sur le chemin, tout est possibilité de diversions, de bifurcations mais aussi de "Zeitnot", la sensation d'urgence... elle surgissait sans cause, par derrière. En général, elle ne faisait que m'effleurer, pour me libérer aussitôt, chassée comme sorcière par la contre-magie de la raison."
Toute la vie par les chemins interdits. Et maintenant dans la vallée de la mort. Hors la loi. Contre la loi. Et que cela me semblait juste !"
Mais y arrivera-t-il ?
"Et soudain la boule roula, les billes roulèrent - dans une tout autre direction que celle envisagée au début de cette histoire."
Ce nouveau récit de Peter Handke condense la force littéraire de l'écrivain autrichien. Par une attention exceptionnelle portée aux détails du monde réel, La deuxième épée déploie une poétique de l'instant et offre une lecture qui suspend le temps.
"Sans raison", sous le coup d'une illumination qu'elle n'expliquera pas, la femme de ce récit demande à son mari de s'en aller, de la laisser seule avec son fils de huit ans. La voici, désormais, 'libre', bien que le mot, trop grand, trop précis, ne soit pas prononcé, ni pensé peut-être. Avec la simplicité déroutante que nous lui connaissons, Peter Handke impose puissamment à l'enchaînement des faits et gestes insignifiants de la vie quotidienne une dimension universelle et tragique.
Le narrateur, séparé de sa femme, vit seul avec son jeune enfant, en Allemagne d'abord, puis à Paris où ont lieu les premiers contacts avec l'école et la "langue étrangère". Pour eux, la vie quotidienne, nourrie d'aspiration au bonheur et de violence contenue, s'avère être, par tâtonnements, un long apprentissage réciproque. Elle prend pourtant figure d'épopée sous la plume tendre et grave de Peter Handke, qui décrit ici ce que l'on élude habituellement : de menus faits, certes, mais d'une exceptionnelle grandeur.
"Ce qui est raconté ici, c'est l'histoire fondatrice de la vie individuelle, ce qui donne son sens aux choses car cette histoire d'enfant est engagée au plus profond de l'histoire, non seulement de l'homme qui la raconte, mais de notre époque tout entière."
Georges-Arthur Goldschmidt.
Voici le grand livre de Peter Handke.
L'auteur y emprunte, comme déjà dans plusieurs ouvrages précédents, le masque d'un narrateur qui lui ressemble : Georg Keuschnig, écrivain autrichien habitant près de Paris, qui évoque ici une année de sa vie dans une banlieue tranquille en lisière de forêt. La baie de Personne n'est autre que cette niche écologique, microcosme ouvert en fait sur le monde entier par le jeu du souvenir, de l'attente et des amitiés.
Somptueusement écrit, ce récit poétique d'une aventure intérieure à la fois solitaire et unanimiste confirme magistralement la place de Peter Handke parmi les grands écrivains de ce siècle, comme Rilke, comme Pessoa.
Le pharmacien de Taxham, faubourg de Salzbourg, raconte à l'écrivain-narrateur l'étrange voyage qui l'a mené à l'improviste, à l'aventure, des mois durant, depuis l'Autriche jusqu'en Andalousie. Parti solitaire et muet, il en est revenu éveillé et serein, après un parcours apparemment arbitraire qui fut en somme initiatique.
Jamais le grand écrivain autrichien n'a sans doute mieux allié le romanesque à la poésie.
Depuis son enfance, Alexia aime à voler des fruits dans les jardins, les vergers, les parcs. Au fil des années, cette activité est devenue son identité, sa manière de vivre presque vagabonde dans un monde où elle essaye de trouver peu à peu sa place. Sur les traces de sa mère disparue, elle poursuit ses détours au coeur des terres de Picardie dans un voyage aventureux au cours duquel, comme le dit l'un de ceux qu'elle rencontre, elle apprend sur elle-même : ' Tu reviens d'un combat, tu reviens de la guerre, une double : l'une dans laquelle tu t'es bien battue, et une autre où personne ne peut donner des coups : la guerre avec toi-même. Pour l'heure, à celle-ci aussi, tu as survécu, et les deux guerres t'ont fait t'épanouir. '
Attentif aux lieux, aux trésors cachés de la nature, au quotidien encore peu exploré d'une région, aux turpitudes et aux joies qu'une jeune femme de notre époque peut traverser, Peter Handke exprime dans La voleuse de fruits une vision personnelle et acérée de notre société, doublée d'un hommage à la famille, dans une histoire aussi vaste qu'introspective.
L'action se déroule sur une route départementale, 'le dernier chemin encore libre sur la terre, le dernier non étatisé, non socialisé, non cartographié, non botanisé endroit de la planète'.
C'est là que coexistent le moi épique et le moi dramatique. Tous deux vont rencontrer les 'occupants', arrivant seuls ou à plusieurs et formant la tribu des innocents, ainsi que leur chef, sa femme, et enfin l'inconnue, 'l'espérée, la désirée depuis longtemps'.
Un aubergiste devient le dépositaire de la véritable histoire de Don Juan.
Celui-ci n'est pas un séducteur ; il n'a rien de remarquable. Son pouvoir vient de son regard : il dévoile la vérité des êtres.
Voici que les papillons se posent sur ses mains, que la timide loutre renifle ses orteils, que le corbeau fait tomber à ses pieds un fruit de la passion.
Don Juan se révèle dans la rencontre amoureuse, celle qui suspend le temps, quand présent et éternité se rejoignent. Conscientes de ce que fut jusque-là leur solitude, leur désir enfin libéré, les femmes accourent vers lui, exigeantes et belles...
C'est ainsi que nous rencontrons le vrai Don Juan.
Dans le dernier volet du polyptyque qu'il consacre à l'exploration littéraire de notre quotidien (après Essai sur le Lieu Tranquille, Essai sur la journée réussie, Essai sur le juke-box et Essai sur la fatigue), le grand écrivain autrichien narre la vie d'un ami "fou de champignons" et transforme le coeur des forêts en lieu d'enchantement.
Peter Handke atteint un degré de sensibilité et de précision, une attention au détail qui n'ont que peu d'équivalents dans le paysage littéraire contemporain. Assis à sa table, muni d'un crayon, il mue ses pérégrinations à la périphérie de nos existences urbaines en campagnes d'observation et poursuit rigoureusement le mot juste.
À la recherche du miracle dans le profane, de ces moments d'exaltation intense où les choses simples se révèlent étincelantes, Peter Handke fait émerger l'utopie du plus ténu.
Il est temps de mettre les choses au clair : les lieux tranquilles, tels et tels, ne m'ont pas seulement servi de refuge, d'asile, de cachette, de protection, de retrait, de solitude. Certes ils étaient aussi cela, dès le début. Mais ils étaient, dès le début aussi, quelque chose de fondamentalement différent ; davantage ; bien davantage. Et c'est avant tout ce fondamentalement différent, ce bien davantage qui m'ont poussé à tenter ici, les mettant par écrit, d'y apporter un peu de clarté, parcellaire comme il se doit.
Après Essai sur la fatigue, Essai sur le juke-box et Essai sur la journée réussie, des textes inclassables qui ont contribué à le rendre célèbre, le grand écrivain autrichien poursuit ici son exploration littéraire de notre quotidien, et ce quatrième opus de la série surprend le lecteur autant qu'il le séduit.
"Soudain le ciel était devenu bleu. Il n'était pas seulement bleu, mais bleuissait, et bleuissait. C'était un bleuissement si délicat qu'il vous berçait de la certitude que cette délicatesse ne cesserait jamais. Ce bleu-là faisait resplendir la forêt tout entière. Et en même temps le comédien, poursuivant sa route, voyait dans cette illumination des choses qui l'entouraient la lumière d'un dernier jour, de mon dernier jour [...]"
C'est un coup de tonnerre qui réveilla le comédien, en cette journée qui se terminerait par la Grande Chute. Il s'était endormi chez une femme qu'il retrouverait le soir-même, là-bas, dans la mégalopole. Complices ou bien amants, le duo qu'ils forment est encore bien flou aux yeux du narrateur qui suit pas à pas la préparation de son comédien. Le tournage doit débuter le lendemain, mais il faut déjà quitter la maison, traverser la forêt, puis rejoindre la capitale. Les rencontres les plus étranges se succèdent sans que l'on sache réellement quels personnages existent ou lesquels sont fantasmés.
Peter Handke nous saisit par sa plume unique et nous emporte dans une pérégrination poétique. La société, la politique ou encore la nature conversent à travers cette figure de comédien qui se dirige inexorablement vers la Grande Chute. Annoncé tout au long du récit, cet événement mystérieux et angoissant nous hypnotise jusqu'à la dernière ligne de ce très beau livre.
Un écrivain sort de son silence, en compagnie de quelques-uns de ses amis et disciples. Tous ont été conviés sur la péniche baptisée "La Nuit Morave" qui lui sert de refuge depuis une dizaine d'années, amarrée dans une boucle de la Morava, affluent serbe du Danube. Le maître des lieux les reçoit pour un dîner, puis se lance dans un long monologue mezza voce, ponctué seulement par le coassement des grenouilles sur le fleuve. Devant ses invités tour à tour questionneurs ou narrateurs eux-mêmes, il est question d'une étrange menace, d'une femme dangereuse, d'un colloque sur le bruit en Espagne et d'une réunion de joueurs de guimbarde à Vienne... Et surtout, de solitude, de perte et d'amour.
La Nuit Morave transporte le lecteur dans un territoire imaginaire envoûtant et singulier.
Sans conteste un des livres les plus poétiques et les plus complexes de Peter Handke, il a été salué à sa publication en Allemagne comme un coup de maître du grand écrivain autrichien.
"Sans questions, sans musique ! Je ne connais de belle absence de questions que dans la fatigue... Jadis l'avenir n'était-il pas un continent ? Et la question des questions, en tout cas de mon temps. "Que devons-nous faire ?" Et pourquoi ce continent est-il de nos jours réduit à ton, à mon îlot-questions : "Que dois-je faire moi, moi tout seul ?" Où a disparu notre communauté avec tous ceux qui s'en allaient partout ? N'étions-nous pas jadis tous réunis dans le tremblement, fût-ce celui des nappes en papier dans un jardin d'auberge abandonné, la nuit, à la sortie d'une ville ? "Paresseusement s'effaçait de la corniche du toit la fable d'enfance de l'hirondelle successive" ? Qui pourrait appeler les temps actuels une époque ?"
Une jeune femme, à la tête d'un empire financier, quitte un matin sa grande ville d'Europe du Nord pour rejoindre la Manche, région aride et sauvage rendue illustre par Cervantès. Elle veut y retrouver l'auteur qu'elle a chargé d'écrire sa biographie et qui vit retiré là-bas depuis des années.
Chemin faisant, la "princesse de la finance" s'adresse en pensée à son auteur, l'interroge, prévient ses questions, ses remarques, ses objections. Elle évoque sa fille adolescente, indépendante et fugueuse, son jeune frère, en prison pour terrorisme, et son ancien compagnon, loin d'elle depuis des années. Arrivée enfin dans le "palais de gentilhomme campagnard" où vit l'auteur, elle s'installe au coin du feu pour raconter en détail sa traversée de la Sierra de Gredos. L'auteur n'a plus qu'à écrire le roman de cette femme, l'histoire de la perte de l'image - et de sa redécouverte.
Don Quichotte montrait qu'à l'effondrement du monde médiéval succédait l'effondrement de sa reproduction factice ; de même Handke nous dépeint une société moderne parvenue à la fin d'un cycle, sevrée d'authenticité et totalement inféodée à l'artifice. La tâche de l'écrivain, en cet "entre-temps", consiste à frayer la voie, coûte que coûte, vers des images nouvelles et vraies, pour sauver ce qui peut l'être d'une certaine grâce du monde.
Un homme de la quarantaine, héritier d'une lignée d'émigrés slovènes en Carinthie, "raconte" le voyage qui l'a mené, à vingt ans, sur les traces de son frère disparu en Yougoslavie. De l'Autriche au golfe de Trieste, par les vallées, les tunnels, les voies ferrées et les autocars, cette "montée" au centre du Karst est aussi un voyage initiatique que rythment les images, les barres horizontales et verticales, notamment, de ces anciens parcs et passages à bestiaux préfigurant les stries de l'écriture. Car c'est au fond d'une entrée dans la vie qu'il s'agit, dans la Vie majuscule : d'une éducation scripturale qui permet au narrateur de traverser, au lieu des miroirs, les fenêtres aveugles. De l'exil vers le Royaume, vers l'identité du Récit, de l'Écriture, plus cristalline que jamais.