Une sorte de paresse intellectuelle s'empare de nous dès qu'il s'agit du Nord, que nous nous empressons de reléguer dans des brumes inexpugnables. Pourtant, il appartient au premier chef à notre civilisation occidentale et aura même suscité, avec l'Islande, un phénomène culturel d'une telle qualité que les spécialistes, en mal d'""explication"" satisfaisante parlent de ""miracle islandais"".
En effet, que la poignée d'hommes et de femmes qui se sont installés dans cette île à partir de la fin du IXe siècle pour y édifier une société sans équivalent ailleurs- et notoirement en avance sur son temps-, une législation, une jurisprudence qui confondent l'entendement, et surtout une littérature qui compte parmi les plus beaux fleurons de notre Moyen Age (car elle va bien au delà des sagas), voilà qui devrait suffire à nous convaincre de l'urgence de combler nos lacunes sur ce point: c'est ce à quoi s'emploie le présent volume, qui s'attache autant à divulguer qu'à démythifier. Car après tout, ce sont bien cette culture et cette civilisation-là qui auront sous-tendu le prestigieux phénomène viking.
Régis Boyer a été professeur de langues, littérature et civilisation scandinaves à l'Université Paris-Sorbonne et Directeur de l'Institut d'études scandinaves en la même université. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et traductions qui font autorité. Il dirige aux Belles Lettres la collection « Classiques du Nord ». Il a publié dans la collection « Vérité des Mythes » La mort chez les anciens scandinaves (1994), Deux sagas islandaises légendaires (1996), Les sagas légendaires (1998) et Les sagas miniatures (1999). A paru également aux Belles Lettres en 2013 son Pourquoi faut-il lire les Lettres du Nord ?
L'une des caractéristiques les plus intéressantes du génie scandinave dans sa globalité est l'étonnante faculté qu'ont les Suédois, Danois, Norvégiens et Islandais de conter, raconter - non qu'ils soient en retrait en ce qui concerne les autres genres littéraires, tant s'en faut, mais les émules d'Andersen, la Danoise Karen Blixen, la Suédoise Selma Lagerlöf, l'Islandais Halldor Laxness sont innombrables et tous ont cette voix de conteur attachant qui fait qu'on ne se lasse pas de les entendre. Cela s'explique de maintes façons présentées ici, notamment à partir des célébrissimes sagas islandaises. À juste titre, toutes ces littératures peuvent s'enorgueillir de leur abondante production de contes et légendes populaires.
Le présent ouvrage propose une présentation et une analyse de cet art de conter qui appartient véritablement aux realia, cette manifestation de la vie au quotidien chez ces peuples encore mal connus.
« Divers facteurs sont responsables de la résolution que j'ai prise de consacrer un ouvrage de présentation au Danois Saxo Grammaticus. Trop injustement méconnu parce qu'il a eu l'idée de rédiger son chef-d'oeuvre en latin, et dans un latin particulièrement ardu. Vous me direz qu'il en va de même de son exact contemporain, l'Islandais Snorri Sturluson qui écrivait, lui, en vieil islandais, langue guère plus fréquentable aujourd'hui que le latin classique et qui sort tout juste, lui aussi, du silence et des ténèbres ! En fait, ces deux historiens se sont passionnés pour le passé de leur pays respectif et ils se sont entendus, sans se connaître bien entendu, à le présenter en même temps que la prétendue religion de leurs ancêtres. Oui, il y a beau temps que j'avais envie de consacrer un travail à ce Danois, mais il entrait dans mon plan de vie de « passeur » des lettres du Nord, comme je suis ravi qu'on m'appelle si souvent, de procéder plus systématiquement en proposant d'abord des études théoriques d'ensemble, et seulement ensuite des monographies comme celle-ci. De plus et surtout, afin de sortir de l'ésotérie latine, puisque nous bénéficions à présent d'une remarquable traduction des Gesta Danorum, due à Jean-Pierre Troadec et intitulée La Geste des Danois. »
R.B.