Il est des destins exceptionnels, des vies amoureuses qui pourraient nourrir plusieurs films, des traversées de l'histoire qui laissent pantois et des talents si grands que les événements les plus dévastateurs ne peuvent les étouffer. L'espérance est violente raconte l'un de ces destins, celui de Marina Tsvetaïeva, poétesse écrivain russe née à Moscou en 1892. À vingt ans, cette grande femme aux yeux verts, toujours vêtue de blanc, règne sur les cercles littéraires de la capitale. Mandelstam, Vichniac, Pasternak, Rilke, l'admirent et bientôt l'aimeront. Dix ans plus tard, cette même femme se bat pour survivre, que ce soit à Moscou, à Berlin, à Prague, à Paris ou en Vendée. La Révolution a tout bouleversé, mais l'esprit de Marina est resté libre, aérien, hardi dans un quotidien devenu cauchemar. Elle écrit, s'exile, aime, se bat avec audace et avec une indestructible intégrité.
Pour écrire un livre, une jeune femme, Irmeli, se retire dans une ancienne chartreuse. Elle y découvre un lieu où le temps ne s'écoule pas de la même façon qu'ailleurs. Isolé, le monastère coupe peu à peu Irmeli du reste du monde. Ne pouvant compter que sur elle-même, Irmeli se remémore cependant une amitié avec une vieille femme, Lotte, qu'elle a connue l'année précédente. Un souvenir tendre et très fort, d'autant plus présent que Lotte est morte quelques jours avant le départ d'Irmeli pour la chartreuse. À son corps défendant, Irmeli ne pourra empêcher le réel le plus cru, le plus violent de troubler ce dialogue et cette recherche spirituelle. Il y a le tremblement de terre de Mexico, la coulée de boue de Colombie, les événements du Liban... Et plus directement encore, l'intervention d'un homme - Arnold - qui viendra compromettre la sérénité de la chartreuse. Une arrivée d'autant plus dérangeante qu'Arnold ne fait qu'accroître le sentiment de solitude d'Irmeli...
À une époque qui ne laissait pourtant pas la part belle aux femmes, le destin d'Artemisia Gentileschi (1593-v. 1653) fut aussi brillant que dramatique. Fille d'Orazio Gentileschi, peintre caravagesque, elle est élevée parmi les excentricités d'atelier et les querelles d'école. Lorsque sa mère meurt, elle n'a que douze ans. Son père l'initie très tôt à la peinture. Il confie, à l'un de ses amis, Agostino Tassi, le soin de lui donner des cours de perspective. Ce dernier séduit et viole la jeune fille, qui n'a alors que dix-huit ans. Il en résultera un procès resté dans les annales : l'agresseur fut condamné à un an de prison mais, humiliée, soumise à la question, Artemisia fut, elle, marquée à vie. Les soupçons continueront de peser sur elle, et elle devra sans cesse se battre pour rétablir son honneur. Un mariage plus ou moins heureux, la naissance d'une fille, une carrière réussie, une célébrité internationale, tout cela ne fut pas de trop pour retrouver dignité et renommée. D'une oeuvre forte, réaliste et violente, cette femme-peintre hors du commun sut faire l'étendard de sa revanche.
« Il s'appelait Nathanaël. Mais il portait mal son nom. Nom de douceur, ce ne pouvait être celui de l'homme de cette histoire. Pervers qu'il s'avéra, réducteur de têtes et fils de pute, menteur à la petite semaine à longueur d'année. Assassin, oui, pas même voyou au grand coeur, de ceux qui arrivent au galop entre chien et loup sur leur monture noire, brûlés par la poussière, le vent et la solitude, au moment où l'on s'y attend le moins, entre l'atardecer et l'amanecer du sommeil, qui se saisissent de votre corps blanc, douillet et étourdi et, le sexe à fleur de peau, l'envahissent de leur odeur, le pénètrent avec tout ce qu'ils ont ramassé sur leur route durant les années d'errance, les morceaux de laiton, les attentes déçues, les bouts de ficelle effilochée qui retiennent encore quelque chose, va savoir quoi, la timbale cabossée, les porte-bonheur inventés, les cicatrices, les odeurs mêlées d'autres femmes, la parole qui à force s'étiole à chaque croisement de routes, le sac de voyage usé jusqu'à la corde et le reste, violeurs tendres aux rêves fous. « Et pourtant, il s'appelait Nathanaël. » J'ai décidé d'écrire cette histoire. [...] Elle a été en moi avec ses mots lame de poignard et l'espoir fourreau de velours. Longtemps. Des lambeaux d'elle dans les couches de ma peau, ne sachant plus, peu à peu, où j'étais, moi, si d'aventure je n'étais pas devenue elle, elle que j'avais dans la peau, et rien d'autre. Bon sang, tout s'est mélangé. Et écrire, aujourd'hui, je crois bien que c'est commencer à démêler le tien du mien. »