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Yanick Lahens
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Couchée sur l'herbe dans sa robe bleue, Alice Bienaimé est sous le choc. Son père vient de la gifler. Sans penser à mal, dans l'euphorie d'une fin d'après-midi dansante, elle s'était mise à onduler, comme envahie par la force obscure d'autres rythmes. La transe n'a pas droit de cité dans la stricte éducation donnée à la jeune fille de treize ans par sa famille petite-bourgeoise de Port-au-Prince, qui a fait tant d'efforts pour s'arracher à ses origines paysannes et à son ascendance africaine. Cette scène de 1942 sera fondatrice dans la vie d'Alice, que l'initiation aux danses traditionnelles et au culte vaudou, en cachette de ses parents, a déjà grandement troublée.
Yanick Lahens, dans ce saisissant roman de formation, raconte l'enfance apparemment sans histoire d'une gamine haïtienne que rien ne destinait à sortir du rang pour mener une carrière de danseuse. Même si, toute petite, le mystérieux territoire de la servante, Man Bo, dans l'arrière-cour de la maison, l'attirait bien plus que l'école.
À relire ce premier roman, il est frappant de noter à quel point il est annonciateur des leitmotivs de l'oeuvre à venir : le local y devient universel, grâce au récit de cette très jeune fille désireuse de vivre dans la plénitude de son corps et de ses origines. De même que le personnel devient politique, tant l'enfance de cette gamine insoumise est traversée par les convulsions de l'histoire : la fin de l'occupation américaine en 1932, les massacres de 1937 à la frontière dominicaine, l'espoir révolutionnaire de l'après-guerre, puis le sombre avènement de la dictature des Duvalier tiennent lieu de toile de fond au récit. -
Après trois jours de tempête, un pêcheur découvre, échouée sur la grève, une jeune fille qui semble avoir réchappé à une grande violence. La voix de la naufragée s'élève, qui en appelle à tous les dieux du vaudou et à ses ancêtres, pour tenter de comprendre comment et pourquoi elle s'est retrouvée là. Cette voix expirante viendra scander l'ample roman familial que déploie Yanick Lahens, convoquant les trois générations qui ont précédé la jeune femme afin d'élucider le double mystère de son agression et de son identité.
Les Lafleur ont toujours vécu à Anse Bleue, un village d'Haïti où la terre et les eaux se confondent. Entre eux et les Mésidor, devenus les seigneurs des lieux, les liens sont anciens, et le ressentiment aussi. Il date du temps où les Mésidor ont fait main basse sur toutes les bonnes terres de la région.
Quand, au marché, Tertulien Mésidor s'arrête comme foudroyé devant l'étal d'Olmène (une Lafleur), l'attirance est réciproque. L'histoire de ces deux-là va s'écrire à rebours des idées reçues sur les femmes soumises et les hommes prédateurs.
Mais, dans cette île également balayée par les ouragans politiques, des rumeurs de terreur et de mort ne tardent pas à s'élever. Un voile sombre s'abat pour longtemps sur Anse Bleue.
Pour dire le monde nouveau, celui des fratries déchirées, des déprédations, de l'opportunisme politique, Yanick Lahens s'en remet au choeur immémorial des paysans : eux ne sont pas dupes, qui se fient aux seules puissances souterraines.
Leurs mots puissants, magiques, donnent à ce roman magistral une violente beauté.
Yanick Lahens vit en Haïti. Depuis la parution de La Couleur de l'aube (2008 ; prix RFO 2009), elle porte en elle le grand roman de la terre haïtienne qu'est Bain de lune. Failles (2010) et Guillaume et Nathalie (2013) ont également paru chez Sabine Wespieser éditeur. -
À Port-au-Prince, la violence n'est jamais totale. Elle trouve son pendant dans une « douceur suraiguë », douceur qui submerge Francis, un journaliste français, un soir au Korosòl Resto-Bar, quand s'élève la voix cassée et profonde de la chanteuse, Brune.
Le père de Brune, le juge Berthier, a été assassiné, coupable d'être resté intègre dans la ville où tout s'achète. À l'annonce de la mort de ce père qui lui a appris à « ne jamais souiller son regard », la raison de sa fille a manqué basculer. Six mois après cette disparition, tout son être refuse encore de consentir à la résignation.
Son oncle Pierre n'a pas non plus renoncé à élucider ce crime toujours impuni. Après de longues années passées à l'étranger, où ses parents l'avaient envoyé très jeune - l'homosexualité n'était pas bien vue dans la petite bourgeoisie -, il vit reclus dans sa maison, heureux de rassembler ses amis autour de sa table les samedis.
Aux côtés de Brune et de Pierre ; d'Ézéchiel, le poète prêt à tout pour échapper à son quartier misérable ; de Nerline, militante des droits des femmes ; de Waner, non-violent convaincu ; de Ronny l'Américain, chez lui en Haïti comme dans une seconde patrie, et de Francis, Yanick Lahens nous entraîne dans une intrigue haletante. Au rythme d'une écriture rapide, électrique, syncopée, comme nourrissant sa puissance des entrailles de la ville, elle dévoile peu à peu, avec une bouleversante tendresse, l'intimité de chacun. Tout en douceur, elle les accompagne vers l'inévitable déroute de leur condition d'êtres humains. Russell Banks l'affirme dans sa préface à l'édition américaine de Bain de lune : « Ce qui est indéniablement vrai des personnages de Lahens l'est indéniablement pour chacun d'entre nous. » -
Littérature haïtienne : urgence(s) d'écrire, rêve()s d'habiter
Yanick Lahens
- Collège de France
- 23 October 2019
- 9782722605213
« Dire Haïti et sa littérature autrement, c'est se demander, à travers les mots de ses écrivains et de ses écrivaines, quel éclairage peut apporter aujourd'hui au monde francophone, sinon au monde tout court, l'expérience haïtienne. Comment, à partir d'un fait historique de l'ordre de l'impensable, à savoir une révolution victorieuse, menée dès la fin du xviiie siècle par des hommes et des femmes transplantés d'Afrique en Amérique et réduits en esclavage, se met en place une civilisation dont la littérature sera un élément majeur. Comment, dans l'impasse qui suit cette révolution, ces hommes et ces femmes dépossédés, déplacés, déstabilisés linguistiquement, n'ont pas cessé de dire ou d'écrire un rêve d'habiter, démontrant par là même que la littérature commence souvent là où la parole devient impossible. »
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Tante Résia et les dieux ; nouvelles d'Haïti
Yanick Lahens
- Editions L'Harmattan
- Lettres des Caraïbes
- 9 October 1994
- 9782296290419
Un premier recueil de six nouvelles.