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marie richeux
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Hantée par des rêves de chevaux fous aux prénoms familiers, poursuivie par la question que sa fille pose à tout propos - « Elle est où, la maman ? » -, Marie vit un étrange été, à la croisée des chemins. Quand, sur le socle d'une statue de la Vierge au milieu du causse, elle découvre l'inscription Et à l'heure de notre ultime naissance, elle décide d'en explorer la mystérieuse invitation.
Dès lors, elle tente de démêler l'écheveau de son héritage. En savoir plus sur ses aïeules qui, depuis le mitan du XIXe siècle, ont donné naissance à des petites filles sans être mariées, et ont subsisté souvent grâce à des travaux d'aiguille, devient pour elle une impérieuse nécessité.
Elle interroge ses tantes et sa mère, qui en disent peu ; elle fouille les archives, les tableaux, les textes religieux et adresse, au fil de son enquête, quantité de questions à un réseau de femmes, historiennes, juristes, artistes, que l'on voit se constituer sous nos yeux. Bien au-delà du cercle intime, sa recherche met à jour de puissantes destinées. À partir des vies minuscules de ses ascendantes, et s'attachant aux plus émouvants des détails, Marie imagine et raconte ce qu'ont dû traverser ces « filles-mères », ces « ventres maudits » que la société a malmenés, conspués et mis à l'écart.
À fréquenter tisserandes et couturières, à admirer les trésors humbles de leurs productions, leur courage et leur volonté de vivre, la narratrice découvre qu'il lui suffit de croiser fil de trame et fil de chaîne pour rester ce cheval fou dont elle rêve et être mère à son tour.
Car le motif têtu de ce troublant roman, écrit comme un pudique hommage à une longue et belle généalogie féminine, est bien celui de la liberté, conquise en héritage, de choisir comment tisser la toile de sa propre destinée. -
Tout commence à Alger en 2009, avec l'émotion profonde de Marie au moment où elle découvre « Climat de France », le bâtiment qu'y construisit Fernand Pouillon. La pierre de taille, les perspectives imposantes, elle les connaît intimement : elle a grandi à Meudon-la-Forêt, dans un ensemble bâti par le même architecte.
Mue par le désir de comprendre ce qui mystérieusement relie les deux lieux, elle plonge dans leur passé, et dans celui de leurs habitants. Plusieurs récits s'entrelacent, comme autant de fragments d'une histoire dont elle traque le motif entre l'Algérie et la France : l'arrivée de Fernand Pouillon à Alger en mai 1953, invité à construire mille logements pour la fin de l'année par le maire récemment élu ; le souvenir d'une nuit de 1997 à Meudon-la-Forêt, quand Marie, treize ans, ne parvient pas à s'endormir à cause des chants de deuil résonnant dans la cage d'escalier ; les confidences de son voisin Malek, que ses parents, sentant le vent tourner à Oran, ont envoyé en France en 1956 et qui, devenu chauffeur de taxi, semble avoir échappé à la guerre dont la violence se déployait pourtant dans les rues de Paris.
Ici, comme en écho à l'émotion fondatrice, celle du lecteur naît de la manière dont l'écrivain laisse s'élever les voix de ces hommes et de ces femmes que l'histoire, parfois à leur insu, a traversés et qui, de part et d'autre de la Méditerranée, obstinément et silencieusement ont déroulé leur existence. -
« Comment ne pas oublier ?», dit le père de Marie, évoquant la disparition déjà ancienne de son frère marin. Parce qu'elle révèle l'inverse de ce qu'elle croit dire - la perte inoubliable -, la question éveille le trouble et la curiosité de la narratrice. À propos du naufrage et de la mort de cet oncle Charlot qu'elle n'a pas connu, elle a toujours entendu : « On ne saura jamais. »
C'est que le mystère reste entier sur les circonstances de l'accident de l'Emmanuel Delmas en 1979 au large des côtes italiennes : la brume, une collision avec un autre navire, très peu de survivants, plusieurs versions divergentes. L'énigme et le drame, l'émotion de son cousin Loïc dans la lumière dorée d'un soir d'août, il n'en faut pas davantage à Marie pour partir sur les traces de Charles Richeux, officier radio du navire.
Compilant les articles parus à l'époque, lisant avec avidité les dossiers d'archives, les correspondances, les télégrammes diplomatiques, conversant avec d'anciens capitaines et des veuves de marins, elle nous entraîne dans une passionnante reconstitution de la tragédie. Au fil des conversations et des recherches, c'est un peu de l'histoire bretonne qui affleure, où une modeste exploitation agricole, l'attente des femmes restées à terre et l'importance cruciale d'un petit club de foot tissent un pudique roman familial.
Quand elle interroge les ruses de la mémoire et se rit de sa propre obsession des traces et de l'enregistrement des voix, c'est son autoportrait en femme de radio que nous offre Marie Richeux : l'enregistrement, comme l'écriture, luttant contre l'effacement. Mais, à l'issue de sa quête, ce qui apparaît et donne à ce livre sa vibration toute particulière, c'est la belle évidence d'une littérature comme questionnement.