Pourquoi revenir à Norbert Elias, alors que son oeuvre est désormais canonisée et que le sociologue allemand est inscrit au panthéon des sciences sociales, aux côtés d'Émile Durkheim, de Max Weber, de Talcott Parsons ou de Pierre Bourdieu ? Parce que cette reprise s'impose aujourd'hui comme une nécessité. Celle-ci tient, simultanément, à l'état de la discussion académique actuelle au sein des sciences sociales et à l'état des sociétés politiques dans lesquelles nous vivons. Les deux sont, pour Norbert Elias, inextricablement liés. Ce volume est consacré à l'explicitation de ce nouage auquel sa sociologie apporte une contribution inégalée. Celle-ci ne s'éclaire que si l'on consent à admettre que Norbert Elias effectue le geste sociologique, dans son intégralité, tel qu'il a été conçu et forgé par les fondateurs de la discipline. Et ce geste suppose de replonger les outils conceptuels de la sociologie dans le cadre ample de ce qu'Elias nomme le problème général de l'évolution historique. Trop souvent parcellisée, parfois malmenée, son oeuvre nous offre pourtant des ressources indispensables pour fonder le travail sociologique dans l'objectivité des mécanismes qui travaillent nos sociétés modernes et dans la normativité sociale sous-jacente à l'activité qu'elle génère en s'imposant tel un espace de contraintes et d'opportunités. C'est alors que la sociologie de Norbert Elias se fait politique, science des dynamiques socio-politiques et levier d'émancipation, indissociablement.
L'histoire semble aller de soi. Pourtant, prononcer « l'évidence de l'histoire », c'est aussitôt ouvrir un doute. L'évidence est le fil conducteur de ces pages qui interrogent le statut du récit historique, l'écriture de l'histoire, la figure de l'historien, hier et aujourd'hui, de la Méditerranée antique à la France de la fin du xxe siècle. Depuis Hérodote, l'histoire est devenue une affaire d'oeoeil et de vision. Voir et dire, écrire ce qui s'est passé, le réfléchir comme un miroir : tels ont été quelques-uns des problèmes constituant l'ordinaire de l'historien. Les nombreuses reformulations modernes ont poursuivi ce travail sur la frontière du visible et de l'invisible. Parvenir à la vue réelle des choses, en voyant plus loin et plus profond. Mais, avec la fin du xxe siècle et la domination du présent, cette forte évidence de l'histoire s'est trouvée mise en question. Quel rôle pour l'historien face au « défi narrativiste », à la montée du témoin, à celle du juge, et alors même que mémoire et patrimoine sont devenus des évidences ?
En moins de vingt ans, l'édition en sciences humaines et sociales a été considérablement bouleversée. Tout a été réinventé : le marché du livre s'est transformé, le cadre légal a été radicalement modifié, la publication et la lecture en ligne ont connu un formidable essor, l'écriture même des sciences humaines s'est métamorphosée. Face à ces révolutions intellectuelles, techniques et socioéconomiques d'une ampleur inégalée, en faisant dialoguer éditeurs privés et publics, économistes, documentalistes, libraires, juristes, traducteurs, chercheurs, cet ouvrage collectif offre à celles et ceux qui se préoccupent du destin de l'édition en sciences humaines et sociales un premier bilan, à la fois clair et lucide, des changements survenus depuis le début du XXIe siècle.
Les sciences sociales peuvent-elles décrire la vulnérabilité, l'incertitude, la solitude ? Pour répondre à cette question, Michel Naepels, assumant sa position d'auteur, adopte dans ce livre une approche pragmatique et s'interroge sur le rôle du chercheur et le statut du témoignage qu'il suscite, à partir d'enquêtes menées dans des zones de conflits et de troubles, et de lectures à la fois anthropologiques, philosophiques et littéraires. Au lecteur qui se demande quelle est la place de celui ou celle qui enquête dans des situations de détresse, cet essai propose une anthropologie politique renouvelée de la violence, de la prédation, du capitalisme. Il endosse un point de vue, celui de la vulnérabilité et de l'exposition à la violence, en prêtant attention aux subjectivités, aux émotions et aux pensées des personnes qui y sont confrontées. Il s'agit d'articuler l'exploitation de l'homme et de la nature avec la construction de soi, de penser dans le sensible, avec la douleur, malgré tout.
L'importance accordée à l'observation de l'action est une tendance marquante des sciences sociales contemporaines. Mais comment observe-t-on ? Que capte l'oeil du sociologue ou de l'anthropologue quand il observe ? En réalité, le regard fait le partage entre ce qui est pertinent et ce qui ne l'est pas ou l'est moins, entre le nécessaire et l'accessoire. Toute observation comporte ainsi un reste, qui mérite cependant que l'on s'y arrête. Dans ce livre publié pour la première fois en 1996 et devenu un classique, Albert Piette interroge les différentes traditions sociologiques ou ethnologiques afin de dégager le principe de pertinence que chacune d'elles met en oeuvre pour séparer l'essentiel du détail. Développant une approche originale, il défend l'idée selon laquelle la réalité sociale se construit dans la tension, variable selon chaque situation et chaque acteur, entre le primordial et le superflu. Ce sont ces écarts, ces restes, qui contribuent à définir les individus dans ce qu'ils ont de proprement humain.
Les sciences sociales, lorsqu'elles oublient leur vocation critique, ne produisent plus que de simples discours idéologiques, ou d'expertise, prompts à conforter la pensée commune. Mais comment définir exactement l'exigence critique à laquelle elles sont tenues ? Et comment la réaffirmer dans le contexte actuel de la recherche ? Onze chercheurs tentent ici d'apporter des réponses en prenant appui sur les enquêtes qu'ils ont menées à propos d'objets très différents. Leurs analyses soulignent combien la pratique des sciences sociales demeure incomplète tant qu'elle refuse de penser ses effets politiques. Mais elles montrent aussi qu'en sciences sociales, la critique se joue tout autant à travers la contribution des chercheurs au débat public que, indissociablement, dans leurs démarches d'enquête, la discussion de leurs travaux et la clarification collective de leurs pratiques.
L'affaire Bomarzo est une histoire de censure : la censure, par la dictature argentine en 1967, d'un opéra d'Alberto Ginastera et Manuel Mujica Lainez, accusé de « référence obsessionnelle au sexe, à la violence et à l'hallucination ». Ainsi, Bomarzo reste å ce jour l'emblème des persécutions idéologiques de la dictature militaire. D'abord soutenue par le général Onganía lors de sa création å Washington, cette oeuvre de musique contemporaine est, quelques mois plus tard, brutalement exclue de la scène musicale de Buenos Aires par ce même régime. Ses auteurs, pourtant plutôt conservateurs, sont rejetés, condamnés, traités de pervers. Aussi haletante qu'un thriller, la chronique de ce scandale nous fait revivre l'ampleur et la complexité du débat suscité par l'interdiction, et interroge le rôle de l'Église et de l'État comme régulateurs des rapports entre l'art et la morale. En observant le comportement des artistes et des intellectuels pendant ces années sombres, Esteban Buch dévoile les engagements et les compromissions de l'ensemble de la société argentine et, plus largement, éclaire les rapports entre musique et politique au xxe siècle.
Le philosophe constitue l'une des figures les plus remarquables de la vie intellectuelle française. De Bergson à Foucault en passant par Sartre, il est l'ambassadeur à l'étranger d'une forme de « francité », paradoxale pour celui qui s'est installé d'emblée dans une perspective universelle. Au cours du xxe siècle, la discipline qui venait couronner l'enseignement secondaire classique a connu à la fois le succès mondial d'un style de pensée et les affres du déclassement institutionnel en France. Ce récit vivant décrit au plus près ce qu'est la philosophie française : une construction conceptuelle, dont toutes les lectures et réceptions sont à prendre en compte, une institution et des pratiques sociales, de la salle de classe à la scène médiatique. Ce livre est aussi un hommage, ironique et quelquefois impertinent, à ceux qui ont fait une bonne part de notre histoire culturelle.
Dans le tumulte provoqué par la controverse sur la légalisation du mariage et de l'adoption pour les couples de même sexe, faire vivre un débat informé et serein est un enjeu démocratique majeur. Les sciences sociales doivent y contribuer. Des juristes, politistes, sociologues et anthropologues répondent ici à l'Union nationale des associations familiales (Unaf), partenaire officiel des pouvoirs publics censé représenter « toutes les familles », et réfutent ses deux grands arguments : non, la nouvelle loi ne suppose ni « effacement » de la différence des sexes dans le couple, ni « mensonge » à l'enfant sur son origine ou sa filiation. Les auteurs ne se bornent pas à défendre le mariage de même sexe et l'homoparentalité. Ils démontrent que le débat change profondément lorsque l'on replace les grandes institutions de la parenté dans le temps long de l'histoire, lorsque l'on cesse de réduire les relations qui fondent la distinction de sexe aux seuls rapports de sexe opposé. L'homoparentalité est ainsi un révélateur exceptionnel des tensions et contradictions de notre droit actuel de l'adoption et surtout de la procréation médicalement assistée, incitant à l'améliorer pour toutes les familles.
Le sexe est-il politique ? Non, répondait-on naguère en France : il relève des moeurs. Le sexe n'est-il donc pas politique ? Si, dit-on au contraire dans les années 2000. La liberté et l'égalité sexuelles seraient les emblèmes de la démocratie. Tel est le renversement qu'analyse cet ouvrage, qui parle des États-Unis, de la France - et de la comparaison transatlantique. Genre et sexualité travaillent nos sociétés, et en même temps sont au travail dans les sciences sociales.
Jacques Le Goff (1924-2014) a été l'un des très grands historiens de son temps. Il a été l'auteur d'une oeuvre immense, consacrée pour l'essentiel à l'histoire du Moyen Âge, qu'il a renouvelée en profondeur. Cet ouvrage en explore les ambitions, les objets et les démarches. Il réunit les contributions présentées à l'occasion d'une journée d'hommage organisée en janvier 2015 par l'École des hautes études en sciences sociales et par la Bibliothèque nationale de France. Aux très nombreux lecteurs de Jacques Le Goff, mais aussi à ses collègues et à leurs étudiants, il permettra de situer l'oeuvre dans le « moment » intellectuel et scientifique des années 1960-1990, de prendre la mesure de son rayonnement international et de rappeler la présence de l'homme public : un homme toujours soucieux de faire connaître les résultats de la recherche à un public élargi, passionné par les médias, mais aussi un citoyen engagé pour les libertés et un défenseur passionné de l'Europe en construction.
La question de l'État, dans les sciences sociales, ne peut se cantonner à étudier les rapports entre l'État et la société. Bien que souvent spontanément présente dans ces disciplines, une telle représentation les condamne de facto à démissionner devant l'État et à adopter des langages étrangers à leur épistémologie. Au mythe de la dissociation de l'État et de la société, les sciences sociales sont obligées d'opposer une autre conception de l'État qui le maintient dans une étroite dépendance de l'ensemble social dont il est un élément de différenciation. État et société ne sauraient par conséquent être considérés comme deux entités de nature équivalente, car l'un est contenu par l'autre. Cela n'empêche pas toutefois de reconnaître à l'État une place prééminente et de concevoir qu'il participe à la reproduction des rapports sociaux de pouvoir. La perspective sociologique donne ainsi à l'État une physionomie particulière. Elle fait porter des exigences fortes sur l'enquête empirique. Elle modifie également profondément le concept de l'État lui-même. Les contributions à ce volume, qui proviennent de la plume de juristes et de politistes, d'anthropologues, de sociologues et de philosophes, ont en commun d'assumer cette perspective dans ses attendus et ses conséquences. Elles jettent ainsi une lumière plus réaliste aussi bien sur la genèse historique de l'État, telle qu'elle procède de l'avènement des sociétés modernes, que sur l'expérience politique que nous faisons, dans la vie sociale telle que nous connaissons aujourd'hui, de l'État et du rôle qu'il y joue comme institution.
Le dossier part sur les traces d'Éros, le joueur divin par excellence, dans le cadre du projet Locus Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity, financé par le Conseil Européen de la Recherche (ERC AdG no 741520). La figure d'un Éros immature, téméraire, taquin, voire cruel et imprévisible, personnifie en Grèce ancienne les rapports intimes qui unissent d'une part l'enfance au jeu, à l'éducation, y compris à l'apprentissage de la maîtrise de soi et à la formation de liens sociaux, d'autre part à la sphère des émotions éveillant le plaisir et par là, un pouvoir séducteur. Une des expressions métaphoriques de sa puissance ambiguë est l'activité ludique qui sert de fil rouge aux sept contributions réunies, du jeu de balle de Nausicaa chez Homère (D. Bouvier) aux poètes élégiaques latins (G. Sissa), à sa mise en images, de l'émergence d'un Éros bambin dans l'iconographie grecque (H. Ammar), à sa représentation dans l'iconographie romaine (V. Dasen et N. Mathieu) et la glyptique (F. Spadini, V. Räuchle, C. Weiss).
Hindouisme, soufisme, islam, cultes aux esprits. Du Pakistan à l'île Maurice en passant par le Népal et l'Inde, les mondes indiens sont souvent associés à des terres de religiosité et de spiritualité définies par leur soi-disant nature religieuse. À rebours de pareille essentialisation, ce volume explore la diversité des territoires du religieux en interrogeant leur articulation avec les lieux saints. Les contributions ici réunies (anthropologiques, géographiques mais aussi historiques et architecturales), combinent les échelles spatiales, du local au transnational, et diverses temporalités pour décrire l'ancrage territorial du religieux et mesurer l'importance de la mémoire collective dans la co-fondation de lieux saints. Parcourir, Mettre en scène, Franchir, résument les axes de réflexion dont le mouvement est l'un des fondements. Le voyage rituel et la migration, l'itinérance ascétique, les pèlerinages et les processions impliquent le franchissement de seuils et de limites. L'exploration de ce type d'interfaces constitue alors l'un des principaux enjeux de l'analyse territoriale des faits religieux. Mais ces interfaces ne sont-elles pas aussi le lieu d'une émergence de formes hybrides de religiosité, voire de réactualisation et de réinvention des rapports des sociétés aux territoires ?
La plupart des recherches reconnaissent à présent que les émotions, loin d'être des impulsions irrationnelles, sont au contraire des médiations cognitives et des appuis pratiques dont aucune action ne saurait se passer. Cette réhabilitation des émotions s'est vue toutefois reprocher son absence d'intérêt pour les sentiments diffus et la résonance parfois indisciplinée des corps. Or, ce sont précisément ces échappées affectives que l'on retrouve de façon particulièrement vive dans les émotions collectives. Ces dernières, sans corps propre, semblent disparaître ou s'évaporer dès que l'on s'en approche de trop près. Comment alors identifier avec certitude les émotions souvent « liquides » ou « gazeuses » qui sous-tendent et animent les conduites publiques ? Et comment les mettre en mots analytiques ? Pendant longtemps, une des façons de résoudre cette question a consisté à associer les émotions collectives aux moments d'effervescence qui leur confèrent une réalité tangible. Mais il y a des manières moins visibles de « partager » les émotions, y compris à distance, notamment par l'intermédiaire des médias ou des réseaux sociaux, qui infléchissent tout autant les comportements. À ces problèmes épistémologiques et méthodologiques s'ajoute un problème ontologique : si l'émotion exige par définition un point d'ancrage corporel et donc singulier, comment peut-elle devenir collective et impersonnelle ? C'est dire si les émotions collectives ravivent certaines questions fondamentales des sciences sociales, notamment celles concernant les liens entre l'expérience individuelle et l'appartenance collective, l'événement éphémère et les sensibilités au long cours, la co-présence des corps et les liens à distance, l'imprévisibilité du ressenti et l'organisation rituelle des conduites. Objet épistémologique et ontologique impossible, l'émotion collective n'en est pas moins un phénomène social que les enquêtes théoriques et empiriques de ce volume tentent, chacune à leur manière, de « sauver ».
L'hétérogénéité profonde des réalités dont les sciences sociales ont à se saisir crée du trouble, mais elle laisse surtout entrevoir de nouvelles lignes de recherche. Ce que nous pointons, ce n'est pas la variabilité qui émerge nécessairement d'une enquête empirique, et qu'un chercheur s'attache en partie à réduire. Ce ne sont pas non plus les interdépendances entre des formes de matérialité non sociales et les objets que les sciences sociales ont placés au coeur de leur investigation (cultures, groupes, institutions, interactions sociales, dispositions). Par hétérogénéité profonde nous entendons cette consistance particulière des objets qui, associant les unes aux autres des entités aux capacités modulables relevant de catégories différentes, parfois au-delà de dualités fortement établies (matière et langage, nature et culture, technique et politique), obligent les chercheurs à imaginer les notions et les méthodes propres à les appréhender. En somme, des objets « composés ». Pointer cette hétérogénéité et s'y affronter a été une préoccupation de Michel Foucault, Gilles Deleuze et Félix Guattari, puis de la théorie de l'acteur-réseau, de la sociologie des régimes d'engagement, et plus récemment de l'anthropologie des agencements globaux. Mais les fronts aujourd'hui se déplacent. Venant de différents horizons de l'anthropologie et de la sociologie, issus des mondes anglophones et francophones, des chercheurs éprouvent le besoin de re-conceptualiser les notions et de redéfinir les enquêtes qui leur sont associées. Trois directions s'en dégagent, autour de trois concepts clefs - agencements, dispositifs, assemblages -, qui forgent un regard inédit sur les lieux où règnent les objets composés : des expériences de la vulnérabilité aux lieux d'énonciation du droit, des laboratoires scientifiques à l'expression des impératifs religieux, des milieux urbains, industriels et agricoles à l'exercice du pouvoir politique. Ainsi émerge un espace de recherches, dont ce numéro met en évidence les choix, les éclairages et les manières de faire.
À défaut de pouvoir expérimenter, le chercheur en sciences sociales construit ses objets : il les collecte, les classe et les compare, comme l'adepte des sciences de la nature, et s'efforce ainsi de transcender la singularité historique et psychologique de ses observations initiales. Mais dans quelle mesure peut-il généraliser à partir d'un ou de plusieurs faits, et en quoi cette généralisation, qui revient à énoncer une loi, équivaut-elle à une règle universelle ? Et s'il cède à la tentation de l'universalisation, ne risque-t-il pas d'oublier le stade du spécifique ? Les textes rassemblés ici reflètent des positionnements radicalement différents, allant du pessimisme à l'optimisme, quant à la possibilité même de généraliser. Or, dans un monde dont le mouvement vers l'entropie semble s'accélérer toujours davantage et dont les archives sont chaque jour plus ouvertes, généraliser demeure plus nécessaire que jamais, fût-ce au risque de l'erreur ou, plutôt, au prix du dépassement perpétuel.
Liévin, 27 décembre 1974, 42 morts. L'une des catastrophes minières les plus meurtrières de l'après-guerre vient de se produire, l'une des dernières aussi. Les vieux mythes du mineur-martyr et de la mine infernale ressurgissent. L'événement n'est pas seulement ce rappel au XIXe siècle, il porte la trace des « années 68 » finissantes ; il donne lieu à des mobilisations d'un nouveau type. Entrent en scène de nouvelles figures appelées à un bel avenir : celles de la victime ou du « petit juge » luttant contre les élites minières. La catastrophe s'inscrit dans ce moment de basculement, entre la fin des « Trente Glorieuses » et l'entrée dans la « crise ». Pour cerner quelques aspects de ce basculement, l'auteur interroge sous l'angle de l'histoire sociale et politique le processus de désindustrialisation ; elle tente de percer à jour cet instant où le mythe ouvrier, autant que la classe ouvrière perdent de leur évidence et où la société industrielle, dans les faits et dans les images qui s'y attachent, amorce une mutation sans précédent.
Depuis la fin du xviiie siècle, l'Europe constitue le théâtre privilégié des passions révolutionnaires. Mais durant la même période, jusqu'aux événements qui marquent le début du xxie siècle, le monde non-européen résonne également d'attentes et de crises révolutionnaires. Comment comprendre les passions révolutionnaires ayant vu le jour hors du continent européen ? Dans quelle mesure ont-elles été conditionnées par les matrices européennes auxquelles elles se référaient ? Ont-elles, à leur tour, donné naissance à des modèles exportables ? À travers le « Tri-continent » - espace latino-américain, moyen-oriental et indien -, les trois auteurs interrogent le fait révolutionnaire dans un dialogue avec le maître-livre de François Furet Le passé d'une illusion, rétrospective sur « l'idée communiste » publiée en 1995 peu après la chute du Mur de Berlin. Nationaliste, religieuse, prolétarienne, internationaliste, anticoloniale, ou simplement libertaire et égalitaire, vécue pacifiquement ou réprimée dans la violence : au-delà de cette diversité de forme, la révolution, son passé comme son avenir, s'avèrent néanmoins un analyseur de nos sociétés.
Faut-il lever l'anonymat des donneurs dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation ? Alors que les premiers enfants nés grâce aux dons sont devenus de jeunes adultes et, pour certains, revendiquent l'accès à leurs origines, comment distinguer les places respectives des protagonistes du don d'engendrement : parents, enfants, donneurs ? L'enfant n'est-il pas le grand oublié de la perspective médicale traditionnelle assimilant don de gamètes et don du sang, au prix de l'effacement d'une partie de son histoire ? D'une plume résolument engagée, Irène Théry propose un regard critique sur le modèle bioéthique français qui a sacralisé l'anonymat du don de gamètes alors que tant de pays démocratiques ont su passer du modèle initial Ni vu ni connu à celui de Responsabilité où le donneur - homme ou femme - cesse d'être perçu comme un spectre menaçant. La panique morale qui semble saisir la société française - corps médical, responsables politiques, religieux - devant une telle évolution révèle les préjugés et les résistances face aux nouvelles représentations de l'identité personnelle et de la filiation, transformées par l'égalité des sexes, le démariage et l'émergence sociale de l'homoparentalité.
Les débats passionnels à propos de l'oeuvre de Pierre Bourdieu et de ses engagements publics ont longtemps limité l'expression d'une critique scrupuleuse de son travail. Alors que ces débats commencent à s'estomper, ce livre propose une analyse du coeur de son projet intellectuel : sa théorie de la pratique. Les textes qu'il réunit examinent l'usage des notions que Bourdieu a introduites dans le lexique de la sociologie et de l'anthropologie et qui en font désormais partie : champ, habitus, capital, réflexivité, familiarité, intérêt, désintéressement, critique, position scolastique. Sociologues, philosophes et linguistes s'attachent ainsi, chacun à leur manière, à rendre compte d'un aspect de la théorie de la pratique de Bourdieu, en ouvrant une réflexion sur sa pertinence et sur les lacunes et contradictions qui ont provoqué sa remise en cause ou son rejet. Ce livre n'est pas un plaidoyer pour ou contre Bourdieu. Il cherche plutôt à présenter une confrontation raisonnée de ses thèses avec celles qui ont été élaborées par les approches qui, depuis une vingtaine d'années maintenant, ont renouvelé l'enquête en sciences sociales, en l'orientant résolument vers l'analyse empirique de la pratique, dont la collection « Raisons pratiques » a été l'un des lieux majeurs de développement en France.
L'expérience humaine est vulnérable. L'erreur y est inévitable. Elle se faufile partout. Si elle est généralement affectée d'une valeur négative - elle est à éviter, à corriger, à réparer -, elle présente aussi un potentiel positif. On apprend de ses erreurs, car les révisions auxquelles conduisent leur découverte et leur examen sont des moments essentiels dans la production du savoir, dans le raisonnement pratique ou dans la détermination des conduites appropriées aux situations. L'étude de l'erreur se développe en grande partie aujourd'hui à partir de travaux de psychologie cognitive, qui traquent les erreurs de raisonnement, les biais cognitifs et la formation de croyances fausses et expliquent causalement ces phénomènes par des mécanismes inconscients ou des inclinations naturelles de l'esprit humain. Le problème est que, pour ce faire, ils doivent présupposer des normes absolues (de vérité ou de rationalité, de raisonnement déductif ou de raisonnement statistique) par rapport auxquelles les erreurs représentent des écarts mesurables. C'est une tout autre approche que propose le présent ouvrage : analyser l'erreur sous l'angle de sa socialité, c'est-à-dire en l'envisageant dans les multiples contextes et dans les dynamiques plurielles où elle se produit, est prévenue, identifiée, relevée, appréciée, attribuée, rejetée, qualifiée, traitée. Des études de cas mettent la thèse de la valeur positive de l'erreur à l'épreuve : elles examinent l'usage de l'erreur aussi bien dans la science que dans l'enseignement de la logique ; dans l'établissement des preuves au tribunal que dans la résolution de problèmes pratiques de la vie courante ; dans la délibération que dans la perception ; dans le diagnostic médical que dans la décision politique.
Les relations des sociétés des pays de l'Est avec leur passé communiste ne sont pas totalement apaisées. Historiens, sociologues, politistes de la nouvelle génération de chercheurs issus de ces pays mettent au jour les astucieux bricolages des gens ordinaires pour contourner les contraintes sociales du communisme, mais aussi l'impuissance des institutions face aux contradictions du régime totalitaire . Il s'agit de saisir comment la dissémination du pouvoir dans les institutions, dans des corps et des esprits dressés à l'obéissance, a laissé une place à des logiques fragmentaires d'improvisation et d'ajustements, et à une culture de la débrouillardise. Dès lors, on peut se demander si l'effondrement du communisme ne commence pas dès son avènement, avec le travail de sape accompli par des instances ou des individus politiquement soumis mais socialement subversifs. Cet ouvrage renouvelle en profondeur les façons de saisir l' histoire sociale et politique du communisme.
De l'informaticien de Bangalore sous contrat en Californie jusqu'aux villageois saisonniers employés sur les chantiers des métropoles, sans omettre les pèlerins en route vers des lieux sacrés, l'Inde n'échappe pas à une forte circulation des personnes. De telles formes de mobilité sont-elles nouvelles ? Seules des visions fixistes de l'Inde du passé conduiraient à une telle interprétation erronée - même si le développement économique a intensifié les mouvements et si l'insertion dans la mondialisation a mis en route d'autres circuits. Les circulations remettent-elles en cause l'ancrage au territoire, particulièrement fort en Inde, depuis l'attachement au village jusqu'à la glorification des frontières nationales ? La réponse se révèle être à nouveau négative, dans la mesure où ces circulations s'appuient sur une territorialité que souvent elles renforcent, plutôt qu'elles ne l'affaiblissent. Ce recueil tend à le confirmer à travers trois thématiques qui illustrent divers déterminants de la circulation : les logiques symboliques et religieuses, les logiques économiques des ménages, et l'ouverture à de nouveaux espaces par les circulations transnationales. Des travaux de recherche originaux en géographie, ethnologie et sociologie le démontrent dans les contributions ici réunies : l'Inde des réseaux n'a rien d'incompatible avec l'Inde des territoires, bien au contraire.