Louise Durand est grand reporter pour un quotidien montréalais. Elle a la sensibilité à fleur de peau d'une femme qui a été témoin de trop de tragédies et la combativité de celle qui doit, pour survivre dans son milieu où la concurrence est féroce, donner plus de coups qu'elle n'en reçoit.
Au cours d'une mission à Kaboul, Louise fait la connaissance de Soraya, jeune Afghane mariée de force à un époux violent qu'elle a fui. Elle habite dans un refuge tenu par Farida, qui se bat pour toutes les victimes de crimes d'honneur. Touchée par le courage des deux femmes, par la détresse de Soraya, Louise promet d'aider celle-ci. Elle lui promet de la soutenir si elle accepte de venir à Montréal, à titre de réfugiée.
C'est à cause de cette promesse que Soraya, pour la première fois de sa vie, quitte son pays, sa culture, pour faire la longue route qui la mènera vers un autre monde, où elle pourra enfin aimer et vivre librement.
« La Promesse » propose une fine réflexion sur la fragilité des idéaux, sur la difficulté de venir en aide aux êtres dont le destin nous émeut, sur l'amitié au féminin.
Artiste au sens fort du terme, Lhasa de Sela a séduit les mélomanes du monde entier avec ses chansons multilingues, son timbre de voix unique, feutré, et sa présence envoûtante sur scène. Elle se permettait tous les mélanges, de la musique gitane aux rancheras mexicaines, du country-folk américain au jazz en passant par la chanson française et les mélodies sud-américaines. Son album La Llorona a profondément marqué les esprits, remportant un extraordinaire succès public et critique. Un BBC World Music Award lui a été décerné pour The Living Road. Elle a succombé à un cancer du sein en 2010 à l'âge de trente-sept ans seulement, après avoir enregistré un dernier album.
Fred Goodman signe la première biographie de cette chanteuse hors norme, lui qui n'a découvert Lhasa de Sela qu'à son décès, constatant à regret qu'elle était inconnue dans son pays d'origine, les États-Unis. Élevée dans une famille hippie voyageant entre les États-Unis et le Mexique dans un autobus scolaire transformé en caravane, Lhasa a été exposée toute son enfance et son adolescence au monde des arts, aux cultures et aux territoires, comme autant de préambules à sa trajectoire singulière de femme et de chanteuse. S'il se montre fasciné et admiratif, Goodman n'est pas pour autant complaisant. Bohémienne, Lhasa n'en était pas moins ambitieuse, exigeante et imprévisible.
L'auteur a rencontré plusieurs musiciens québécois liés à Lhasa comme Bïa, Patrick Watson, Thomas Hellman et, bien sûr, Yves Desrosiers, intimement lié à la production du mythique La Llorona. Montréal, où un parc du quartier Mile End porte son nom, a été un lieu central dans sa vie trop brève. La voix de celle qu'on appelait surtout par son prénom résonne encore dans les rues de Montréal et dans le coeur des Québécois. Il allait de soi qu'une traduction en français de cette biographie étoffée prenne forme dans cette même ville.
Dans le gigantesque massif de prose que nous a laissé (ou légué) Simone de Beauvoir, Yan Hamel, par-delà les histoires de la vie intellectuelle et artistique parisienne, les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d'Algérie, les rappels d'engagements politiques, a préféré faire ressortir les pages que la philosophe a consacrées non pas aux marches revendicatives mais aux randonnées en montagne, turban au vent, escaladant des sentiers escarpés, partant à l'aventure pédestre avec quelques compagnons, constamment téméraire, défiant le danger quand Sartre peinait à la suivre... De toutes les figures du Castor, caricaturales ou admiratives, Yan Hamel - marcheur qui a emprunté les mêmes itinéraires - en offre une fraîche, originale, singulière et drôle, celle de la trekkeuse.
« Chacun est libre d'imaginer Simone de Beauvoir comme il la désire. Des années avant la fatale journée du 14 avril 1986 qui allait l'abandonner aux griffes des vivants, elle était loin de pouvoir imaginer tout ce que nous allions faire d'elle. Les morts, enseigne avec raison la psychanalyse existentielle, sont des moulins dans lesquels on entre au gré de sa fantaisie. Depuis que la bière scellée a rejoint celle de Sartre sous la sobre pierre tombale au cimetière du Montparnasse, le souvenir, lui, ne s'arrête plus : il fuit en spirales d'images grumeleuses qui s'entraînent les unes les autres dans le tout-à-l'égout du régurgité assertif. Il m'aura néanmoins fallu choisir une perspective. Les pages qui suivent redonneront donc vie à Simone de Beauvoir, une femme qui a beaucoup marché. »
Dans le quartier montréalais de Saint-Henri, un peuple d'ouvriers et de petits employés canadiens-français est désespérement en quête de bonheur. Florentine croit avoir trouvé le sien dans l'amour ; Rose-Anna le cherche dans le bien-être de sa famille ; Azarius fuit dans le rêve ; Emmanuel s'enrole ; Jean entreprend son ascension sociale. Chacun, à sa manière, invente sa propre voie de salut et chacun, à sa manière, échoue. Mais leur sort est en même temps celui de million d'autres, non seulement à Montréal mais partout ailleurs, dans un monde en proie à la guerre. Cette nouvelle édition de Bonheur d'occasion présente le texte définitif de l'oeuvre conforme à celui de l'"Édition du centenaire" des OEuvres complètes de Gabrielle Roy
Gabrielle Roy, à partir du souvenir d'un été passé dans une région sauvage du Manitoba, au nord de Winnipeg, un pays situé plus loin que le « fin fond du bout du monde », a imaginé le recommencement de toutes choses : de l'éducation, de la société, de la civilisation même. Ce pays de grande nature et d'eau chantante, elle l'a peuplé de personnages doux et simples, épris à la fois de solitude et de fraternité à l'égard de leurs semblables. Ce roman, le deuxième de Gabrielle Roy, a été publié pour la première fois à Montréal, en 1950, puis à Paris et à New York en 1951.
Connaissez-vous Massasoit, le vieux sage de la nation wampanoag, Jean-Baptiste Faribault et Michel Laframboise, ces aventuriers canadiens-français qui ont bâti l'Ouest américain, ou l'oncle Yvan, revenu de la guerre alors que plus personne ne l'attendait, ou la tante Monique de Santa Monica ? Saviez-vous qu'une vieille Honda était douée de parole, qu'une grande tortue sacrée vivait dans la rue Pie-IX, qu'un camion des années 1950 avait des yeux, et que ces yeux pouvaient parfois être tristes ? Voilà quelques-unes des merveilles que l'on découvre ici. Après «C'était au temps des mammouths laineux» (2012), voici de nouveau une trentaine de petits essais écrits avec cet art qui est la marque unique de Serge Bouchard, le timbre même de sa voix : un art qui est à la fois celui de l'anthropologue, nourri par une attention passionnée aux visages et aux récits inépuisables des humains, et celui du poète, confiant dans les pouvoirs révélateurs de l'imagination et du langage.
Ni pastiches, ni exercices de style, ces histoires sont écrites « sous l'influence » d'autres écrivains : Jean Giono, Colette, Flannery O'Connor, Francis Scott Fitzgerald, Gabriel García Márquez, Anton Tchekhov, Guy de Maupassant, Gabrielle Roy, Michel Tremblay. Participant de l'oeuvre de fiction de Robert Lalonde, tout en poursuivant la voie inaugurée dans Le Monde sur le flanc de la truite et Le Vacarmeur, ces neuf textes constituent autant d'hommages à des auteurs admirés, du « piratage par amour ». Le plus beau dans tout ça, le plus surprenant - j'aurais pu, évidemment, m'y attendre -, c'est que pillant à tour de bras je me suis vu retomber dans les sillons de ma calligraphie à moi, ce fameux timbre «naturel », qui est peut-être fait de bien plus de chants qu'on pense. Chemin faisant - car rien ne saurait arrêter le pilleur ravi ! -, je découvris, avec une joie quasiment surnaturelle, comment travaillait celui-ci, besognait celle-là, bûchait cet autre, virgulait et adjectivait cet autre encore, et crus même apercevoir le paysage qui tremblait dans la fenêtre de l'un, ou ventait dans celle de l'autre, pendant qu'il ou elle écrivait. À tel point que je fus souvent bien étonné de déposer ma plume, une fois l'histoire achevée, dans un présent absolument personnel et inimitable, où m'attendaient des occupations de revenant, pour lesquelles il me semblait que je n'étais pas né. R.L.
On peut venir au monde à tout âge. Pour Markus, cela se passe au début de la vingtaine, quand il s'enfuit de la communauté fermée qui l'a vu naître et qui l'étouffe. Le voici donc plongé dans le « Frais Monde », dans la jungle urbaine, au risque de se noyer. Il doit s'inventer à partir de rien. Il doit apprendre à se nourrir, à se trouver un toit, un travail. Il doit découvrir tous les codes de la vie libre, dont celui de la séduction, car rien ne l'attire plus que les « Mignonnes » du Frais Monde, toutes plus pimpantes les unes que les autres, toutes déshabillées là où ça rend fou de les regarder.
Ce n'est pas un hasard si Markus se retrouve à aider les plus mal pris de la ville, pas un hasard non plus si Abbie et Raquel, deux vestiges de son ancienne vie, viennent s'échouer chez lui. Car Markus est différent. Malgré son intense désir d'intégration, Markus est dévoré par une flamme qui le pousse à éclairer ceux qui semblent souffrir d'obscurité - et ils sont nombreux. Comment trouver sa place sans perdre son âme? Où se terre la Mignonne ultime, l'âme soeur qui lui fait si cruellement défaut? Et qui est cette ombre bienveillante qui veille sur lui depuis le début, ce vieil homme mystérieux que Markus surnomme « Maître K », et qui se dérobe chaque fois qu'il l'approche?
Cette histoire, c'est Markus qui nous la raconte, en jouant comme un enfant émerveillé avec la nouvelle langue qu'il a apprise. Ce sont les mots et les yeux candides de Markus qui nous dévoilent les désastres ambulants partout, et l'aveuglement du monde libre qui court, qui court pour se fuir lui-même.
Il y a des vies qui sont si étonnantes qu'on n'aurait pu les inventer. C'est le cas de celle de Julian Gruda, alias Jules Kryda, alias Roger Binet. Comment, à quatorze ans, un garçon peut-il déjà avoir emprunté autant d'identités ? Avoir vécu avec autant de familles différentes sans se faire démasquer ? Avoir servi d'agent secret de la Résistance ? Comment peut-il avoir grandi à l'orphelinat même s'il a deux mères, au moins ? Et surtout, où a-t-il appris à parler la langue des chiens, ce qui fait tant l'admiration de ses camarades ?
En nous racontant sous forme romanesque l'histoire véridique de son père, Joanna Gruda dépeint une enfance hors du commun, qui commence à Varsovie à l'orée de la guerre et qui s'achève dans Paris libéré. À travers les yeux de Julek, ce sont les heures les plus sombres du siècle dernier qu'on voit défiler, mais rendues avec une vérité et une vivacité hors du commun. C'est la guerre - inhumaine, trop humaine -, comme si nous y étions.
La nécessité, pour les Juifs d'Europe, de fuir et de se cacher, les délices de l'école buissonnière, l'occupation allemande, les amourettes heureuses ou malheureuses, les bombardements qui ont accompagné l'offensive alliée, la joie de retrouver les êtres aimés qu'on croyait perdus, l'abîme dans les yeux de ceux qui sont revenus des camps, tout cela est raconté sans la moindre sentimentalité, rendant plus palpable encore le tragique qui imprègne ces années sombres.
Mais ce récit captivant est d'abord l'histoire d'un enfant qui garde sa capacité d'étonnement devant les tours et les détours du destin. Animé d'un espoir inextinguible, il nous donne une extraordinaire leçon de survie.
Millie voulait qu'on la voie. Elle voulait être le soleil qui brûle la rétine. Personne ne pouvait la regarder en face.
Elle n'était qu'un bébé quand Pa l'a trouvée dans la forêt au creux d'un orme et l'a emmenée dans sa maison au village des Saints-Damnés. Tout de suite, il en est devenu fou amoureux tandis que Ma, sa jeune femme, l'a prise en aversion. Millie a néanmoins grandi pour devenir une adolescente d'une envoûtante beauté. Ce qui n'est pas sans troubler Pa. Est-ce pour cela qu'un jour Millie décide de disparaître ?
Dans ce premier roman aux allures de conte, Marie-Laurence Trépanier fait battre un mystérieux sabbat au milieu d'une forêt qui n'existe peut-être pas, évoque deux jumeaux maléfiques comme deux astres qui se tournent autour avant de s'abîmer l'un dans l'autre.
Elle nous parle du regard que les hommes portent sur les femmes, de celui que les femmes portent les unes sur les autres, elle nous parle de violence, de mort et de rédemption.
« Je suis un grand-père du temps des mammouths laineux, je suis d'une race lourde et lente, éteinte depuis longtemps. Et c'est miracle que je puisse encore parler la même langue que vous, apercevoir vos beaux yeux écarquillés et vos minois surpris, votre étonnement devant pareilles révélations. Cela a existé, un temps passé où rien ne se passait. Nous avons cheminé quand même à travers nos propres miroirs. Dans notre monde où l'imagerie était faible, l'imaginaire était puissant. Je me revois jeune, je revois le grand ciel bleu au-delà des réservoirs d'essence de la Shell, je me souviens de mon amour des orages et du vent, de mon amour des chiens, de la vie et de l'hiver. Et nous pensions alors que nos mains étaient faites pour prendre, que nos jambes étaient faites pour courir, que nos bouches étaient faites pour parler. Nous ne pouvions pas savoir que nous faisions fausse route et que l'avenir allait tout redresser. Sur les genoux de mon père, quand il prenait deux secondes pour se rassurer et s'assurer de notre existence, je regardais les volutes de fumée de sa cigarette lui sortir de la bouche, par nuages compacts et ourlés. Cela sentait bon. Il nous contait un ou deux mensonges merveilleux, des mensonges dont je me rappelle encore les tenants et ficelles. Puis il reprenait la route, avec sa gueule d'acteur américain, en nous disant que nous étions forts, que nous étions neufs, et qu'il ne fallait croire qu'en nous-mêmes. » Avec sa manière inimitable, sur le ton de la confidence, Serge Bouchard jette un regard sensible et nostalgique sur le chemin parcouru. Son enfance, son métier d'anthropologue, sa fascination pour les cultures autochtones, pour celle des truckers, son amour de l'écriture.
Je ne suis pas de son monde, un maestro de la poésie et sa ritournelle, un prof de littérature et son étudiante, un homme coincé devant un petit pétard blond, deux univers défigurés par la présence de l'autre, non, je ne suis pas de son univers et il passe son temps à me le rap-peler aussi. Oui, je viens d'un univers très différent du tien, me répond-il tout le temps comme pour me signifier que je suis une extraterrestre dans sa vie et qu'être ensemble pour vrai relève de la fiction. Quand il me dit ça, j'aurais envie de m'arracher un oeil et de l'avaler, qu'il me laisse donc me raconter une belle histoire, la belle histoire de deux mondes qui s'effondrent ensemble. Plus nos plaies seront profondes, plus on s'infiltrera l'un dans l'autre. Émilie-Kiki a vingt-six ans et aime Tchéky K., cinquante-six ans, son professeur de littérature, marié «jusqu'aux oreilles». S'engage alors un rapport de force qui oppose jeunesse et savoir, une lutte à finir entre deux clowns tristes dont la piste prend souvent l'allure de chambres d'hôtel minables et où tous les coups sont permis.
Wajdi Mouawad signe, avec Le Poisson soi, un texte à la fois fantomatique et intime, allusif et intense sur la recherche des origines. Il renoue ainsi avec les thèmes qui ont marqué son théâtre, et plus particulièrement le cycle « Le Sang des promesses » (Incendies, Littoral, Forêts, Ciels). Enfant du Liban, vieillard en devenir, il s'inquiète de la route à poursuivre et plonge le lecteur dans les notions, par lui subtilement embrouillées, de temps, d'avancée, de passage, de marche et de la recherche d'un temps passé et d'un temps futur à ressouder pour, peut-être, arriver à les réconcilier.
« La Détresse et l'Enchantement » est le dernier livre de Gabrielle Roy et peut-être, au dire de plusieurs, son chef-oeuvre. Publié en 1984 à titre posthume, il n'a cessé depuis de conquérir des milliers de lecteurs.
Dans les dernières années de sa vie, la romancière entreprend de relater l'ensemble de son existence : les lieux, les événements, les êtres qui ont façonné sa personnalité de femme et d'artiste.
OEuvre de mémoire et de (re)création, « La Détresse et l'Enchantement » est un des ouvrages les plus originaux et les plus attachants de la littérature québécoise et canadienne moderne.
Cette édition révisée et corrigée offre le texte définitif de « La Détresse et l'Enchantement », suivi d'une chronologie.
Après avoir vécu dix ans à Montréal, Éva revient s'installer dans sa ville natale, Maldoror, en Abitibi, plus précisément dans le chalet de son père, au bord du lac Kaganoma.
Ce qu'elle vient y chercher ? Le silence, la paix. Mais il s'avère que ce silence, cette paix, sont des denrées rares et que, comme toujours quand il y a des denrées rares, il se trouve un petit malin pour se les approprier et les revendre, avec profit, aux Américains.
C'est ainsi qu'Éva s'engage dans un mouvement de protestation lancé par des riverains du Kaganoma, qui se mobilisent pour protéger leur trésor. Cette folle aventure l'amènera à former un improbable quatuor avec trois hommes : Dan Dubois, acteur célèbre devenu documentariste dénonçant l'exploitation de la forêt boréale, Lionel Viger, « le Lion de l'Abitibi », promoteur extravagant et roi nègre local, et son propre père, Stan Sauvé, polygraphe et rédacteur en chef du «Colon», l'hebdo de Maldoror.
Avec humour et ironie, sans exclure la tendresse, Louis Hamelin croque ici ses personnages avec l'oeil subtil du moraliste, mais sans jamais les juger, opposant à la dérisoire sauvagerie des hommes l'immense sauvagerie de la nature.
Des poèmes inédits du grand Gilles Vigneault se sont frayé un chemin jusqu'à nous. D'une voix tantôt amusée, tantôt prenante, le poète nous offre son accompagnement et sa sagesse.
Que ce soit comme nouvelliste et romancière, du Torrent et des Chambres de bois à Kamouraska et aux Fous de Bassan, comme poète, du Tombeau des rois aux Poèmes pour la main gauche, ou comme dramaturge, des Invités au procès à La Cage, Anne Hébert (1916-2000) nous a laissé une oeuvre dont la splendeur, l'originalité et la force font d'elle une figure majeure de la littérature québécoise et canadienne du XXe siècle. Commencée au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, cette oeuvre s'échelonne sur une cinquantaine d'années, toujours nouvelle et cependant toujours fidèle au même désir, à la même exigence : vivre, c'est écrire. Mais qui était cette femme qui a donné naissance dans tant de livres à tant de beauté, de violence et de vérité ? Sur sa vie, son intimité, ses rapports avec sa famille et ses proches, Anne Hébert était la discrétion même, comme si la présence et le rayonnement de son oeuvre exigeaient l'effacement de sa personne, sa propre absence, en quelque sorte. De son enfance et de sa jeunesse, de ses apprentissages, de la trajectoire qui l'a conduite du Québec où elle est née à la France où elle s'est épanouie, de ses façons de travailler, des rencontres qui l'ont marquée, des êtres qu'elle a aimés et qui l'ont aimée, entourée, soutenue, des joies et des souffrances qu'elle a vécues et qui ont pu nourrir son imagination de romancière, elle n'a pratiquement rien dit, ni dans ses écrits ni dans ses interventions publiques.
C'est donc sur ce « mystère Anne Hébert » que se penche ici Marie-Andrée Lamontagne, non certes pour le résoudre (qui saura jamais la vérité d'un tel être ?), mais pour essayer au moins de l'éclairer avec toute la précision, la sympathie et l'honnêteté qui s'imposent. Recherches dans les bibliothèques et les dépôts d'archives, exhumation et dépouillement de correspondances privées et de papiers de famille, entretiens avec plusieurs témoins, dont des proches, consultation d'imprimés et de documents audiovisuels de toutes sortes, voyages : mariant l'enquête journalistique et l'essai littéraire, la biographe n'a rien négligé pour nous offrir un portrait complet et vivant de cette grande dame dont l'existence, vouée à la littérature, aura épousé le XXe siècle.
Le Québec est, jusqu'à nouvel ordre, une simple province, et les Québécois sont des « provinciaux ». Dans ce recueil de textes, qui fait suite à ses « Chroniques d'un temps loufoque », François Ricard nous fait prendre conscience des avantages qu'il y a à vivre dans une province et à ne pas se trouver aux commandes du monde, ne serait-ce que la possibilité de voir celui-ci d'un peu loin, donc de le critiquer plus librement.
Mettant à profit ce recul favorable à la réflexion, il nous invite à nous pencher sur des questions qu'on évite le plus souvent : Qu'est-ce qu'être moderne aujourd'hui ? L'anti-intellectualisme est-il le fléau que l'on dit dans notre société ? Le français est-il en voie de devenir une langue obsolète, même - et surtout - en France ? La littérature québécoise - pour peu qu'elle existe - serait-elle l'avenir de la littérature française ? Le salut peut-il passer par la poésie ?
L'auteur propose, en passant, le concept de « néoprovincialisme » pour décrire notre situation. Car n'est-ce pas en province que sont désormais accueillies les idées nouvelles avec un enthousiasme et une unanimité qu'on ne voit guère au même degré dans les sociétés où elles ont été inventées ? Ce qui l'amène à jeter un regard à la fois intrigué et amusé sur quelques phénomènes qui caractérisent notre quotidien : accommodements raisonnables, « Outgames », règles d'équité en emploi, « grand humour » auquel atteignent parfois certains de nos esprits les plus fins. Bref, les grands et les petits bonheurs de la vie provinciale.
« Moeurs de province », où l'essayiste ne manque pas également de rendre un hommage ému à quelques êtres qui l'ont marqué, est un livre qui n'a aucune vérité ni aucun salut à proposer, n'obéissant à rien d'autre qu'au besoin de ne jamais perdre de vue la complexité et la vanité de nos pensées et de nos existences, sans oublier, bien sûr, le plaisir d'écrire.
« Des fois, Sam, j'ai l'impression que la lumière des faits nous parvient de très loin, comme celles des étoiles mortes. Et que nous nageons en plein arbitraire quand nous essayons de relier les points pour obtenir une figure plausible... Peut-être que les explications que nous cherchons ne sont jamais que des approximations, des esquisses chargées de sens, comme les constellations : nous dessinons des chiens et des chaudrons là ou règne la glace éternelle des soleils éteints. » En 2001, à la mort de son ancien professeur, l'éditeur-poète Chevalier Branlequeue (un nom de plume!), l'écrivain Samuel Nihilo décide de poursuivre les recherches de ce dernier sur la crise d'Octobre 1970. Chevalier y a toujours vu l'aboutissement d'une conspiration politique. De Montréal, où commence son enquête, jusqu'au village mexicain de Zopilote, où les chemins de Nihilo et d'un ex-felquiste se croiseront, en passant par l'Abitibi des grands espaces - si somptueusement décrits -, les recherches de Samuel vont rapidement se concentrer sur le rôle joué en 70 par les services secrets, l'escouade antiterroriste et toute une panoplie de personnages pas nets, dont le spectre quasi shakespearien du ministre assassiné ! Dans cette extraordinaire fresque, premier grand roman sur la crise d'Octobre, Louis Hamelin réinvente l'histoire du terrorisme au Québec et fait le portrait, souvent très drôle, d'une société entre deux époques. Roman historique ? Polar ? Thriller politique ? Tout cela et bien plus encore !
Un jardin au bout du monde est né de la vision que je saisis un jour, en passant, d'un jardin plein de fleurs à la limite des terres défrichées, et de la femme y travaillant, sous le vent, en fichu de tête, qui leva vers moi le visage pour me suivre d'un long regard perplexe et suppliant que je n'ai cessé de revoir et qui n'a cessé, pendant des années, jusqu'à ce que j'obtempère, de me demander ce que tous nous demandons peut-être au fond de notre silence : Raconte ma vie.
Gabrielle Roy
Un jardin au bout du monde a été publié pour la première fois en 1975. L'oeuvre a été traduite en anglais. Cette édition est accompagnée d'une chronologie de l'auteur et d'une bibliographie de la critique.
« La démocratie se mondialise, l'identité se diversifie, les moeurs traditionnelles se dissolvent, les sociétés occidentales font pénitence de leurs fautes passées, les minorités sexuelles et culturelles accèdent enfin à la reconnaissance publique et les droits de l'homme refondent intimement et profondément le pacte politique occidental. De gauche, du centre ou de droite, nous communions dans une même célébration de notre époque lumineuse. »
Cette époque, celle du « dépassement » des vieilles contraintes et des préjugés hérités du passé, le discours commun et la propagande des puissants veulent nous la présenter comme l'aboutissement normal de la démocratie moderne, dont les promesses, enfin, seraient sur le point de se réaliser pleinement. Or ce n'est pas du tout ce que pense Mathieu Bock-Côté. Pour lui, le monde qui se met en place depuis un quart de siècle au Québec comme dans l'ensemble de l'Occident, loin de prolonger ou d'accomplir l'histoire qui l'a précédé, marque au contraire une rupture radicale, sinon une « trahison », c'est-à-dire l'abandon pur et simple de ce qui a guidé jusqu'ici nos façons d'être, de penser, de vivre en société, par l'instauration de ce qu'il appelle un nouveau régime, fondé sur une vision entièrement nouvelle de l'homme et de la cité, celle d'un homme coupé de toutes racines, de toute appartenance, soucieux uniquement de son bonheur et de ses droits d'individu, celle d'une cité qui cesse de se voir et d'agir comme communauté politique et culturelle pour n'être plus qu'un rassemblement de consommateurs semblables à tous les consommateurs de la planète.
De ce nouveau régime, Mathieu Bock-Côté propose donc, dans la vingtaine d'essais réunis ici, à la fois un tableau et une critique, en abordant certaines de ses manifestations et certains de ses mythes les plus actuels, de la théorie dite du genre à la prétendue « fin des idéologies », du suicide assisté conçu comme un droit de l'homme à la célébration du « multiculturalisme ».
Si Ti-Luc Blouin est si pressé de se rendre sur la côte ouest, c'est qu'il est à la recherche de son père, un écrivain américain mythique qui vit reclus dans l'île de Mere, au large de Vancouver. Mais il trouvera là bien plus que ce qu'il avait escompté. Hier encore le royaume de la forêt vierge, l'île est aujourd'hui le théâtre de vifs affrontements entre la multinationale qui détient les droits d'exploitation de la forêt et tout ce que l'Amérique compte d'écologistes et de militants.
Les seins de Faïna ont poussé l'espace d'un été, celui de ses seize ans. Et, avec les seins, sont apparus les admirateurs. Faïna pensait que sa mère, Oliko, et que sa grand-mère, Noutsa, lui confieraient alors le plus important des secrets de la famille: comment elles se sont mariées toutes les deux à seize ans. Et, surtout, qu'est-ce qui se passe après le mariage, quand les deux époux restent seuls ensemble. Mais personne ne lui a raconté quoi que ce soit. Les mots, c'est quoi ? Du vent !
«Il faut bien se marier au moins une fois dans sa vie, petite.» Voilà ce que grand-mère Noutsa se contente de répéter à Faïna. Mais qui ? Son premier fiancé aux noirs sourcils, ou le fils du vigneron au regard de feu?
Cette histoire se déroule dans un pays qui n'existe pas. L'Union soviétique a coulé comme le Titanic, mais le monde entier continue de nager vers cette épave pour regarder à travers ses hublots. Dans Faïna, de jeunes filles rêvent désespérément de se marier, des innocents se font tirer à bout portant, des femmes se déshabillent et écartent les jambes sur la table de la cuisine, une main qui sort de la terre saisit un homme par la cheville et son âme s'échappe, un cadavre repose sur un piano à queue, Brejnev se traîne jusqu'à la tribune en essayant de retenir ses pets. Voyez ! Voyez ! Voilà la vie derrière le hublot...
Dans Les Aurores montréales, Monique Proulx nous a en quelque sorte donné le livre définitif sur la ville. Elle a su y rendre, de façon inégalée, le paysage urbain et toute la faune qui s'y agite. Ce nouveau roman pourrait bien être le livre définitif sur la campagne - sur la « champagne », ainsi qu'on désignait au Moyen Âge tout territoire s'étendant hors de la ville. Avec cette écriture ferme, exacte, chatoyante qu'on lui connaît, Monique Proulx fait éclater sous nos yeux la magie d'un royaume épargné par le développement. Autour d'un lac mythique, au coeur d'une forêt inaltérée, les chevreuils, des écureuils, des insectes et des chanterelles sont les personnages réels de cette histoire sur la vie qui s'échappe, sur l'impermanence de toute possession. Les personnages humains n'en sont pas moins fascinants, réfugiés dans la célébration de la beauté, rejoints malgré eux par la tourmente. Il y a Lila Szach, venue d'un autre âge et d'un autre continent, qui possède la quasi-totalité du territoire et la défend farouchement contre les prédateurs. Il y a Claire, qui tente de tenir en équilibre la réalité et l'imaginaire. Il y a Simon, résolu à aimer tout ce qui est vivant. Il y a le petit Jérémie, sur qui plane les menaces, et d'autres qui viendront joindre leur pas à cette chorégraphie cosmique - la jeune Violette, qui fuit l'horreur suprême, les Clémont, prédateurs de père en fils, Marianne, la citadine irréductible, Marco, le père-enfant. La beauté réussira-t-elle à sauver le monde ? Voilà la question, pressante, qui résonne à travers tout ce roman. Quelle qu'en soit la réponse, la sagesse ne nous ordonne-t-elle pas de goûter sans tarder la salutaire ivresse que procure cette beauté, comme le font les personnages de ce roman et comme Monique Proulx sait si bien nous la faire partager ?