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Editions Boréal
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Les yeux tristes de mon camion
Serge Bouchard
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 1 November 2016
- 9782764644652
Connaissez-vous Massasoit, le vieux sage de la nation wampanoag, Jean-Baptiste Faribault et Michel Laframboise, ces aventuriers canadiens-français qui ont bâti l'Ouest américain, ou l'oncle Yvan, revenu de la guerre alors que plus personne ne l'attendait, ou la tante Monique de Santa Monica ? Saviez-vous qu'une vieille Honda était douée de parole, qu'une grande tortue sacrée vivait dans la rue Pie-IX, qu'un camion des années 1950 avait des yeux, et que ces yeux pouvaient parfois être tristes ? Voilà quelques-unes des merveilles que l'on découvre ici. Après «C'était au temps des mammouths laineux» (2012), voici de nouveau une trentaine de petits essais écrits avec cet art qui est la marque unique de Serge Bouchard, le timbre même de sa voix : un art qui est à la fois celui de l'anthropologue, nourri par une attention passionnée aux visages et aux récits inépuisables des humains, et celui du poète, confiant dans les pouvoirs révélateurs de l'imagination et du langage.
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Le Québec est, jusqu'à nouvel ordre, une simple province, et les Québécois sont des « provinciaux ». Dans ce recueil de textes, qui fait suite à ses « Chroniques d'un temps loufoque », François Ricard nous fait prendre conscience des avantages qu'il y a à vivre dans une province et à ne pas se trouver aux commandes du monde, ne serait-ce que la possibilité de voir celui-ci d'un peu loin, donc de le critiquer plus librement.
Mettant à profit ce recul favorable à la réflexion, il nous invite à nous pencher sur des questions qu'on évite le plus souvent : Qu'est-ce qu'être moderne aujourd'hui ? L'anti-intellectualisme est-il le fléau que l'on dit dans notre société ? Le français est-il en voie de devenir une langue obsolète, même - et surtout - en France ? La littérature québécoise - pour peu qu'elle existe - serait-elle l'avenir de la littérature française ? Le salut peut-il passer par la poésie ?
L'auteur propose, en passant, le concept de « néoprovincialisme » pour décrire notre situation. Car n'est-ce pas en province que sont désormais accueillies les idées nouvelles avec un enthousiasme et une unanimité qu'on ne voit guère au même degré dans les sociétés où elles ont été inventées ? Ce qui l'amène à jeter un regard à la fois intrigué et amusé sur quelques phénomènes qui caractérisent notre quotidien : accommodements raisonnables, « Outgames », règles d'équité en emploi, « grand humour » auquel atteignent parfois certains de nos esprits les plus fins. Bref, les grands et les petits bonheurs de la vie provinciale.
« Moeurs de province », où l'essayiste ne manque pas également de rendre un hommage ému à quelques êtres qui l'ont marqué, est un livre qui n'a aucune vérité ni aucun salut à proposer, n'obéissant à rien d'autre qu'au besoin de ne jamais perdre de vue la complexité et la vanité de nos pensées et de nos existences, sans oublier, bien sûr, le plaisir d'écrire. -
C'était au temps des mammouths laineux
Serge Bouchard
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 7 February 2012
- 9782764641101
« Je suis un grand-père du temps des mammouths laineux, je suis d'une race lourde et lente, éteinte depuis longtemps. Et c'est miracle que je puisse encore parler la même langue que vous, apercevoir vos beaux yeux écarquillés et vos minois surpris, votre étonnement devant pareilles révélations. Cela a existé, un temps passé où rien ne se passait. Nous avons cheminé quand même à travers nos propres miroirs. Dans notre monde où l'imagerie était faible, l'imaginaire était puissant. Je me revois jeune, je revois le grand ciel bleu au-delà des réservoirs d'essence de la Shell, je me souviens de mon amour des orages et du vent, de mon amour des chiens, de la vie et de l'hiver. Et nous pensions alors que nos mains étaient faites pour prendre, que nos jambes étaient faites pour courir, que nos bouches étaient faites pour parler. Nous ne pouvions pas savoir que nous faisions fausse route et que l'avenir allait tout redresser. Sur les genoux de mon père, quand il prenait deux secondes pour se rassurer et s'assurer de notre existence, je regardais les volutes de fumée de sa cigarette lui sortir de la bouche, par nuages compacts et ourlés. Cela sentait bon. Il nous contait un ou deux mensonges merveilleux, des mensonges dont je me rappelle encore les tenants et ficelles. Puis il reprenait la route, avec sa gueule d'acteur américain, en nous disant que nous étions forts, que nous étions neufs, et qu'il ne fallait croire qu'en nous-mêmes. » Avec sa manière inimitable, sur le ton de la confidence, Serge Bouchard jette un regard sensible et nostalgique sur le chemin parcouru. Son enfance, son métier d'anthropologue, sa fascination pour les cultures autochtones, pour celle des truckers, son amour de l'écriture.
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Le nouveau régime ; essais sur les enjeux démocratiques actuels
Mathieu Bock-Côté
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 17 January 2017
- 9782764644195
« La démocratie se mondialise, l'identité se diversifie, les moeurs traditionnelles se dissolvent, les sociétés occidentales font pénitence de leurs fautes passées, les minorités sexuelles et culturelles accèdent enfin à la reconnaissance publique et les droits de l'homme refondent intimement et profondément le pacte politique occidental. De gauche, du centre ou de droite, nous communions dans une même célébration de notre époque lumineuse. »
Cette époque, celle du « dépassement » des vieilles contraintes et des préjugés hérités du passé, le discours commun et la propagande des puissants veulent nous la présenter comme l'aboutissement normal de la démocratie moderne, dont les promesses, enfin, seraient sur le point de se réaliser pleinement. Or ce n'est pas du tout ce que pense Mathieu Bock-Côté. Pour lui, le monde qui se met en place depuis un quart de siècle au Québec comme dans l'ensemble de l'Occident, loin de prolonger ou d'accomplir l'histoire qui l'a précédé, marque au contraire une rupture radicale, sinon une « trahison », c'est-à-dire l'abandon pur et simple de ce qui a guidé jusqu'ici nos façons d'être, de penser, de vivre en société, par l'instauration de ce qu'il appelle un nouveau régime, fondé sur une vision entièrement nouvelle de l'homme et de la cité, celle d'un homme coupé de toutes racines, de toute appartenance, soucieux uniquement de son bonheur et de ses droits d'individu, celle d'une cité qui cesse de se voir et d'agir comme communauté politique et culturelle pour n'être plus qu'un rassemblement de consommateurs semblables à tous les consommateurs de la planète.
De ce nouveau régime, Mathieu Bock-Côté propose donc, dans la vingtaine d'essais réunis ici, à la fois un tableau et une critique, en abordant certaines de ses manifestations et certains de ses mythes les plus actuels, de la théorie dite du genre à la prétendue « fin des idéologies », du suicide assisté conçu comme un droit de l'homme à la célébration du « multiculturalisme ». -
« Nous prenons ce bon café, le premier du matin, nous établissons ensemble le plan de la journée, de la semaine. [...] Marie mange des oeufs à la coque avec des mouillettes. Nous voudrions tous les deux que ce moment dure, nous voudrions abolir le futur. [...] Plus rien n'existe que cet instant, que cette scène où nous discutons, Marie et moi, en buvant notre tasse de café. Mais le meilleur, c'est quand elle ne dit mot, quand je garde moi-même le silence, et que nous nous entendons penser, elle dans ma tête et moi dans la sienne. »
Les quelque 70 textes qui composent ce nouveau recueil de Serge Bouchard pourraient s'appeler des « micro-essais », d'abord parce qu'ils ont été écrits pour la radio de Radio-Canada, et aussi en raison de l'exigence artistique qui les inspire, celle de la brièveté, c'est-à-dire d'une prose aussi dense, économique et précise que possible, et qui possède en même temps le pouvoir d'évocation de la poésie. Mais avant tout, ce recueil est un livre d'amour et de deuil, tout entier placé sous le signe de Marie, la compagne trop tôt disparue, dont la présence (ainsi que l'absence) colore chaque page, chaque phrase, chaque évocation. Non pas qu'il y soit toujours question d'elle, loin de là ; comme toujours chez Serge Bouchard, c'est de notre vie quotidienne, de notre monde, de notre passé, de la nature autour de nous qu'il est question, et en particulier de tout ce que nous ne voyons pas et que seul le regard affûté du poète anthropologue sait nous faire découvrir. Mais Marie est toujours là, tout près, en arrière-plan, dans la pièce d'à côté, en quelque sorte, et c'est dans son regard et son esprit à elle que tout se déploie, autant que dans ceux de son compagnon qui tient la plume. -
Chroniques monde qui vient
Christian Rioux
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 23 November 2021
- 9782764646984
Il y a quelques années à peine, écrit Christian Rioux, «personne ne pouvait imaginer qu'un jour on égorgerait un enseignant en pleine rue pour avoir simplement montré une caricature à ses élèves. Personne n'aurait cru que des militants pourraient saccager les boutiques d'humbles bouchers gagnant honnêtement leur vie. Personne n'avait encore songé que, trente ans après l'abolition de l'apartheid et un demi-siècle après la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, la guerre raciale reprendrait son cours et que l'on se déchirerait sur les privilèges de "l'homme blanc". Personne n'aurait cru possible que plus de quarante ans après Les fées ont soif, on pourrait censurer des films, des pièces de théâtre, brûler des livres.»
C'est qu'un tout nouveau monde est en train de naître autour de nous, et que la naissance et le triomphe de ce «monde qui vient» demandent la ruine définitive de l'ancien. Imperceptible d'abord, puis de plus en plus radical et dévastateur à mesure qu'il s'étend dans toutes les sphères de la vie sociale, ce changement exige en effet le rejet des «vieilles» valeurs héritées de la culture occidentale moderne, accusée de tous les crimes par les militants d'un nouvel ordre idéologique.
Les chroniques rassemblées dans ce livre, choisies parmi les centaines que Christian Rioux a publiées dans le journal Le Devoir entre 2006 et 2021, racontent par le menu cette guerre qui se déroule à la fois sous nos yeux, dans la société où nous vivons et jusque dans nos propres pensées. Elles retracent l'évolution d'abord anodine puis fulgurante de ce qui pouvait passer il y a quelques années encore pour de simples dérives passagères. En observant et en analysant les événements grands et petits au Québec comme en Europe, l'auteur met au jour les ruses de l'hypocrisie et de l'intolérance, les faussetés répandues par l'ignorance et la bêtise, et nous alerte ainsi sur ce qui guette toute la culture qui structure - pour combien de temps encore ? - nos existences et nos sociétés.
Écrits d'une plume tantôt ironique, tantôt indignée, toujours franche, ces textes forment un vaste tableau de notre époque de transition, peint avec une clairvoyance rare et l'inquiétude de qui ne peut se résoudre à voir disparaître autour de lui la liberté de l'esprit, le besoin de vérité et le sens de la complexité des affaires humaines. -
Geographies du pays proche - poete et citoyen dans un quebec pluriel
Pierre Nepveu
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 20 April 2022
- 9782764647158
Cet essai parle de mon attachement au Québec, ce coin des Amériques où je suis né, où j'ai mené presque toute ma vie active, où j'écris depuis plus de cinquante ans et auquel j'ai consacré l'essentiel de mes travaux. J'ai une dette importante envers ce territoire, cette société, cette nation, mais toute dette mérite d'être interrogée, tout héritage exige d'être soupesé. Mon amour du Québec n'est pas nationaliste si l'on entend par là que je placerais la nation au-dessus de tout, que je serais incapable de reconnaître ses tares, au passé comme au présent, ou encore que je serais obsédé par sa différence, sa distinction, sa spécificité. Reconnaître que le Québec est un cas unique dans l'histoire des Amériques, que sa situation linguistique fortement minoritaire au Canada et à plus forte raison sur le continent exige des politiques et motive un souci constant, être conscient des particularités de notre parcours historique - cela ne signifie aucunement que l'on doive se cantonner dans un provincialisme défensif et régressif qui en vient à considérer comme suspecte, voire péjorative, l'idée même d'un Québec ouvert, pluraliste, inclusif. À mes yeux, telle est pourtant l'idée de la nation qui colle le plus à sa réalité présente, et la seule apte à éviter sa stagnation et sa folklorisation.
Mon discours n'est pas celui d'un historien, d'un sociologue, d'un politologue, d'un juriste ni même d'un philosophe, bien que toutes ces disciplines me nourrissent et qu'elles occupent une large place dans ma bibliothèque. Mon point de vue sur le monde est celui d'un littéraire et donc d'un généraliste ou, mieux encore, d'un « écologiste du réel », une expression que j'emprunte à un livre que j'ai publié dans les années 1980 et qui considère que le monde que nous habitons est, à portée de langage, une totalité concrète, complexe, diversifiée, qui se maintient dans des interrelations, qui vit et se recrée sans cesse dans des échanges et dont nos discours ont le devoir de faire entendre la polyphonie, les discordances autant que les harmonies. Le Québec dont je parle est imprévisible, mais il commence au seuil de ma porte, dans la proximité des choses et des êtres, dans un équilibre instable qui est, au bout du compte, la seule manière d'exister.
Pierre Nepveu -
La joie de penser : Mes années Serge Bouchard
Jérémie McEwen
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 19 March 2024
- 9782764648193
Serge m'aura appris que je ne trouverai pas ma voie derrière les remparts de quelque tour d'ivoire spéculative, pas plus que je ne pourrai me sentir pertinent à faire la guidoune médiatique qui croit que le monde se pense en huit cents mots. Il m'aura appris à accepter de refuser le confort d'une seule chaise.
Les chroniques réunies dans ce recueil ont été rédigées de 2017 à 2021 pour C'est fou..., émission radiophonique de Radio-Canada animée par Serge Bouchard et Jean-Philippe Pleau. Elles côtoient trois textes inédits dans lesquels Jérémie McEwen rend hommage à son ami Serge et évoque les multiples facettes de leur collaboration, que la mort aura interrompue après seulement sept ans. Entre la conversation à deux et la réflexion à voix haute, La Joie de penser se lit comme un essai méditatif entièrement tourné vers l'échange et le débat. Toute pensée vraie, insiste le philosophe-enseignant, doit être portée par une prise de parole, idéalement en public.
Immigration, violence, maternité, solitude, argent, adoption, amour, bienveillance, folie, honte... Si les sujets que l'essayiste aborde n'ont pas d'âge, il les explore toujours à la lumière du monde dans lequel il vit, celui d'un urbain passionné de hip-hop, fasciné par le cosmopolitisme et le retour du religieux. Au passage, il n'hésite pas à faire part de ses désaccords avec d'autres penseurs, y compris avec son cher Serge, que ce soit sur le racisme systémique ou sur le nature writing. Mais la joie de penser, c'est aussi celle de penser librement, de se remettre soi-même en question en faisant revivre la perspective de son interlocuteur absent, comme une sorte de contrepoint indispensable à sa propre identité. D'où la vitalité profonde de cet essai, qui s'ouvre au dialogue et à la contradiction avec une franchise qu'on voit rarement dans la littérature et la philosophie contemporaines. -
La Prière de l'épinette noire
Serge Bouchard
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 8 November 2022
- 9782764647424
L'épinette noire, gloire de la préhistoire, est une antenne qui nous relie à l'éternité. Elle nous insuffle une sagesse morose, une mélancolie du long cours. C'est l'arbre sur lequel je m'appuie, là où je repose mon esprit, mon dos brisé, mes jambes mortes. L'arbre sous lequel je bois ma tasse de thé, résolu, fatigué, heureux devant le petit feu qui sent si bon. Épinette noire de la Sainte-Corneille, épinette de l'écho du corbeau, bois de chauffage, épinette morte, perche de la maison conique, épinette de la boucane rassurante, bois dense et précieux qui consume le carburant des rangs solaires: tu es le Nord dans toute sa vérité épineuse.
Ce livre posthume de Serge Bouchard fait suite à L'Allume-cigarette de la Chrysler noire (2019) et à Un café avec Marie (2021). Il se compose, comme ces deux recueils, de textes brefs, rédigés et lus par Serge Bouchard à l'émission radiophonique hebdomadaire C'est fou..., coanimée avec Jean-Philippe Pleau, qui signe la préface de ce livre. On y retrouve la même sensibilité poétique et la même sagesse moqueuse qui caractérisent la prose de Serge Bouchard, autour de thèmes qui l'ont toujours inspiré : la nature, la solidarité humaine, l'amitié avec les Autochtones, les bizarreries du monde actuel, la beauté, la mélancolie. On y entend à nouveau la voix si unique d'un écrivain majeur de notre temps qui, jusqu'à la toute fin, aura tenu à partager avec son public ses réflexions sur ce qui fait le sens même de nos existences. -
Connaissez-vous l'auteur québécois François Moreau ? Saviez-vous que le sublime Bernard-Marie Koltès avait visité le Québec à l'âge de dix-neuf ans, que le Bartleby de Melville avait un frère russe du nom d'Oblomov, qu'une partie des archives de Kafka a traîné pendant des années dans un appartement poussiéreux de Tel-Aviv ? Avez-vous déjà lu Jean-Pierre Issenhuth, Bernard Frank ou Jean-René Huguenin ? Et les lettres de jeunesse de Jean Genet à son amie Andrée Plainemaison, surnommée Ibis ? Ou les Cahiers de prison de Louis-Ferdinand Céline ? À toutes ces questions de la plus haute importance, Robert Lévesque peut répondre oui, lui le « lecteur impuni », l'insatiable fouineur, jamais las d'engloutir des pages et des pages de ses auteurs de prédilection et de tout savoir à leur sujet, le moindre détail, le plus petit événement, l'origine et le sort du manuscrit le plus obscur.
Tous ces livres, non seulement il les a lus, relus, annotés, mais il en a fait en plus la matière même de sa vie, l'unique objet de ses passions, avec ses trois chats et sa chère Béatrix. Et il en parle avec la verve qu'on lui connaît, ce style désinvolte, comme impatient, ce goût des digressions et des anecdotes qui font les meilleurs chroniqueurs, surtout quand ils savent, en parlant des autres, parler en même temps d'eux-mêmes, tantôt nostalgiquement, tantôt ironiquement, comme le fait ici l'auteur quand il se rappelle ses découvertes de jeunesse, ses débuts dans le journalisme, un récital de Wilhelm Kempff au Petit Séminaire de Rimouski... Et tout le reste.
Issu de chroniques parues dans la revue Liberté, Le Lecteur impuni est le neuvième livre de Robert Lévesque à paraître dans la collection « Papiers collés ». -
Depuis une vingtaine d'années, André Major s'est tourné vers une forme d'écriture unique dans la littérature d'aujourd'hui, celle du carnet. L'homme qu'on y retrouve est un sexagénaire apaisé, retiré des remous du monde et pourtant plus attentif que jamais à tout ce qui l'entoure. Écrivain, il a cessé de l'être au sens habituel du terme, l'ambition et la carrière littéraires ne lui disant plus rien ; et pourtant, il ne peut se passer des mots écrits, qu'il s'agisse des siens ou de ceux de ses auteurs de prédilection, et pas un instant il ne songe à abandonner la rédaction de ses carnets, sans lesquels, il le sait bien, sa propre existence et le réel même lui échapperaient à jamais. Car seule l'écriture liée à sa vie quotidienne lui permet de voir clair en lui, autour de lui, et de garder toujours « les pieds sur terre ».
La pratique du carnet chez André Major est faite d'allers-retours. Ainsi, Les Pieds sur terre a été écrit d'abord au cours des années 2004 à 2007, alors que l'auteur consignait sur le vif les observations et impressions de toutes sortes que lui apportaient ses lectures, ses promenades, ses rencontres et autres hasards de la vie. Puis, bien des années plus tard, le même auteur rouvre ces « vieux » carnets, les relit avec le recul du temps écoulé, choisit les fragments qui valent d'être gardés, les retravaille et transforme ainsi la matière brute qu'il a accumulée jadis en une oeuvre littéraire possédant sa cohérence, sa signification et sa beauté propres.
Le bonheur qu'offrent la lecture et la méditation d -
Depuis des années, Isabelle Daunais poursuit une réflexion tout à fait unique sur le roman, art majeur des Temps modernes. Lire et méditer comme elle le fait ici les grandes oeuvres de l'histoire du roman (Cervantès, Balzac, Flaubert, Proust, Kundera, Philip Roth, Gabrielle Roy) aussi bien que certaines de ses réalisations les plus actuelles (Marie NDiaye, Karl Ove Knausgaard, Hallgrímur Helgason, Yannis Kiourtsakis ou Dominique Fortier) n'est pas un exercice d'érudition, mais une véritable quête philosophique et morale, l'examen - à travers des personnages et des univers fictifs - de certaines des questions les plus concrètes et les plus pressantes que nous nous posons du seul fait de vivre la vie que nous vivons, faite d'incertitude, d'imperfection, de temps qui passe, bref, de simple et commune humanité.
Avec la sensibilité, l'intelligence, la culture et l'imagination critique qui illuminent sa pensée comme sa prose, Isabelle Daunais explore dans la vingtaine de textes qui composent La Vie au long cours une dimension essentielle de l'art romanesque qui passe trop souvent inaperçue : de toutes les formes d'art, le roman est le seul qui a le pouvoir (et le souci) de saisir la vie humaine et le monde dans leur durée. Plus qu'aux moments mémorables ou spectaculaires qui ponctuent la vie et parfois la transforment, c'est à la continuité du monde et de la réalité qu'il s'intéresse, à tout ce que les actions, les désirs ou les révoltes de l'individu n'atteignent pas et qui, à long terme et quoi qu'il arrive, demeure le fond permanent de l'existence humaine, sa base, son appui. La vie, nous dit le roman, est une entreprise au long cours, dans laquelle le réel finit toujours par triompher du rêve, les petites choses des grands mots, et l'ordinaire de l'exceptionnel. Toujours le monde résiste, et c'est cette résistance qui en fait un lieu à la fois d'humilité, de consolation et de beauté. -
Introduction à la vie sans fin
Vincent Lambert
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 14 March 2023
- 9782764647547
Les vingt-cinq courts textes de Vincent Lambert réunis sous le titre envoûtant Introduction à la vie sans fin forment une sorte de grand roman initiatique de l'ère contemporaine. Ils interrogent notre rapport au monde à partir de sujets tantôt minuscules, tantôt majuscules, alternant entre des scènes de la vie quotidienne et les questions qui agitent l'humanité depuis la nuit des temps et plus encore depuis que l'humanité semble avoir le doigt sur la détente. Avec une infinie curiosité, ils rebondissent sur des idées, des images et des mots lus, vus ou entendus au hasard de rencontres savoureuses, habilement racontées.
Dans un monde où chacun est tour à tour saturé de soi-même et sommé de faire le vide, c'est forcément de sa propre réalité que Vincent Lambert parle tout en cultivant sa passion pour les têtes mal ajustées. Il fraternise avec les allumés d'hier et d'aujourd'hui, face à un tableau général de l'être dont il cherche en vain le cadre et qui le renvoie sans cesse au silence des origines. Avec un mélange d'humour et de bienveillance, de spiritualité et de lucidité, il cherche à habiter le monde sans se faire d'illusions mais sans y renoncer non plus tout à fait. De texte en texte, il s'initie à l'art de ne pas progresser et de ne pas répondre aux questions, conscient d'en être toujours au niveau débutant, au seuil d'une vie qui n'en finit jamais de ne pas commencer.
Vincent Lambert propose un essai tout en paradoxes lumineux : un appel à lire autrement le monde et à vivre mieux. -
Les Héritiers de Don Quichotte
Louis Hamelin
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 16 October 2024
- 9782764648513
En 2012 et 2013, Louis Hamelin avait publié dans le magazine Spirale une série de réflexions sur l'art du roman sous le titre « Les héritiers de Don Quichotte ». Une décennie plus tard, il se porte à nouveau à la défense du genre romanesque en mettant bout à bout une trentaine d'articles ou de chroniques qu'il a fait paraître au fil du temps dans Le Devoir et dans d'autres publications.
Il y développe une admirable conscience romanesque du monde d'aujourd'hui, une conscience qu'il prend la peine d'expliciter et d'approfondir à travers la figure de Don Quichotte, qu'il présente comme la « figure du désaccord avec le monde tel qu'il est ». Son point de vue n'est ni celui d'un expert ni celui d'un critique, mais bien celui d'un praticien qui avoue avoir fait du roman sa grande « obsession ». Les textes rassemblés sont divisés en trois sections portant respectivement sur le roman vu du Québec, sur « l'utilité du chef-d'oeuvre » et sur la comparaison entre certains films célèbres et leur inspiration romanesque.
Amorcé par un texte inédit à caractère autobiographique dans lequel Louis Hamelin raconte sa naissance à titre de romancier en 1987, l'essai se clôt sur un éloge des trois grandes valeurs qui, selon lui, sont propres au roman depuis Cervantès jusqu'à Kundera en passant par le roman états-unien, auquel il réserve la part du lion : l'art de la prose (c'est-à-dire du monde corporel, quotidien et concret), l'art de l'ironie, et bien sûr l'art de l'imagination.
Peu d'écrivains, au Québec ou ailleurs, parviennent comme Louis Hamelin à concilier de façon aussi naturelle et dans un style à la fois léger et vif cette force inventive du roman moderne et les mutations du monde actuel. -
Ces quatorze courts essais, presque tous inédits, que Robert Lévesque appelle des « déambulations » sont autant de promenades extraordinairement libres à travers des oeuvres littéraires qui lui sont particulièrement chères. Il y célèbre le plaisir de l'errance et rappelle les liens naturels et comme nécessaires entre la marche et l'écriture. « Avant d'écrire, il faut marcher », note l'essayiste au début de sa relecture de Jean Echenoz. La remarque vaut pour l'ensemble de ses compagnons de marche, de Victor Hugo à Gérard de Nerval en passant par Anton Tchekhov, Franz Kafka, Virginia Woolf, Walter Benjamin, Gertrude Stein, Samuel Beckett, Julien Gracq, Ismaïl Kadaré, Georges Perec, Peter Handke et quelques autres.
Ses déambulations ne suivent pas les flèches qui nous disent dans quel sens il faut aller. Il n'y a pas d'ordre apparent, pas de visée commune, sauf le bonheur que prend Robert Lévesque à partager avec nous ses notes de lecture et sa connaissance à la fois intime et livresque de lieux investis par l'imaginaire de ces écrivains d'hier et d'aujourd'hui, peu importe que ce soit le Paris de Perec, la Londres de Woolf ou la petite gare lettonne de Douboulti au centre d'un récit de Kadaré. En marchant sur les pas d'autrui et en s'immergeant dans leurs oeuvres, Robert Lévesque propose un de ses livres les plus personnels et les plus touchants. -
Les prélèvements sont comme des échantillons de mots, d'objets, de rêves ou de façons d'être qui font notre quotidien et nous définissent à la fois comme individus et comme sociétés. Suzanne Jacob les analyse avec son regard unique, prêtant son infatigable attention aux sens cachés du langage, aux malentendus, aux crimes impunis, mais aussi à la beauté et à l'humanité qui surgissent là où on ne le soupçonne pas. Mis bout à bout, ces prélèvements forment un recueil de courts essais percutants, qui portent sur les sujets les plus imprévisibles, tantôt ordinaires comme ces magazines qui traînent dans la salle d'attente de notre dentiste, tantôt poétiques comme l'image forte des lits superposés qui clôt le livre et devient la métaphore de toute culture digne de ce nom. De prélèvement en prélèvement, l'essayiste ne propose ni leçon ni morale, mais invite plutôt au plaisir de se laisser désorienter par les sinuosités de nos rivières et les méandres de nos pensées.
Tenter de dire de quoi sont faits les lits qui se sont superposés pour constituer une structure de résonance au monde, c'est forcément faire appel à des fragments de cette histoire personnelle et risquer que ces fragments, happés dans la confusion régnante aux frontières des diverses disciplines, ne fassent que fortifier la présomption biographique qui emmure désormais tous les livres. C'est la raison pour laquelle je m'appliquerai maintenant à la plus grande confusion, puisqu'il peut arriver qu'un vacarme total ait raison d'une douleur causée par un grincement continu.
Les treize premiers textes réunis dans ce recueil ont paru sous forme de chroniques dans la revue Liberté entre 2013 et 2017. Les autres, sauf « Variations sur le temps » publié dans la revue Relations (2011-2012), viennent de conférences prononcées en divers lieux depuis 1993. -
« Comme tout un chacun, je ne suis pas un homme comme les autres », écrit André Major en présentant ce nouveau volume composé à partir des carnets personnels qu'il a tenus entre 1995 et 2000. Ne pas être tout à fait comme les autres et ressembler à tout un chacun : si paradoxale qu'elle paraisse, n'est-ce pas là, au fond, la définition la plus exacte de l'écrivain, individu absolument et radicalement singulier, mais qui se sait porteur de la condition la plus commune, celle de l'humanité vivant, souffrant, jouissant et mourant au milieu d'un monde qui est à la fois sa patrie et son exil ?
Chez André Major, c'est avant tout aux lectures (des romanciers nordiques, en particulier), aux paysages (collines, forêts et lacs des Laurentides) et aux êtres proches (ses vieux parents, notamment) qu'appartient le privilège d'ordonner la suite des jours et d'en faire cette oeuvre la plus humble et la plus belle qui soit : une simple vie humaine.
Au début de ces carnets, l'auteur arrive au milieu de la cinquantaine. C'est l'âge du détachement et de l'ouverture. Détachement de soi-même et des ambitions de jadis ; retraite à l'écart de la comédie sociale; repli sur l'essentiel; conscience de la fin qui approche. Mais ouverture, en même temps, à la beauté préservée de la nature, des êtres et des livres, d'autant plus proche et précieuse qu'elle représente tout ce qui importe désormais pour celui qui s'est éloigné, pour le déserteur qui ne demande plus qu'à « prendre le large ».
Écrit dans une prose aussi limpide que dépouillée, d'une modestie et d'une justesse incomparables, cette chronique d'un homme « pas comme les autres » est en même temps le roman de « tout un chacun » d'entre nous, ses semblables, ses frères. -
Si la littérature québécoise des années 1960 et 1970 a pu accompagner l'esprit de renouveau et de fondation ayant marqué la Révolution tranquille et l'entrée du Québec dans une modernité si longtemps attendue, que nous disent de notre société et de nous-mêmes les oeuvres qui s'écrivent et se publient aujourd'hui ? Et inversement, qu'est-ce que les conditions nouvelles dans lesquelles nous fait vivre la société contemporaine nous permettent de comprendre aux oeuvres du passé ? C'est à cette double interrogation - à ce dialogue de la littérature et du monde, du présent et du passé, de l'ici et de l'ailleurs - que se livre Michel Biron dans les textes de ce volume, des textes qui relèvent à la fois de la critique littéraire la plus attentive et de la réflexion la plus audacieuse sur cette « conscience du désert » qui hanterait la littérature québécoise depuis ses origines, mais serait aussi l'une des marques de notre modernité libérée de toute contrainte, privée de tout repère. Qu'il s'agisse de lire la littérature québécoise (Réjean Ducharme, Suzanne Jacob, André Major, Pierre Nepveu ou Marie-Claire Blais) comme si on était un « lecteur étranger », de lire la littérature étrangère (Michel Houellebecq, Philip Roth ou les écrivains belges) en « lecteur d'ici », ou d'aborder les oeuvres du passé en dehors des interprétations convenues, l'essayiste use partout de la même liberté, de la même lucidité, du même souci de saisir ces « cassures » dans lesquelles notre monde étrange a pris forme.
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Chemins perdus, chemins trouvés
Jacques Brault
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 4 May 2012
- 9782764641781
L'essai, chez Jacques Brault, a toujours accompagné l'écriture poétique, comme en ont déjà témoigné superbement Chemin faisant (1975) et La Poussière du chemin (1989), parus tous deux dans la collection « Papiers collés », et comme en témoigne de nouveau le livre que voici, ultime volet de ce qui se découvre aujourd'hui comme une longue méditation ininterrompue dans laquelle un praticien réfléchit à son propre métier. Écrits au cours des deux dernières décennies, les vingt-huit essais qui composent ce recueil se présentent comme autant d'explorations à travers lesquelles se forme et s'approfondit une pensée, ou mieux : une conscience de la poésie, comme art, certes, mais aussi, et surtout, comme l'expérience à la fois obscure et lumineuse à la source et au terme de cet art. Ces explorations se font tantôt par le souvenir, l'autoportrait en « bricoleur » ou en professeur de poésie, tantôt par la réflexion philosophique, tantôt par la (re)lecture de quelques oeuvres toutes marquées à leur manière par l'avènement de la poésie. À la fois précises et « rêveuses », ces lectures abordent aussi bien des romanciers (Gabrielle Roy, Gilles Archambault, Yvon Rivard) que des poètes d'ici ou d'ailleurs, d'hier ou d'aujourd'hui, de Laforgue à Char, de Grandbois et Saint-Denys Garneau à Roland Giguère et Miron, de Robert Melançon à Marie Uguay, de Robert Marteau à Jean-Pierre Issenhuth. Mais dans tout cela, point de lourdeurs ni de démonstrations savantes, car « l'art de l'essai, dit Jacques Brault, chemine, à la fois écolier et vagabond, naïf et rusé, moqueur, mélancolique, perdu de finitude, éperdu d'infini, espérant toujours que plus tard, peut-être... ».
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« C'est la nuit, dans mon enfance, entre veille et sommeil, que m'est venu l'attrait des trains », nous confie Robert Lévesque. « Je l'écoutais naître au loin, et mourir au loin, cette grande plainte sifflante qui m'était une invitation au voyage. » Le chemin de fer sert de fil d'Ariane à ces textes qui traitent d'écrivains ou d'artistes, de Franz Kafka à Madame Bolduc, en passant par Jack London, Fats Waller, Arthur Buies, Oscar Wilde ou Matthieu Galey. Avec la culture et l'intelligence qui le caractérisent, Robert Lévesque nous entraîne en leur compagnie dans ses pérégrinations.
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Pendant trente ans (1979-2009), dans les pages du magazine L'actualité, Jacques Godbout nous a parlé, de mois en mois, de ses lectures. Ou plutôt : à travers ses lectures il nous a parlé de lui-même,de nous-mêmes, de notre pays, de nos façons d'être et de penser,et du monde bigarré qui nous entoure, un monde qui demande constamment à être déchiffré, critiqué, compris. Or ce déchiffrement et cette critique, pour qui habite toujours la galaxie Gutenberg,passent d'abord par les livres, tous les livres, aussi bien les oeuvres de la littérature que les ouvrages de sociologie, d'histoire, de science,aussi bien les écrits des journalistes que ceux des philosophes et des romanciers. Tous ont des clés à nous offrir, tous ont quelque chose à nous apprendre. Sorte d'autobiographie d'un lecteur passionné, mais une autobiographie tournée vers le monde plutôt que vers le moi, ce livre raconte l'aventure d'un esprit en éveil. Livre de lecteur, donc, ce livre est aussi celui d'un écrivain ; écrit dans une prose alerte et précise, il nous fait entrer pour ainsi dire dans l'atelier d'un romancier, mais d'un romancier comme l'est l'auteur de Salut Galarneau ! et de La Concierge du Panthéon, c'est-à-dire un artiste de l'imagination pour qui la littérature, loin de naître dans la solitude et le mépris, se nourrit avant tout des bruits et des mouvements de son époque, des angoisses et des illusions qui la hantent, de ses laideurs comme de ses beautés, auxquelles il lui faut par conséquent demeurer constamment, éperdument attentif.
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La littérature est inutile
Gilles Marcotte
- Editions Boréal
- Papiers collés
- 15 March 2010
- 9782764607220
« Les oeuvres dont il sera question dans ce livre font partie de la littérature québécoise. Il ne s'agit ici ni d'une "deffense et illustration", selon la formule célèbre de du Bellay, ni d'un essai de caractère historique, où les oeuvres seraient mises en relation avec le développement d'une nation, d'une société. Mon propos est différent, même si la réunion d'oeuvres parues dans le même espace géographique ne peut que suggérer des perspectives historiques, des relations entre texte et société. J'ai voulu plutôt que les oeuvres, les écrivains que je présente ici le soient pour eux-mêmes, en eux-mêmes, sans être conscrits par une sorte de développement collectif. Ce n'est donc pas une thèse qu'on lira, bien que les petites idées que j'entretiens sur la littérature s'y frayent forcément un chemin. Je n'ai pu me retenir, aussi bien, pour aérer un peu l'ensemble, de constituer des ensembles flous, suscités par des rencontres de diverses sortes, amicales si l'on veut, et de m'évader parfois dans quelques images de la vie littéraire. » - Extrait de la préface
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« Depuis des années, j'entends qu'il faut se méfier des idées simples, du rêve, du bonheur, car le réel est complexe (aucune idée ne peut y être un chemin sûr), opaque (aucun rêve ne peut l'éclairer ou l'élargir) et fatal (aucun bonheur ne peut résister à la mort). Il est difficile de s'opposer à cette prudence lorsqu'on sait à quelles aberrations religieuses, sociales et politiques s'expose quiconque entreprend de changer la vie et le monde sans accepter ses limites. Si on oublie que nous ne savons rien et que nous sommes mortels, la vie et la culture qui s'en fait l'écho ne manquent jamais de nous le rappeler : je sais que je ne sais pas, le mieux est l'ennemi du bien, l'homme est un loup pour l'homme, etc. Si en écrivant ce livre j'ai été amené à prendre le contre-pied de cette sagesse, c'est que j'ai essayé d'obéir à cette idée simple, énoncée par Hermann Broch, que le premier devoir de l'intellectuel, dans l'exercice de son métier, est de porter assistance à autrui. » Y. R.
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Comme le notait Paul Valéry, le XXe siècle a marqué pour l'Occident le commencement d'un temps radicalement nouveau, celui du monde fini. Ayant été entièrement explorée, parcourue, cartographiée, la terre que l'homme habitait cessait de lui apparaître comme un milieu infiniment ouvert où retentissait l'appel de l'inconnu ; c'était désormais un territoire balisé, aux frontières précises et indépassables. Or cette entrée dans la finitude, cet effacement des horizons lointains est également ce qui caractérise le plus profondément la psyché et l'existence des sujets modernes que nous sommes. La mort de Dieu, la liquidation des mythes, la disqualification générale des idéaux de tous ordres, cette sécularisation radicale par quoi se définit notre modernité et qui fait de nous des êtres libérés de toute dépendance comme de toute culpabilité et de tout regret à l'égard de quoi que ce soit qui nous dépasse et nous tire hors de nous-mêmes, c'est ce que l'auteur de ce livre appelle le temps de l'homme fini. Un temps à la fois tragique et risible, dont les manifestations touchent tous les aspects de la vie qui est aujourd'hui la nôtre, de l'éducation à la politique, de la publicité à l'architecture, de l'urbanisme à l'organisation familiale, de l'idéologie aux arts. Un temps qu'il ne s'agit ni de célébrer ni de déplorer, mais bien de comprendre et d'habiter avec autant de courage que de lucidité. Écrit dans une langue aussi vive qu'élégante, trouvant son inspiration aussi bien dans l'observation minutieuse de la vie sociale que chez les grands auteurs, ce livre tient à la fois de l'étude sociologique et de l'essai, au sens le plus juste - et donc le plus problématique - du terme. Il propose sur l'état actuel du monde (et du Québec) un regard à la fois pénétrant et passionné, très critique, certes, souvent même corrosif, mais non dépourvu d'espoir.