« Un livre sert à celui qui l'écrit, rarement à celui qui le lit, c'est pourquoi les bibliothèques sont pleines de livres inutiles. » Ainsi s'achève l'autobiographie de Luigi Pintor, texte pourtant parmi les plus essentiels qu'il puisse être donné de lire, pudique, profond, bouleversant. Dans une vie, que devons-nous à nous-mêmes et qu'est-ce qui tient à l'époque où nous vivons ? Traversant un demi-siècle d'histoire, de l'enfance heureuse à l'expérience décisive de la Seconde Guerre mondiale, de la Résistance au rêve d'une société différente, du journalisme engagé aux épreuves politiques et personnelles, ces pages sensibles, imagées et volontairement sobres dressent le portrait d'un homme fidèle à lui-même, à ses engagements et à ses idéaux, dans une écriture à l'ironie vibrante digne des plus grands - La Rochefoucauld, Leopardi, Rilke ou Calvino.
« Si je devais donner le nom de tous les ouvrages américains qui promettent d’avoir une longue, même une très longue vie, je dirais sans hésiter La Lettre écarlate, Huckleberry Finn et Le Pays des sapins pointus. » Ces mots de Willa Cather tirés de sa préface de 1925 au livre de Jewett (1re éd. 1896) étonneront sans doute le lectorat français qui connaît mieux, de la cartographie littéraire de la Nouvelle-Angleterre, le Boston de Henry James, le Salem de Hawthorne ou le Walden de Thoreau.
Jewett a ancré ses récits dans son Maine natal, modelant son écriture sur ces « arpents de granite » qu’évoquait avant elle Emily Dickinson. Mais il est un autre « pays » qui s’esquisse dans ces pages écrites à l’aune du féminin et dans les marges critiques d’une nation en passe de devenir un empire. Loin de la carte désuète d’un monde disparu, Le Pays des sapins pointus est un livre frontière qui inquiète la pensée cadastrée, fait bouger les identités et troubles les appartenances.
Les Méditations sur le bonheur (1763), dont le destin éditorial se mêle étroitement à celui des Délits et des peines de Beccaria (1764), inaugurent la carrière littéraire de Verri. Synthèse de sa formation intellectuelle nourrie de la philosophie politique et morale du XVIIIe siècle européen, de Locke à Helvétius, de Hutcheson à Rousseau, elles sont aussi un vivier d'idées et de thèmes qui vont forger l'identité de l'École de Milan, l'un des grands foyers italiens des Lumières.
Ce petit traité offre une leçon d'humanité mue par un idéal égalitaire. Assignant la quête du bonheur, fondée sur un travail d'analyse de soi et de connaissance des autres, comme objectif de la vie sociale, de la politique et de la législation, l'auteur expose les prémisses de sa pensée réformatrice et progressiste, qui traversa le siècle jusqu'aux lendemains de la Révolution. C'est l'avènement de l'économie politique comme science du bonheur public.
« Le problème du XXe siècle est le problème de la ligne de partage des couleurs. »
Telle est l'intuition fondamentale de Du Bois dans Les Âmes du peuple noir, oeuvre majeure de la littérature nord-américaine.
Dans ce recueil d'essais publié en 1903, Du Bois évoque avec une puissance inégalée l'étendue du racisme américain et donne à voir au monde la réalité de l'expérience quotidienne afro-américaine dans l'Amérique de la ségrégation.
Cette nouvelle traduction montre, inscrits dans la langue, tous les enjeux philosophiques d'un texte qui se veut également « littéraire ». L'écriture élégante et passionnée de Du Bois tisse les souvenirs autobiographiques et les paraboles épiques avec
les analyses historiques, sociologiques et politiques, construisant ainsi l'unité culturelle et politique du peuple noir à partir de la multiplicité de ses âmes individuelles.
Le livre a inspiré l'essentiel de la conscience collective noire et des mouvements en faveur des droits civiques dans les années soixante, et continue d'avoir un retentissement considérable au sein de la communauté afro-américaine et au-dehors.
Dans Les Forêts du Maine Henry David Thoreau a rassemblé les récits des voyages qu'il fit dans les forêts du nord-est des États-Unis en 1846,
1853 et 1857. Ce triptyque singulier de textes écrits en l'espace d'une quinzaine d'années, couvrant le coeur de la vie créatrice de l'écrivain,
offre un accès privilégié à la complexité de sa vision du monde et de sa pensée. Du jeune romantique doué et ambitieux à l'observateur parvenu
dans sa maturité, en passant par le prophète de la protection de la nature, s'y dessine l'image d'un homme pour qui l'exploration de la nature
sauvage avait de larges résonances personnelles et collectives. En le suivant pas à pas à travers ces vastes espaces naturels d'une beauté
fascinante, à la rencontre des pionniers et des Indiens, le lecteur contemporain est entraîné dans une aventure intellectuelle qui l'invite
à réfléchir au rapport moderne de l'homme à son environnement.
Écrivain majeur de l'Amérique du XIXe siècle, Henry David Thoreau (1817-1862), auteur notamment de Walden et de De la désobéissance civile,
apparaît comme un jalon essentiel dans la genèse de la conscience moderne.
Traduit une première fois en 1953, ce roman faulknérien servi par une écriture splendide devait être réédité. Il égale, à plus d'un titre, les plus belles réussites de la littérature sudiste contemporaine, et c'était celui de ses six romans que Shelby Foote préférait.
Ampleur de la période historique embrassée, de la fin de la guerre de Sécession à la Seconde Guerre mondiale, ingéniosité de l'intrigue, personnages inoubliables, subtilité de l'analyse psychologique, richesse des thématiques abordées, exigence non dénuée d'humanité, portée par un humour parfois désespérant - L'Amour en saison sèche démontre de manière exemplaire ce que peut être une fidélité vraiment créatrice.
L'oeuvre nous transporte dans ce Sud qui a toujours fasciné les lecteurs français à travers ses plus brillants représentants : Edgar Poe, Eudora Welty, Flannery O'Connor, Truman Capote, Erskine Caldwell, William Styron...
Une redécouverte.
Du même auteur sont disponibles en français : Shiloh (Rivages, 2019), Tourbillon (Imaginaire Gallimard, 2006), L'Enfant de la fièvre (nouvelles, Imaginaire Gallimard, 1986), Septembre en noir et blanc (10/18, 1984).
Ce texte est né d'une idée originale de De Amicis : faire des tramways à chevaux de Turin à la fin du XIXe siècle un sujet d'écriture romanesque. Pendant les douze mois de l'année 1896 (une année marquée par la funeste guerre d'Afrique entre l'Italie et l'Éthiopie), ces « carrosses pour tous » qui sont un lieu de rencontre des différentes classes sociales, serviront à l'écrivain d'observatoire privilégié. Dans ce roman « expérimental » - qui pourrait aussi être défini comme un singulier récit de voyage et un livre-enquête -, les personnages sont les passagers, dont certains, au gré de leurs apparitions répétées, vont composer une véritable galerie : leurs personnalités, révélées par le regard pénétrant du narrateur, forment un roman choral où les trajectoires des uns et des autres se trouvent reliées au sein d'une structure unitaire. La simplicité de l'invention est compensée par la précision avec laquelle est décrite la société d'une grande ville italienne, fière des gloires du Risorgimento mais vivant à l'enseigne d'une activité intense et de la culture de masse naissante. La « question sociale » joue un rôle fondamental et constitue l'un des filtres du jugement de De Amicis, qui venait d'adhérer au parti socialiste ; sa vision du socialisme ici n'est pas celle de la lutte des classes, mais plutôt d'une collaboration apaisée.
Le texte est inédit en français.
Écrit directement en français il y a exactement un siècle, en 1921, à l'occasion du sixième centenaire de la mort de Dante, De Francesca à Béatrice est le premier essai original de V. Ocampo. Très tôt, le texte de Dante est devenu pour elle le lieu d'une méditation personnelle, comme chez T. S. Eliot ou O. Mandelstam. Mais quand Eliot formule, à travers le Florentin, sa conception personnelle de la poésie, quand Mandelstam se penche avec lui sur la douleur de l'exil, Ocampo revient, avec Francesca, avec Béatrice, et guidée par Dante, à la méditation de « l'amour incorruptible, impérissable, qui émeut encore le monde ».
Publié en 1924 dans une traduction espagnole présentée par J. Ortega y Gasset, le texte ne parut dans sa « version française » originale qu'en 1926 (Paris, Bossard) : la présente édition le restitue pour la première fois aux lecteurs français.
Cris rassemble les nouvelles de la période du 4 mai 1919 où s'épanouit le mouvement pour la Nouvelle culture, qui revendique l'usage de la langue vernaculaire et s'en prend au moralisme confucéen. Certaines d'entre elles, comme «Le Journal d'un fou», publiée dans Nouvelle jeunesse en 1918, ou «L'édifiante histoire d'A-Q», sont devenues canoniques. D'autres, comme «Terre natale» ou «L'opéra de village ,», représentent sur un mode élégiaque la Chine rurale du bas-Yangtse dans laquelle a grandi Lu Xun. Errances, publié en 1926, contient onze nouvelles évoquant, sur un ton souvent mélancolique, l'errance des intellectuels chinois des années 1920.
Anciens lettrés devenus petits fonctionnaires, ils semblent piégés entre leurs souvenirs d'un passé rural familier mais cruel et la modernité incertaine ou trompeuse des grandes villes occidentalisées, où ils peinent à trouver une place.
Mauvaises herbes, recueil de vingt-trois poèmes en prose, dont la forme rompt avec la plupart des pratiques poétiques antérieures, rassemble des méditations, oniriques ou nostalgiques, sur le passage du temps et les efforts humains pour changer l'histoire.
Le Discours sur notre langue (1524) est la seule incursion de Machiavel dans la linguistique et l'une de ses oeuvres les plus personnelles. Véritable plaidoyer patriotique en faveur des droits du parler florentin, il affirme que la littérature italienne naît à Florence avec Dante, Pétrarque et Boccace, dont tous les autres écrivains d'Italie ont dû apprendre la langue, tant leur propre parler était inapte à la littérature. Le Discours constitue ainsi l'acte de naissance de la « question de la langue », qui mobilisera ensuite pendant des années de nombreux lettrés italiens. Il vaut notamment par le dialogue central entre Dante ressuscité et Machiavel, qui convoque l'auteur de La Divine Comédie en personne pour le soumettre à un interrogatoire serré sur ses choix linguistiques et stylistiques - et le désavouer.
Edition bilingue et nouvelle traduction
Le Goethe-und-Schiller-Archiv de Weimar conserve un document fascinant : les « Instructions pour la réalisation d'une carte générale des langues » adressées par W. von Humboldt à Goethe le 15 novembre 1812. Elles devaient fournir à ce dernier les indications nécessaires à l'établissement d'une carte des langues d'Europe qu'il avait appelée de ses voeux à la suite d'un séjour commun à Carlsbad en juin 1812. Bien que Goethe se soit attelé à la tâche, jusqu'à faire monter sur des planches à dessin des fonds de carte d'Europe afin de les colorer, rien ne prouve que la carte ait été effectivement produite. Seul subsiste aujourd'hui ce document. Encore inédit en Allemagne, il est reproduit en fac-similé et traduit ici pour la première fois.
Témoin d'un projet plus vaste de cartographie des langues du monde, le texte ouvre une fenêtre sur un moment particulier de l'histoire, et de la rencontre, des études linguistiques et de la cartographie. Outre la carte elle-même, réalisée aujourd'hui, nous proposons au lecteur des voies d'approche pour mieux comprendre ce projet dans son contexte scientifique et littéraire, en retraçant ses étapes successives, en explorant le rapport entre langues et géographie chez Humboldt, en le replaçant dans le contexte de l'histoire de la cartographie et en éclairant le rôle des représentations spatiales et des cartes dans l'oeuvre de Goethe.
Édition de David BLANKENSTEIN, Julien CAVERO, Mandana COVINDASSAMY et Sandrine MAUFROY.
Comme l'indique son sous-titre, Le Soi et son cerveau plaide la cause de l'interactionnisme. Ce n'est pas le premier texte consacré par Popper à ce que les philosophes de langue anglaise appellent le « body-mind problem ». Non plus que son premier texte soutenant que la solution correcte à ce problème est l'interaction des états mentaux et des états physiques. Ce n'est pas non plus la première fois que Popper précise sa théorie en affirmant que cette interaction ne concerne pas seulement le monde des états mentaux et celui des états physiques, mais aussi un troisième monde ou « Monde 3 ». C'est en revanche la première fois qu'il met au centre de son interactionnisme une théorie du self, du « soi », de son existence, de son unité, de son identité, de sa continuité. C'est la grande nouveauté de ce livre, inédit en français.
En 1878, Edmondo De Amicis séjourne à Paris et envoie à son journal en Italie une série d'articles sur la capitale française et sur l'Exposition universelle, prétexte initial de son voyage. Emblématiques du travail de reportage de l'écrivain, les Souvenirs de Paris documentent remarquablement la fascination exercée par la ville sur les visiteurs italiens. Jouant avec les lieux communs, l'auteur rend hommage à la culture française, s'interroge sur le rôle international de la France au lendemain de Sedan et de la Commune, s'amuse des vices et des travers des Parisiens plus qu'il ne les condamne, se met en scène en touriste étourdi par tant de merveilles et de tentations.
Avec le compte rendu foisonnant de la visite de l'Exposition, c'est au coeur des lumières et du brouhaha de la ville, déesse de la modernité et des plaisirs, que nous plonge ce texte malicieux et virevoltant.
Battue par son père, rudoyée par sa mère, et incomprise souvent,
Ursula trouve auprès du Bon Dieu un interlocuteur à la mesure de son âme.
Car tout est loin d'être gris au pays enchanté de la petite fille.
L'héroïne à laquelle Lou Andreas-Salomé prête sa sauvagerie et sa voix vit au rythme brisé des jeux d'enfants et
des espiègleries de ses poupées. Entre Alice au pays des merveilles et Blanche-Neige au milieu des nains,
Ursula évolue dans un monde féerique de rêveries et d'imagination. Au fil des trois récits composant
L'Heure sans Dieu et autres histoires pour enfants, dont la fillette est la protagoniste autant que l'ordonnatrice,
les figures d'adultes (parents naturels, pères symboliques ou spirituels, tante, amis, voisins) croisent les visages d'enfants
(camarades, poupées, nourrissons).
Les saynètes du livre ont pour toile de fond les goûters gourmands, les jardins et les maisons,
une grotte mystérieuse, un couple d'inconnus planté dans la neige, nombre d'objets chargés de couleurs et de sens, et mille détails
ouvrant sur un ailleurs merveilleux. Les références discrètes, mais constantes, à l'univers biblique, au fantastique des contes, à
la mythologie classique et germanique se mêlent à l'imaginaire propre de l'auteur, qui fait dialoguer subtilement le visible et
l'invisible et qui sait donner vie à tous les plans de la réalité.
Des écrits de Bramante ne sont parvenus jusqu'à nous qu'un fragment de traité sur l'architecture, une brève missive et les vingt-cinq sonnets réunis ici, jamais traduits en français. Deux grandes thématiques se dégagent : la souffrance d'amour, traitée sur le mode pétrarquisant, et les demandes de soutien financier que le poète adresse à son mécène et ami, Gaspare Visconti.
Ces sonnets illustrent la richesse et la finesse du style de Bramante, certainement plus accompli que celui de Léonard, et témoignent de son goût du burlesque. Ils sont aussi un document précieux sur ce qu'on peut appeler la forma mentis, la « mentalité » d'un homme de la Renaissance.
La traduction française s'efforce de rendre justice à la forme canonique de ces sonnets, en optant pour un vers régulier et rimé, et en proposant parfois des variantes métriques.
Inédit en français, texte bilingue
La position de l'Allemagne impériale soucie Georg Simmel : où doit-elle se situer vis-à-vis de la catastrophe survenant dans la vieille Europe disloquée, et à l'heure de son « américanisation » ? Dans les textes de ce recueil réunis pour la première fois, Simmel s'exprime moins en universitaire qu'en penseur du lien social, à qui les formes et l'intensité de la guerre en cours imposent une difficile épreuve de vérité. Épreuve personnelle aussi, car la Grande Guerre oppose les philosophes de la même école de pensée - comme on le voit en lisant les pages de Simmel en regard des adresses de Bergson à ses collègues académiciens (rééditées aux PUF en 1972 par A. Robinet dans les Mélanges), puis à l'opinion américaine, lors de ses deux voyages aux États-Unis, en 1917.
Texte fondateur du féminisme américain, cet essai de 1843 est exemplaire du rejet transcendantaliste de toutes les formes d'oppression (notamment celle des noirs), de tradition, de convention, d'institution (telle que le mariage) et de limite à l'accomplissement de chacun. Brouillant les frontières de genre, Fuller insiste sur la nécessité de repenser profondément la structuration traditionnelle de l'organisation sociale en « deux sphères », pour que les femmes puissent réaliser leur propre nature. Elle est animée de l'espoir que les hommes seraient à leur tour libérés et élevés par la libération des femmes. Mêlant idéalisme et activisme, ce texte montre avec force comment la quête d'une identité personnelle et l'urgence de la vie peuvent s'épanouir en une revendication à caractère universel.
Premier roman psychologique italien, Fidélité (1840) parut la même année que l'édition définitive du principam roman du XIXe siècle en Italie,
Les Fiancés, d'Alessandro Manzoni, qui depuis sa première publication en 1827 s'imposait comme le seul modèle romanesque.
Pour le public français, la lecture de Fidélité offre l'occasion de découvrir
le regard, souvent impitoyable, d'un écrivain italien sur la France de la
monarchie de Juillet, car l'essentiel de l'action se déroule à Paris, Marseille,
Lyon, mais aussi Nantes, Quimper et Bastia. Des moeurs à l'architecture, de la
gastronomie à la vie politique, des paysages au "génie de la nation", la France
toute entière est passée au crible du jugement féroce de Tommaseo.
Par-delà
cet intérêt historique, le lecteur trouvera dans Fidélité un récit qui
explore des solutions narratives et une histoire d'amour poignante où la
sensualité et la passion finissent par innerver toute l'écriture. "Moitié jeudi
gras, moitié Vendredi saint", disait Manzoni de ce roman...
En 1926, trois ans après Cris, où sont rassemblées les nouvelles de la période du 4 mai 1919 (dont « Le Journal d'un fou »), Lu Xun publie Errances.
Si ce recueil est resté inédit en français, c'est sans doute qu'il correspondait trop peu à l'image idéologique qu'on s'est longtemps faite de son auteur.
Les onze nouvelles qui le composent sont en effet autant de variations sur l'errance des intellectuels chinois des années 1920, anciens lettrés devenus petits fonctionnaires,
piégés entre leurs souvenirs d'un passé rural familier mais cruel
et la modernité incertaine ou trompeuse des grandes villes occidentalisées où ils peinent à trouver une place.
À travers ces textes et l'essai « Les chemins divergents de la littérature et du pouvoir politique » que nous leur avons joint, le lecteur pourra
découvrir un autre Lu Xun, le moderniste hésitant, confronté à l'effondrement du monde traditionnel
qu'il a pourtant souhaité, mais dont ne semble sortir aucun nouvel ordre historique et politique.
En 1934, Gertrude Stein retourne aux États-Unis, son pays natal, après plus de trente ans d'exil, pour y donner une série de conférences. L'écrivain a alors soixante ans. Établie à Paris, elle y est connue pour sa collection d'art, son amitié avec Picasso, sa poésie réputée difficile. Elle est aussi nouvellement célébrée pour L'Autobiographie d'Alice Toklas, publiée en 1933, qui lui apporte une attention dont elle était jusque-là relativement frustrée. La tournée américaine durera huit mois et connaîtra un important succès ; Stein y expose ses idées sur la littérature en général et sur la sienne en particulier. À l'invitation de Thornton Wilder, universitaire et romancier, elle intervient à l'Université de Chicago pour quatre conférences qui sont publiées aux États-Unis dès 1935 sous le titre Narration, et sont traduites pour la première fois en français dans ce volume. Stein tente d'y définir ce qui constitue la spécificité de la littérature américaine, la ligne de séparation entre poésie et prose, les conditions de possibilité du récit. Elle ne propose cependant pas une théorie des genres ; la langue des conférences contourne l'explication académique, provoque plutôt la pensée par sa poésie propre.
Des rivages de Manhattan aux côtes de Long Island, la rumeur va bon train : et si la région regorgeait de trésors ? Enfouis par le capitaine Kidd et ses pirates à la fin du XVIIe siècle, ils attendent leur inventeur, avec le diable en embuscade. Quatrième et dernière partie des Contes d'un voyageur (1824), « Les déterreurs de trésors » met en scène, au fil de cinq récits enchâssés, les aventures burlesques de personnages en quête d'improbables richesses. Loin des pieuses légendes sur les ancêtres puritains, ce contre-récit des origines de New York nous fait remonter à la protohistoire du capitalisme en Amérique.
Édition de Thomas Constantinesco et Bruno Monfort
Publié pour la première fois à Paris en 1785, cet ouvrage constitue une encyclopédie des États-Unis d'Amérique au lendemain de la guerre d'Indépendance, écrite par un témoin et acteur majeur de l'histoire de la jeune nation. Animé par l'esprit scientifique des Lumières autant que par la passion politique, Jefferson dresse le portrait d'une Virginie conçue à l'image du pays tout entier. Mêlant fierté patriotique et vigilance citoyenne, il entendait non seulement légitimer l'indépendance du nouvel État mais conforter son expérience démocratique.
Traduit une première fois en français en 1786 dans une version qui suscita la colère de Jefferson, version devenue rapidement indisponible et jamais rééditée depuis, ce texte fondamental de Jefferson bénéficie d'une traduction entièrement nouvelle et conduite avec toute la rigueur requise, ainsi que d'une étude détaillée qui donnera enfin au public français accès au contexte historique et à la pensée de l'une des plus grandes figures de l'histoire intellectuelle et politique des États-Unis.
Parue en 1965 pour faire pièce à la réaffirmation d'un Japon en marche à l'approche du centenaire de Meiji, l'Histoire spirituelle du désespoir est une réécriture libre du parcours du Japon contemporain, de la fin du XIXe siècle jusqu'à la catastrophe de 1945, à équidistance entre l'essai historique, les mémoires personnels et l'anthologie poétique. Pour étayer son postulat d'un désespoir nippon conditionné par la géographie et l'histoire, Kaneko tire de ses souvenirs une série de personnages rencontrés à différentes étapes de sa vie, dont le dénominateur commun est la propension à l'échec. Les convictions libertaires et nihilistes de l'auteur, son existence aventureuse, au Japon, mais aussi en Europe, en Chine ou dans l'espace malais, écartent cette fresque expressionniste des sentiers battus. De la bohème de Tôkyô aux trafiquants de Singapour et aux artistes ratés de Paris, c'est là le portrait d'une société nippone méconnue, disparue dans l'absurde du totalitarisme et de la guerre.
Chaconne est un texte virtuose, composé, comme une oeuvre musicale, de « concertos pour phrase », d'une chaconne et d'une coda. L'auteur se plaît à perdre son lecteur dans les extases de la langue, là où le Verbe devient musique et la musique érotisme. Tout se passe durant un concert donné par un violoniste de renom : on retrouve, au fil du récit et au fil de leurs pensées, un professeur de violon que sa femme a quitté, un jeune violoniste qui a raté un concours à Vienne, le gardien de la salle de concert et surtout, figure centrale, Virginia, concertiste et professeur de violon, qui, à Vienne, a vécu de tout son corps un échange troublant, où extase esthétique et extase érotique se sont fondues. Édition de Marie VRINAT-NIKOLOV