Chaque époque affronte, à un moment de son histoire, son seuil mélancolique. De même, chaque individu connaît cette phase d'épuisement et d'érosion de soi. Cette épreuve est celle de la fin du courage. Comment convertir le découragement en reconquête de l'avenir ? Notre époque est celle de l'instrumentalisation et de la disparition du courage. Mais ni les démocraties ni les individus ne peuvent en rester à ce constat d'impuissance. Nul ne résiste à cet avilissement moral et politique. Il s'agit de surmonter ce désarroi et de retrouver le ressort du courage, pour soi, pour nos dirigeants si souvent contre-exemplaires, pour nos sociétés livrées à une impitoyable guerre économique. Le plus sûr moyen de s'opposer à l'entropie démocratique reste l'éthique du courage et sa refondation comme vertu démocratique. Dans cet essai enlevé, Cynthia Fleury rappelle qu'il n'y a pas de courage politique sans courage moral et montre avec brio comment la philosophie permet de fonder une théorie du courage qui articule l'individuel et le collectif. Car si l'homme courageux est toujours solitaire, l'éthique collective du courage est seule durable. Cynthia Fleury, philosophe, professeur à l'American University of Paris, travaille sur les outils de la régulation démocratique. Elle a publié de nombreux ouvrages, dont Les Pathologies de la démocratie (Fayard, 2005).
Stéphane Hessel, 94 ans, a dit Indignez-vous ! et Engagez-vous ! Ses appels ont touché près de deux millions de Français et été traduits partout en Europe. Edgar Morin, 90 ans, a indiqué La Voie (70 000 ex.) pour exposer en tous domaines de la vie sociale et politique la meilleure façon, selon lui, de « changer le changement », en cessant de ressasser les solutions éculées, partisanes ou en trompe-l'oeil. Grand résistant, Hessel a salué à maintes reprises en Morin son frère de lutte et le metteur en forme du soulèvement des consciences et de l'engagement qu'il préconise. Tous deux ont marié leur ardeur et leur réflexion dans ce manifeste appelant à l'imagination et à l'exigence citoyenne pour redonner un horizon à ce siècle, un avenir à cette planète, une espérance à tous ceux à qui elle est ici et maintenant refusée.
Ce livre part d'un constat simple, qui se présente comme une énigme : bien que parfaitement justifiées et nécessaires, les luttes pour l'émancipation des femmes sont pour la plupart restées sans conséquences. À l'inverse de conquêtes sociales résultant clairement de mobilisations diverses, l'évolution du statut des femmes dans la société n'a fait suite à aucune grève, aucune manifestation d'ampleur, aucun blocage. Et cependant nul ne peut nier que, même s'il leur en reste à parcourir, les femmes ont fait du chemin depuis un siècle et demi.
À la croisée de deux thématiques, le féminisme et la crise environnementale, Véra Nikolski pose l'hypothèse « matérialiste » que c'est l'enrichissement général de la société, le progrès technique et plus spécifiquement médical qui ont permis aux femmes de faire évoluer leur statut social et politique. Volontairement polémique, le titre lie donc sciemment l'amélioration du sort des femmes avec le vaste processus historique enclenché à la révolution industrielle et dont on sait aujourd'hui qu'il fait peser des risques immenses sur notre environnement. Et ce afin de mettre les femmes en garde : la déstabilisation du climat et la crise des ressources ne menacent-elles pas de fragiliser voire d'inverser le mouvement d'égalisation ? Et dans ce cas ne faudrait-il pas abandonner la logique de réclamation qui caractérise le féminisme actuel pour mener le combat sur d'autres terrains ?
Issue d'une famille de scientifiques, Véra Nikolski est normalienne, titulaire d'un DEA de sciences sociales et d'un doctorat en science politique. Mère de trois filles et ancienne pratiquante d'arts martiaux, elle travaille dans la fonction publique.
Quand on pense à nos ancêtres homininés, on les imagine vivant dans la savane. Certainement pas dans des forêts tropicales, qu'on juge improductives à cause de leurs sols médiocres, des risques naturels mortels, de la présence d'animaux insaisissables et des climats extrêmes.Et pourtant, les forêts tropicales ont été essentielles à la vie sur toute la surface de la Terre, depuis l'apparition des premières plantes il y a des millions d'années, puis l'évolution des dinosaures et des premiers mammifères. Elles ont servi de pépinières à nos ancêtres qu'elles ont biologiquement façonnés. Elles ont abrité certaines des plus grandes villes préindustrielles du monde comme Angkor. Elles ont vu se développer des pratiques d'agriculture propres. Aujourd'hui encore, elles sont primordiales dans la régulation des phénomènes atmosphériques. Sans parler de leur rôle dans la production de la majorité de nos biens de consommation !Mais l'Anthropocène, qui a commencé dans ces mêmes forêts il y a six mille ans avec l'activité humaine, pourrait bientôt faire basculer ce fragile équilibre.S'appuyant sur les dernières découvertes en biologie, botanique, climatologie, histoire et anthropologie, l'archéologue Patrick Roberts trace une histoire du monde selon ses jungles. Seule cette compréhension renouvelée permet de réagir de manière adaptée aux enjeux actuels de protection du climat et de la biodiversité qui nous concernent tous. À trente-deux ans, Patrick Roberts est directeur du laboratoire d'isotopes stables du département d'archéologie à l'Institut Max Planck. Couronné par plusieurs prix, membre de l'Académie européenne des sciences, il a publié son premier livre en 2019. Au-delà des interactions entre l'homme et la forêt tropicale, il s'intéresse à la relation entre changement climatique et changement culturel de notre espèce. Traduit de l'anglais par Odile Demange
Parce que, depuis plusieurs décennies maintenant, la gauche ne cesse de stagner, de régresser, de perdre les combats qu'elle engage, il est nécessaire d'interroger nos
stratégies, nos modes de pensée et nos manières de lutter.
À quelles conditions les forces progressistes peuvent-elles redevenir puissantes politiquement ?
Militants écologistes, Gilets jaunes, féministes, ONG... beaucoup cherchent aujourd'hui des solutions en dehors de l'État plutôt que dans l'action publique. Comment en est-on arrivé là ? L'État-providence a-t-il cédé la place à un État au service du marché ?Anne-Laure Delatte est partie à la recherche de données sur l'action publique en France depuis l'après-guerre. En les croisant et les mettant en perspective, elle éclaire avec brio soixante-dix ans d'histoire économique. Elle aborde de manière originale comment les politiques publiques ont été réparties entre les citoyens et les entreprises. Complémentaire aux travaux sur la justice fiscale et les inégalités du capital, cette approche permet de comprendre les conséquences d'une telle distribution de l'argent public sur notre régime de croissance et explique son insoutenabilité.En pratiquant l'économie comme une science sociale, l'autrice analyse la méfiance des citoyens face à un État incapable d'oeuvrer pour un régime respectueux de notre planète et inadapté aux changements qui s'opèrent sous nos yeux. Surtout, elle propose des moyens de rebâtir l'action publique dès à présent pour affronter la crise la plus existentielle de notre histoire.
Ce livre s'adresse à ceux qui croient en la littérature, parce qu'elle présente des vérités inaccessibles à la philosophie et aux sciences humaines. La raison, si elle est conséquente avec elle-même, ne peut nous donner d'autre horizon que le néant après la mort, et les néants qu'elle ne cesse de semer dans son « progrès » depuis que l'humanité en a fait son culte. Ramener la raison à ce qu'elle est, à savoir une simple procédure efficace de pensée, l'enrichir par d'autres ressources de notre imagination afin d'ouvrir de nouveaux horizons à notre existence : voilà le propos de Pascal. Pour l'établir, il est nécessaire de se débarrasser des clichés : Pascal janséniste, Pascal apologiste, Pascal « effrayant génie ». Cet essai original s'emploie à dégager la constante de son travail, qu'il s'intéresse à la géométrie, à la Bible ou aux affaires humaines : la pensée figurative. Celle-ci consiste à placer devant nos existences présentes un horizon figuré qui leur donne sens. Ainsi réorientés passons-nous de l'existence à la vie vraie.
Hubert Aupetit est agrégé de mathématiques et de lettres modernes, et docteur ès lettres. Il est l'auteur d'ouvrages de météorologie, d'aéronautique, de littérature et de philosophie. Il écrit aussi des romans, sous une autre identité.
Le sentiment de « malaise dans la civilisation » n'est pas nouveau, mais il a retrouvé aujourd'hui en Europe une intensité sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. La saturation de l'espace public par des discours économiques et identitaires est le symptôme d'une crise dont les causes profondes sont institutionnelles. La Loi, la démocratie, l'État, et tous les cadres juridiques auxquels nous continuons de nous référer, sont bousculés par la résurgence du vieux rêve occidental d'une harmonie fondée sur le calcul. Réactivé d'abord par le taylorisme et la planification soviétique, ce projet scientiste prend aujourd'hui la forme d'une gouvernance par les nombres, qui se déploie sous l'égide de la « globalisation ». La raison du pouvoir n'est plus recherchée dans une instance souveraine transcendant la société, mais dans des normes inhérentes à son bon fonctionnement. Prospère sur ces bases un nouvel idéal normatif, qui vise la réalisation efficace d'objectifs mesurables plutôt que l'obéissance à des lois justes. Porté par la révolution numérique, ce nouvel imaginaire institutionnel est celui d'une société où la loi cède la place au programme et la réglementation à la régulation. Mais dès lors que leur sécurité n'est pas garantie par une loi s'appliquant également à tous, les hommes n'ont plus d'autre issue que de faire allégeance à plus fort qu'eux. Radicalisant l'aspiration à un pouvoir impersonnel, qui caractérisait déjà l'affirmation du règne de la loi, la gouvernance par les nombres donne ainsi paradoxalement le jour à un monde dominé par les liens d'allégeance.
« Lorsque j'étais enfant, j'apprenais la "théorie musicale" dans de petits manuels (je ne sais pas s'ils existent encore) partagés en deux : le livret vert des questions et celui rouge des réponses. La première leçon de la première année était la suivante : "Qu'est-ce que la musique ?" ; et sur le livret rouge, il était écrit : "La musique est l'art des sons". Quel ne fut pas mon éblouissement, à l'âge de huit ans, en découvrant cette définition. Je ne sais pas si ce fut mon entrée dans la "théorie musicale", mais je crois que ce fut mon entrée en philosophie. Il y avait dans cet énoncé tout le pouvoir magique des formules définitionnelles. Elle concentrait en quelques mots simples le mystère des choses impalpables. Je n'ai guère changé d'opinion : la musique est bien l'art des sons. »De cette définition banale, « la musique est l'art des sons », ce livre tire toutes les conséquences jusqu'aux plus éloignées. Chemin faisant, il répond aux questions que nous nous posons sur la musique et sur les arts. Pourquoi, partout où il y a de l'humanité, y a-t-il de la musique ? Pourquoi la musique nous fait-elle danser ? Et pourquoi nous émeut-elle parfois ? Qu'exprime la musique pure ? Représente-t-elle quelque chose ? Et qu'est-ce que la beauté ? Est-elle dans les choses ou en nous ? Pourquoi tous les êtres humains font-ils des images, des récits, des musiques ? Que nous disent du monde réel ces mondes imaginaires ?
Les questions les plus simples sont souvent les plus profondes. Aucun livre sur la musique ou sur les arts ne les pose avec cette tranquillité et cette originalité.Francis Wolff est philosophe, professeur à l'École normale supérieure (Paris). Il est notamment l'auteur de Socrate (PUF, 2000), Dire le monde (PUF, 2004), Philosophie de la corrida (Fayard, 2007) et Notre humanité (Fayard, 2010). Il a consacré une part importante de son enseignement à la musique.
Abécédaire buissonnier, ce livre propose une sorte de portrait ou plus exactement une mythographie qui donne à voir et à sentir le pouls de l'Afrique. Un très grand continent dont la puissance culturelle est en train de se déployer sous nos yeux. Hier minorées, voire moquées, la voix et l'importance du Continent dans les affaires planétaires sont aujourd'hui indéniables. L'Afrique est en passe d'imposer une griffe, un style, une manière d'être au monde et en relation avec le reste du monde.
Dans ce dictionnaire tour à tour informatif, ludique, drôle, sérieux, Alain Mabanckou et Abdourahman Waberi entonnent un chant d'amour à l'Afrique, à ses habitants d'hier et d'aujourd'hui, à ses ressources exceptionnelles et à sa spectaculaire planétarisation.
Finaliste du Man Booker International Prize, Prix Renaudot 2006 pour Mémoires de porc-épic, Alain Mabanckou est l'auteur de plusieurs romans à succès traduits dans le monde entier, dont Verre cassé, Black Bazar, Petit piment, Les Cigognes sont immortelles. On lui doit également des essais très remarqués (Lettre à Jimmy, Le Sanglot de l'homme noir, Le monde est mon langage). En 2016 il a été nommé professeur au Collège de France à la Chaire de création artistique. Depuis une quinzaine d'années il réside à Los Angeles où il est professeur titulaire de littérature d'expression française à l'université de Californie-Los Angeles (UCLA).
Abdourahman A. Waberi est né en 1965 à Djibouti. Romancier, poète et essayiste, Grand Prix littéraire de l'Afrique noire 1996, ancien pensionnaire de l'Académie de France à Rome-Villa Médicis, il enseigne depuis 2012 les littératures d'expression française et la création littéraire à l'université George Washington (Washington DC) et collabore notamment au Monde. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages primés comme le roman panafricain Aux États-Unis d'Afrique (Lattès, 2006). Son oeuvre est traduite dans une douzaine de langues.
La démocratie n'existe pas. Elle reste à inventer.
Loin d'être un refus de la politique, la crise actuelle de la démocratie représentative se manifeste par le combat de citoyens demandant davantage de démocratie, de participation et d'égalité.
Libres et égaux en voix propose ainsi de donner une voix et des places à celles et ceux qui en ont été trop longtemps privés : les femmes, les classes populaires, les minorités. D'abord en repensant notre système électoral et en garantissant la représentation parmi les parlementaires de la réalité de la société. Ensuite en proposant un nouvel équilibre entre la démocratie représentative et un usage raisonné du référendum. Enfin en donnant aux citoyens les moyens de reprendre le contrôle des partis, des médias et de la philanthropie, afin de dessiner un nouvel horizon politique égalitaire.
En tant que chercheuse et citoyenne, Julia Cagé renouvelle en profondeur la réflexion sur l'égalité politique dans un plaidoyer armé de propositions concrètes pour changer les règles du jeu politique. Nous pouvons faire mieux que le monde dans lequel nous vivons ; fini de rêver, voici venu le temps d'agir !
Professeure d'économie à Sciences Po Paris, Julia Cagé est l'autrice de Sauver les médias (Seuil, 2015) et Le prix de la démocratie (Fayard, 2018), qui a reçu le prix Pétrarque de l'essai Le Monde/France Culture.
Dans ce séminaire qui s'adresse à tous et ne suppose rien,Marc Crépon lit et nous fait lire Monolinguisme de l'autre un texte bref, paradoxal et terriblement actuel de Jacques Derrida.
Il s'agit, tout compte fait, de « l'enjeu politique de ce temps » : comment défendre la différence linguistique, celle du français comme celle du moldave ou de l'ukrainien, sans céder au nationalisme ? Je n'ai qu'une langue, écrit Jacques Derrida, et ce n'est pas la mienne. Il faut comprendre comment et pourquoi « une langue, ça n'appartient pas ». À partir de ce constat : l'identité, telle que fantasmée et revendiquée par certains discours nationalistes, est une fiction, Marc Crépon propose une éthique et une politique du dire, de l'écrire, du traduire.
La vie, la folie, les mots : trois femmes s'en sont faites les exploratrices lucides et passionnées en engageant leur existence autant que leur pensée, et en éclairant pour nous les enjeux majeurs de notre temps : Hannah Arendt (1906-1975), Melanie Klein (1882-1960) et Colette (1873-1954). Les trois volumes de cet ouvrage, dont voici le premier, se proposent d'en retracer l'aventure.
L'impact de certaines oeuvres ne se traduit pas à la somme de leurs éléments. Il dépend de l'incision historique qu'elles opèrent, de leurs répercussions et de leurs suites, de notre réception. Quelqu'un s'est trouvé à cette intersection, en a cristallisé les chances : le génie est ce sujet-là. Trois femmes extraordinaires ont ainsi marqué l'histoire de ce siècle. Mais qu'est-ce qui fait la singularité de chacune ?
Hannah Arendt, philosophe et politologue, est tout entière prise dans une méditation sur la vie qui demeure notre ultime après la crise des religions et idéologies. Vie menacée, vie désirable : mais quelle vie ? Face aux camps des deux totalitarismes, c'est sur le miracle de la natalité que se concentre l'oeuvre de cette rescapée du nazisme qui, en discussion avec Heidegger, et en rejetant l'automatisation moderne de l'espèce, pose des jalons d'une action politique envisagée en tant que pluralité vivante : comme naissance et comme étrangeté. Une utopie ? A moins que ce ne soit une manière de pardon, et donc une promesse.
Julia Kristeva a publié chez Fayard Etrangers à nous-même, Les nouvelles Maladies de l'âme, Sens et non-sens de la révolte, La révolte intime, ainsi que trois romans : Les Samouraïs, Le Vieil Homme et les loups, Possessions.
La présence à soi et aux autres constitue la voie privilégiée permettant au sujet d'éprouver le sentiment d'exister dans la confiance et la paix. C'est seulement lorsqu'il est en lien avec ceux qui l'entourent, qu'il peut s'épanouir, se donner et recevoir. En revanche, s'il est physiquement là mais psychologiquement absent, ailleurs ou nulle part, prisonnier du passé ou aimanté par l'avenir, il s'éjecte du temps présent. L'absence à soi se manifeste aussi par l'instabilité, l'empressement, l'indécision et l'ambivalence. Dans cet ouvrage Moussa Nabati cherche à répondre, à travers trois témoignages archétypaux, à deux questions fondamentales : Quels sont le sens et l'origine de cette absence à soi ? Comment habiter son présent ? Pour lui, ce dysfonctionnement renvoie à l'existence d'une carence matricielle ancienne, en raison de l'indisponibilité psychologique de la mère : immature, dépressive ou rejetante. Cela crée, chez l'enfant, une DIP (Dépression Infantile Précoce), un vide responsable, à l'âge adulte, de l'absence du sujet à lui-même mais aussi à la vie. Il aura dès lors tendance à fuir les circonstances lui rappelant ce manque et à rechercher, de manière excessive, la chaleur et la fusion afin de combler son vide.
L'auteur propose ensuite, à travers son nouveau concept de « compréhension incarnée » des pistes d'évolution concrètes : réhabiliter ses parents intérieurs pour réussir à se comporter vis-à-vis de soi telle une mère aimante et comme un père protecteur, s'aimer en se fixant des limites, pour jouir sereinement du présent.
« Qui augmente sa connaissance augmente son ignorance » disait Friedrich Schlegel.
« Je vis de plus en plus avec la conscience et le sentiment de la présence de l'inconnu dans le connu, de l'énigme dans le banal, du mystère en toute chose et, notamment, des avancées d'une nouvelle ignorance dans chaque avancée de la connaissance » nous dit Edgar Morin.
Ainsi a-t-il entrepris dans ce livre de patrouiller dans les territoires nouveaux de la connaissance, où se révèle un trio inséparable : connaissance ignorance mystère.
A ses yeux, le mystère ne dévalue nullement la connaissance qui y conduit. Il nous rend conscient des puissances occultes qui nous commandent et nous possèdent, tels des Daimon intérieurs et extérieurs à nous. Mais, surtout, il stimule et fortifie le sentiment poétique de l'existence.
Un extraordinaire paradoxe caractérise notre époque.
D'une part, jamais la connaissance du passé n'a été aussi faible, aussi dévalorisée, y compris par les gouvernements : en témoignent le lieu commun selon lequel la connaissance du passé ne sert à rien dans une société moderne, le dégraissement progressif des programmes scolaires en histoire.
Mais, d'autre part, jamais le passé n'a été autant investi symboliquement. Depuis une vingtaine d'années, cet investissement était surtout le fait des pouvoirs publics, sans oublier la vigilance extrême avec laquelle les régimes autoritaires, de la Chine à la Russie en passant par la Turquie ou la Hongrie, etc., cherchent à contrôler la mémoire publique. Mais depuis quelques années, avec le phénomène de la cancel culture et du wokisme, cet investissement vient de la société elle-même. Le débat fait rage depuis lors, entre deux minorités : celle des militants qui veulent tout changer, celle des gens de pouvoir, naturellement conservateurs. Les polémiques fleurissent, les noms d'oiseaux aussi, à proportion de l'ignorance.
Pierre Vesperini cherche à comprendre ce que signifie le mouvement de la cancel culture, les questions qu'il nous pose, et nous propose des solutions. Comme à son habitude, il travaille à partir de l'expérience historique concrète, et non de préjugés idéologiques ou d'abstractions théoriques. Le livre est donc constitué de trois enquêtes très précises, qui permettent d'aborder avec toute la clarté et la lucidité requise trois questions générales brûlantes aujourd'hui :Celle de la mémoire historique, à propos des statues qu'on déboulonne ou des noms qu'on supprime des institutions, monuments, etc.Celle de la culture esthétique (littérature, art, musique, etc.), à propos de la présence grandissante des trigger warnings ;Celle de la place de l'Antiquité classique aujourd'hui, à propos de la fin de l'enseignement obligatoire du latin et du grec au département de Classics de Princeton.
Reconnaître la contribution majeure de quelques femmes exceptionnelles qui, de leur vie et leur oeuvre, ont marqué l'histoire de ce siècle, est un appel à l'unicité de chacun de nous, au dépassement de soi. Car au temps de la massification succède aujourd'hui le souci de singularité. Le Génie féminin s'inscrit dans cette perspective. Après Hannah Arendt : la vie, et avant Colette : les mots, voici Melanie Klein : la folie.
Adorée jusqu'au fanatisme dogmatique par ses disciples, honnie par ses détracteurs, Melanie Klein (1882-1960) apparaît comme la novatrice la plus originale de la psychanalyse. Alors que Freud centre la vie psychique du sujet sur l'épreuve de la castration et la fonction du père, Melanie Klein - sans les ignorer - les étaie d'une fonction maternelle, absente dans la théorie du fondateur. Pourtant, la mère ainsi révélée est loin de s'ériger en objet de culte, comme le prétendent trop facilement ses adversaires. Car c'est bien au matricide que Melanie Klein fut la première à penser. Capable dès la naissance d'un lien à l'objet (le sein, la mère), et habité de fantasmes aussi violents que réparateurs, l'enfant selon Melanie Klein a ouvert de nouveaux horizons à la clinique de la psychose et de l'autisme.
Pour avoir entendu plus nettement que quiconque l'angoisse, cette onde porteuse du plaisir, et élu le transfert et l'imaginaire comme terrains privilégiés de l'expérience analytique, Melanie Klein a fait de la psychanalyse un art de soigner la capacité de penser. Son oeuvre la situe ainsi au coeur le l'humanité pensante et de la crise moderne de la culture.
Julia Kristeva a publié aux éditions Fayard Etrangers à nous-mêmes, Les Nouvelles Maladies de l'âme, Sens et non-sens de la révolte, t. I et t. II, Le Génie féminin, t. I, Hannah Arendt, ainsi que trois romans : Les Samouraïs, Le Vieil Homme et les loups, Possessions.
Voici l'histoire, presque le roman vrai, de James et Alix Strachey, passeurs de la psychanalyse en langue anglaise au début des années 1920. Ils appartiennent au groupe de Bloomsbury, une bande d'intellectuels et d'artistes dont Virginia Woolf et son mari Leonard, fondateur des éditions Hogarth, deviendront les figures phares.
James Strachey et sa femme Alix partent à Vienne en 1920 se former auprès de Freud à la psychanalyse et à la traduction. L'entente avec le fondateur est immédiate. Il leur confie des textes à traduire et discute avec eux du choix des termes. De retour à Londres, le couple achève la traduction des Cinq Psychanalyses de cas de Freud et la publie au coeur du Bloomsbury littéraire : à la Hogarth Press.
De façon inattendue, vingt ans plus tard, en 1946, l'aventure de traduction reprend. Après la mort de Freud, son fils Ernst souhaite une édition complète de référence et pressent James Strachey et Leonard Woolf, seuls à la hauteur de cette tâche pharaonique. A soixante ans, James, devenu un psychanalyste renommé, accepte de tout abandonner pour s'y consacrer, mais pas sans. Ce sera la Standard Edition en 24 volumes, achevée en 1966. Le rêve de Freud est exaucé : il est devenu un auteur anglais.
Cet ouvrage est à ce jour la seule et unique introduction au chef-d'oeuvre, sans égal même en allemand, que constitue la Standard Edition.
Henriette Michaud, psychanalyste, membre du Cercle freudien, angliciste et germanophone, déchiffre et met en scène le lien intime qui unit Freud aux Anglais et à la langue anglaise, dans Les Revenants de la mémoire, Freud et Shakespeare (PUF, 2011), Freud éditeur, les Almanachs de la psychanalyse, 1925-1938 (Campagne Première, 2015).
Vous en avez assez des étrangers? Vous êtes vous-même un étranger? Ou bien vous sentez-vous étranger dans votre propre pays? Ce livre s'adresse à vous, à votre douleur, à votre agacement.
A l'heure où la France devient le melting pot de la Méditerranée, une question se pose, qui est la pierre de touche de la morale pour le XXIe siècle: comment vivre avec les autres, sans les rejeter et sans les absorber, si nous ne nous reconnaissons pas " étrangers à nous-mêmes "?
Ce livre invite à penser notre propre façon de vivre en étranger ou avec des étrangers, en restituant le destin de l'étranger dans la civilisation européenne: les Grecs avec leurs " Métèques " et leurs " Barbares "; les Juifs inscrivant Ruth la Moabite au fondement de la royauté de David; saint Paul qui choisit de prêcher en direction des travailleurs immigrés pour en faire les premiers chrétiens, sans oublier Rabelais, Montaigne, Erasme, Montesquieu, Diderot, Kant, Herder, jusqu'à Camus et Nabokov qui ont chacun médité avant nous les merveilles et les malaises de la vie étrangère. Au coeur de cet avenir cosmopolite: les Droits de l'Homme sous la Révolution française, qui commence par honorer les étrangers avant de faire tomber la Terreur sur leurs têtes. En contrepoint: le nationalisme romantique et, pour finir, totalitaire. L'" inquiétante étrangeté " de Freud conclut ce parcours en suggérant une nouvelle éthique: ne pas " intégrer " l'étranger, mais respecter son désir de vivre différent, qui rejoint notre droit à la singularité, cette ultime conséquence des droits et des devoirs humains.
Le discours n'est pas seulement un message destiné à être déchiffré; c'est aussi un produit que nous livrons à l'appréciation des autres et dont la valeur se définira dans sa relation avec d'autres produits plus rares ou plus communs. L'effet du marché linguistique, qui se rappelle à la conscience dans la timidité ou dans le trac des prises de parole publiques, ne cesse pas de s'exercer jusque dans les échanges les plus ordinaires de l'existence quotidienne: témoins les changements de langue que, dans les situations de bilinguisme, sans même y penser, les locuteurs opèrent en fonction des caractéristiques sociales de leur interlocuteur; ou, plus simplement, les corrections que doivent faire subir à leur accent, dès qu'ils sont placés en situation officielle, ceux qui sont ou se sentent les plus éloignés de la langue légitime.
Instrument de communication, la langue est aussi signe extérieur de richesse et un instrument du pouvoir. Et la science sociale doit essayer de rendre raison de ce qui est bien, si l'on y songe, un fait de magie: on peut agir avec des mots, ordres ou mots d'ordre. La force qui agit à travers les mots est-elle dans les paroles ou dans les porte-parole? On se trouve ainsi affronté à ce que les scolastiques appelaient le mystère du ministère, miracle de la transsubstantiation qui investit la parole du porte-parole d'une force qu'elle tient du groupe même sur lequel elle l'exerce.
Ayant ainsi renouvelé la manière de penser le langage, on peut aborder le terrain par excellence du pouvoir symbolique, celui de la politique, lieu de la prévision comme prédiction prétendant à produire sa propre réalisation. Et comprendre, dans leur économie spécifique, les luttes les plus éloignées, en apparence, de toute rationalité économique, comme celles du régionalisme ou du nationalisme. Mais on peut aussi, à titre de vérification, porter au jour l'intention refoulée de textes philosophiques dont la rigueur apparente n'est souvent que la trace visible de la censure particulièrement rigoureuse du marché auquel ils se destinent.
P. B.
Le couple est une danse. Les amants évoluent ensemble et le tempo qui berce leur mouvement est scandé de crises et, souvent, d'insatisfactions. Aujourd'hui, on attend tout, parfois trop, du couple. Pourtant, la vie à deux n'est pas un conte de fées, l'amour ne suffit pas à garantir le bonheur ni l'épanouissement que l'on recherche.
Un pacte inconscient, des règles implicites, des mythes familiaux et des fantômes scellent les partenaires à leur insu. Les remises en question sont inévitables. Mais c'est à ce prix que le couple évolue : il se nourrit de ses propres crises.
A travers des histoires de couples au bord de la rupture venus le consulter, Serge Hefez, thérapeute conjugal et familial, raconte et explique ce pas de deux qui confronte, entrechoque et fait valser un homme et une femme, deux hommes ou deux femmes, avec ou sans enfants. Il dévoile les coulisses et les enjeux de la vie à deux.
Ce livre est un plaidoyer pour le couple. Ni moralisateur, ni attaché à la tradition, il montre comment, lorsque deux personnes prennent le risque de transformer une relation, cette relation possède à son tour le pouvoir de les transformer.
« Cet ensemble de textes tente, sans chercher à être systématique, de rendre compte de la conjoncture idéologique et politique actuelle, tant à échelle du monde qu'a échelle de la France. Il ne s'agit nullement de "raconter" les diverses péripéties factuelles qui font la une des journaux. Mais plutôt, en nous armant de quelques notions utiles, créées pour l'essentiel au cours des trois derniers siècles, de comprendre ce qui se passe. » A. B.
« Cela a duré six ans.
Pourquoi ce travail presque maniaque à partir de Platon ? C'est que c'est de
lui que nous avons prioritairement besoin aujourd'hui : il a donné l'envoi
à la conviction que nous gouverner dans le monde suppose qu'un accès à
l'absolu nous soit ouvert.
Je me suis donc tourné vers La République, oeuvre centrale du Maître
consacrée au problème de la justice, pour en faire briller la puissance
contemporaine. Je suis parti du texte grec sur lequel je travaillais déjà avec
ardeur il y a cinquante-quatre ans.
J'ai commencé par tenter de le comprendre, totalement, dans sa langue. Je
me suis acharné, je n'ai rien laissé passer ; c'était un face-à-face entre le
texte et moi. Ensuite, j'ai écrit ce que délivrait en moi de pensées et de
phrases la compréhension acquise du morceau de texte grec dont j'estimais
être venu à bout. Peu à peu, des procédures plus générales sont apparues :
complète liberté des références ; modernisation scientifique ; modernisation
des images ; survol de l'Histoire ; tenue constante d'un vrai dialogue,
fortement théâtralisé. Évidemment, ma propre pensée et plus généralement
le contexte philosophique contemporain se sont infiltrés dans le traitement
du texte de Platon, et sans doute d'autant plus quand je n'en étais
pas conscient.
Le résultat, bien qu'il ne soit jamais un oubli du texte original, pas même
de ses détails, n'est cependant presque jamais une "traduction" au sens
usuel. Platon est omniprésent, sans que peut-être une seule de ses phrases
soit exactement restituée. J'espère être ainsi parvenu à combiner
la proximité constante avec le texte original et un éloignement radical, mais
auquel le texte, tel qu'il peut fonctionner aujourd'hui, confère généreuse-
ment sa légitimité.
C'est cela, après tout, l'éternité d'un texte. » Alain Badiou
« Le séminaire des années 2004 à 2007 s'articule à la fois à une conjoncture et à une oeuvre en cours : une contre-révolution libérale victorieuse depuis la deuxième moitié des années 1990 et une théorie de la singularité des mondes telle que déployée dans Logiques des mondes, qui paraît en 2006.
Pour autant que l'adversaire libéral de toute vérité l'emporte provisoirement, la pensée supporte une dure désorientation. Pour autant qu'il s'agit de penser ce qu'est un monde, et notamment le nôtre - celui de la désorientation -, la tâche est de repérer les appuis pour s'y orienter vers la naissance de vérités neuves. Le but est donc bien de "s'orienter dans la pensée, s'orienter dans l'existence". D'où que les matériaux examinés dans ce séminaire sont fortement marqués par leur contemporanéité. Ils doivent en effet témoigner de la singularité du monde contemporain. »
A. B.