Je manoeuvre nerveusement, faisant crisser les pneus. Je repars. Je ne retrouverai pas Roger Vailland dans la maison de Chavannes, qu'elle soit celle que j'ai vue en premier ou bien celle-ci. Je suis seul dans cette espèce de patelin pourri où, finalement, je n'apprendrai rien d'autre sur Vailland et encore moins sur mon père. Il y a, par intervalles irréguliers, des moments où rejaillit la solitude. Après un amour, après une foi, après une épreuve, il en est toujours de même, on se retrouve seul. « Nous sommes tous seuls. Et nous ne sommes pas seuls à cause des circonstances, pas parce que nous sommes des illégaux : l'homme est toujours seul. »
- On peut tout demander à son père, n'est-ce pas, David ? Sauf la lune, bien sûr... « Papa était revenu des États-Unis pour mes dix ans avec la promesse d'un cadeau. J'imaginais tout. Le plus beau. Pourquoi pas ? Le plus évident pour mes dix ans. Le train électrique de mes rêves. » « À l'époque, beaucoup d'Américains, étaient persuadés que non seulement ils marcheraient un jour sur la lune, mais qu'ils seraient les premiers à y vivre. Aux studios d'Hollywood, quelques types avaient monté une opération financière qui consistait à vendre, donc à acheter, des surfaces de lune. » « Papa rentrait de Santa-Monica, heureux possesseur d'une acre de lune dont un acte officiel me rendait propriétaire. Tel fut le cadeau de mes dix ans. » « Je ne sais ce qu'est devenu le document... Le symbole a grandi en moi. Il y vit. » « Nous savons je crois, vous et moi, qu'une seule acre de lune peut nous sauver, parfois, du désespoir. »
Si vous voulez connaître un homme, regardez le marcher, regardez son allure quand il s'approche de vous. Yvon Le Men s'avance les bras ouverts, les mains légèrement posées sur les épaules de ceux qu'il a un jour aimés. Pas un seul. Il n'en a pas oublié un seul et sa solitude est faite de cette mémoire-là, éblouie. Et voici maintenant qu'il parle - je veux dire : qu'il écrit, car parler, écrire, aimer, perdre sont chez lui consanguins. Il appelle chaque parcelle du monde par le nom qui lui est dû. Elle vient vers lui. Il la recueille au creux de ses mains et la donne à manger à ses morts. À présent il se tourne vers les vivants et leur offre le plus rouge de sa langue - la beauté immédiate d'un silence. Puis tous s'en vont ensemble, ceux du passé, ceux du présent, et la page tremble d'une vie à venir, inoubliable. Écoutez-la, écoutez-le, mangez le livre. Christian Bobin. L'aube, c'est l'instant où se lève la parole - et avec elle toute lumière. Dehors il fait froid. On ouvre la fenêtre, on jette du sel aux anges, quelques questions aux écrivains. Ils y répondent avec cette voix qui n'est plus celle de la vie courante, pas encore celle de l'écriture, avec cette voix faible - courante sous la cendre, tremblante sous la page.
L'intensité bouleversante de certaines pièces de Franz Schubert est à l'origine des premiers poèmes de ce livre, hommage lointain, presque imperceptible, rendu à cette musique, la plus fraternelle qui soit. Personne autant que ce musicien n'a su donner une forme aussi profonde à l'angoisse de notre condition : être voué à l'amour de ce qui s'en va, à la nostalgie de ce qui n'est plus. Si tout poème est, au fond, une élégie, cette oeuvre, foncièrement élégiaque, est l'une des plus proches de la poésie : un chant de vivre qui est mourir, un adieu prolongé à la beauté des choses.
De toute façon c'était dit, Paco voulait devenir Apollinaire, et ça je m'en souviens depuis l'enfance, même si notre père voyait cela d'un mauvais oeil la poésie, les bouts de rime. « Et ça rime à quoi ? », qu'il disait. Ahmed Kalouaz Une oeuvre d'homme n'est rien d'autre que ce long cheminement pour retrouver, par les détours de l'art, les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le coeur, une première fois, s'est ouvert. Albert Camus
Maintenant que la passion maternelle n'est plus qu'un souvenir, me reste cela : la passion de l'enfance par où l'enfance à travers chaque enfant particulier qui croise ma route est susceptible de me capter, de me happer vers le fond du labyrinthe, pour y rejoindre non pas la sortie, mais la fracture minuscule et insondable par où tout a commencé.
L'amour physique peut-il déboucher sur une communion des âmes, ou est-ce seulement deux corps qui se cherchent et se trouvent ?
« Traverser l'écriture de Jacques Roman, c'est s'avancer dans une quête acharnée. Et cheminer dans son inconfortable mesure des choses et du monde, dans l'espace constamment remis en question de celui qui violemment énonce.
Un impérieux besoin agit en ces pages : la parole de l'être contraint. » Jean-Dominique Humbert
« Une oeuvre d'homme n'est rien d'autre que ce long cheminement pour retrouver, par les détours de l'art, les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le coeur, une première fois, s'est ouvert. » Albert Camus
Ces « Lettres vénissianes » sont parues dans les pages du Progrès-Dimanche, entre 1985 et 1988. Son auteur, René Forestier, les signait de ses deux prénoms, René Vincent. Il est de ceux qui pensent que la connaissance d'une ville passe par la mémoire. Donc par celle des hommes qui l'ont faite, l'ont nourrie de leur travail, de leur vie, de leur espoir, de leur folie aussi. Mais il est aussi de ceux qui pensent, comme Joseph Joubert, que l'histoire est bonne à oublier, c'est pour cela qu'elle est bonne à savoir. Il est de ceux qui pensent qu'il faut s'étonner des enfants qui grandissent, des petits-enfants qui viennent au monde, des arbres qui poussent... Il est de ceux qui pensent qu'il est bien de ne pas toucher à mon pote, mais aussi de ne pas toucher à ceux qui ne sont pas mon pote. Il est de ceux qui ravivent les émotions. Excusez-moi de m'être laissée épancher si longuement sur « mes souvenirs », mais c'est de votre faute ; vous êtes si près de nous... lui fait remarquer une lectrice à la fin d'un très long courrier.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Un jour, quelqu'un écrira un texte qui te ressemble, un texte impossible avec l'impossible de ton sourire et de ta présence.
Dominique SAMPIERO
Une oeuvre d'homme n'est rien d'autre que ce long cheminement pour retrouver, par les détours de l'art, les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le coeur, une première fois, s'est ouvert.
Albert CAMUS
L'adieu au siècle. Car, s'en allant, le siècle ne fait pas table rase. Il nous laisse les villes à faire chanter, danser et vivre.
Jacques Ancet invente une écriture très originale, toute en spirales et en circonvolutions, afin de mieux restituer la trame serrée de l'existence, de mieux capter le fragile équilibre du monde : une polyphonie fluide, un kaléidoscope où s'engouffrent toutes les bribes du quotidien, les objets, les corps, les voix, les désirs, les gestes et les émotions, le flot vivant du réel. Ses textes introduisent en littérature une sorte de "pointillisme" très subtil.
Musiques urbaines, musiques plurielles, le titre fait naturellement penser au rock, au rap ainsi qu'à ces formes nouvelles d'expressions musicales apparues depuis quelques années : dance, bouse music, techno, acid jazz, world music... Mais il évoque aussi le renouveau que connaissent, dans les villes, les musiques traditionnelles ou la chanson.
La région Rhône-Alpes connaît en ce domaine un foisonnement d'initiatives : au-delà de la présentation de quelques-unes d'entre elles, Musiques urbaines, musiques plurielles entend poursuivre, après Danse, ville, danse et Paroles urbaines, paroles urgentes, la réflexion sur ce phénomène majeur qu'est, en cette fin du XXème siècle, l'apparition d'une nouvelle culture dans la ville.
novembre 1996
La rencontre avec Salah Stétié a eu lieu. Nous le savons depuis certaines de ces conversations, discussions, détournements d'avec le trafic des choses dans la rue de la terre, caprices, lassitudes, éloignements, rires éclatés, là, en ce printemps et cet été 1998, dans un des grands hôtels parisiens où nous nous étions donné rendez-vous. Elle s'est faite et a donné aussitôt de l'ampleur à ce que nous aurions voulu pouvoir dire déjà en deux, trois mots, peut-être quatre : une poésie parlée et comme à fleur de peau a donné de l'ampleur à l'articulation de nos pensées sur le monde. Dès le départ, face à Salah Stétié, nous choisissons de ne pas trop en dire, non seulement parce que nous n'avons rien à ajouter à ce qu'il a à dire, mais parce que nous soutenons ce rien - le « taire » et « se taire » - où la parole est d'ores et déjà engagée. « La clé est dans le simple », nous dit le poète dans l'un de ces entretiens. Alors, tout compte fait, nous avons voulu considérer Salah Stétié - poète, écrivain, homme engagé dans le temps, mémoire d'une double culture doublement créatrice - comme le tout autre qui ressemble absolument à Salah Stétié.
« Il y a plus loin, des chevaux blancs dont je touche les naseaux. La Camargue un jour de crue, et les bras du Rhône jetés sur les étangs. Toute cette eau, et moi plus loin, vers les quinze ans. Plus grand que mes parents et soulevant ma mère par la taille. Elle se débat, veut retrouver le sol. Je l'embrasse dans le cou au passage. Soupirs et caresses, rien que cela à évoquer, comme une énigme au fond de la poitrine. Tant et tant de souvenirs, ces portraits de nous vivants. Mais la fuite du temps sur le visage de maman. J'éteins la télé. L'enfant disparaît, et la main qui le tenait. Ça va la vie si vite. »
De l'intégrisme aux nouvelles béatitudes religieuses, en passant par le fascisme à l'ancienne, raciste, braillard, ou l'émiettement du genre humain en milliards de solitudes errant sur la toile de l'araignée communicatrice qui va les dévorer, le totalitarisme new-look, démocratico-interactif, archaïque et postmoderne, présente un tel front qu'il faut bien rappeler de temps à autre que l'on ne vit qu'en état d'alerte. En recueillant des textes écrits au fil des années récentes, Tirs de barrage n'a, sur-le-champ, d'autre dessein que d'esquisser un peu plus qu'une réplique à cette attaque en règle.
Algérie, Algérie ! réunit deux articles parus dans le journal L'Humanité, les 19 et 20 mai 1998. C'est une manière d'autobiographie et un retour au pays de la coopération - trente ans après. L'écrivain a cédé à la pulsion de partir revoir ses anciens élèves. Il ne s'agit pas d'une analyse mais d'une immersion libre en Algérie d'aujourd'hui. On suit là un voyage haletant, celui du coeur et de la raison.
L'Ombre rouge des gazelles s'inspire des faits du drame algérien et l'élargit en méditation universelle sur la foi, l'horreur et la beauté. Construit comme un conte lancinant, ce recueil de textes poétiques est un itinéraire vers l'espoir. Les images les plus simples prennent peu à peu l'épaisseur des voies de force, de sortie. Et si la fragile gazelle, symbole de la liberté dans la pure tradition littéraire arabe, représentait, en fait, le peu de beauté à retrouver au fond de soi, pour éloigner le mauvais oeil du Meurtre ? « Je ne connais chute plus brutale que l'oubli »
C'est chaque jour que Jean Malrieu (1915-1976) découvrait la route du prodige : tout requérait sa vigilance, son émoi, « pour que le temps vacille », pour que tombent les limites qui séparent le quotidien du fabuleux, le visible de l'invisible. Le poète de La Vallée des Rois et des Maisons de feuillages eut ainsi sans cesse « l'âge du premier amour ». Ses mots ne lui semblaient jamais assez vibrants, assez accueillants. Un souffle les porte, exceptionnellement généreux.
Quelques auteurs, parmi les plus téméraires, chaussent les crampons et prennent part à la grand-messe footballistique, sportive et populaire : la Coupe du Monde de football. « Vues de la tribune » réunit un ensemble de textes courts, partisans, détracteurs, où se mêlent mauvaise humeur, parfois, prise de bec ou de parole, spontanéité et tendre ironie... Une belle occasion, de Lyon à Saint-Étienne, en passant par Antananarivo et Nouméa de sortir des ornières.
Dans cet ouvrage, sous-titré « Du surréalisme à l'Externet, en passant par l'individualisme révolutionnaire », Alain Jouffroy est questionné par Gianfranco Baruchello, Renaud Ego et Malek Abbou.
L'aube c'est l'instant où se lève la parole - et, avec elle, toute lumière. Dehors, il fait froid. On ouvre la fenêtre, on jette du sel aux anges, quelques questions aux écrivains. Ils y répondent, avec cette voix, qui n'est plus celle de la vie courante, pas encore celle de l'écriture, avec cette voix faible - courante sous la cendre, tremblante sous la page.
Poète, essayiste, critique littéraire au Monde, producteur radio sur France Culture, André Velter se veut surtout voyageur d'écriture et d'altitude. Il livre ici, en jouant de tous les registres de sa parole, une suite d'entretiens, de poèmes, de récits, de chroniques, qui sont autant d'autoportraits. Il a notamment publié Aisha (avec Serge Sautreau), L'archer s'éveille, Une fresque peinte sur le vide, Ce qui murmure de loin et L'arbre-seul. L'aube, c'est l'instant où se lève la parole - et avec elle toute lumière. Dehors, il fait froid. On ouvre la fenêtre, on jette du sel aux anges, quelques questions aux écrivains. Ils y répondent avec cette voix qui n'est plus celle de la vie courante, pas encore celle de l'écriture, avec cette voix faible - courante sous la cendre, tremblante sous la page.