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Gallimard
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"Il est souvent question de Bretagne, dans ce petit livre. J'aimerais qu'on ne s'y trompe pas. C'est simplement le nom que je donne à certaines de mes obsessions, tout à fait absurdes. Ce que m'a donné la fréquentation assez poussée de ce pays ne tient pas à ma présence "effective" au bord de la mer. Je reste persuadé que tout ce qui émeut l'homme peut se déclarer n'importe où, et singulièrement entre quatre murs neutres et nus. La Bretagne est l'anecdote de ma quête, qui reste tentative d'expulsion. Je me souhaite cette promotion, évidemment poétique, avant de mourir. Elle ne me semble qu'à l'état larvaire. Mais on va continuer."
Georges Perros. -
"Les travaux de la fée, que j'ai toujours vue baguée d'un dé à coudre : faire passer le manteau de la mémoire à travers le chas d'une aiguille.
Depuis des semaines et des mois je tournais et retournais, dans mon esprit obnubilé par la lecture de Proust, ces quelques mots volés je ne sais où, puis tombés dans la poussière de la prose, quand le nom de Fortuny lu par hasard dans un dépliant sur Venise me rappela le fantôme d'Albertine, le manteau de la fugitive, et le voyage sans cesse remis du narrateur dans la Recherche du temps perdu.
Deux fois déjà j'étais allé à Venise, mais sans rien voir ou presque, et sans autre souvenir que ceux qu'on trouve partout dans les livres. Et dans la Recherche elle-même le séjour du narrateur était curieusement resté lettre morte. Cette fois, par un effet de mimétisme auquel n'échappent guère les lecteurs de Proust (ils n'échappent pas davantage à l'hypnose et à la soumission), j'étais sûr que le nom de Fortuny serait un sésame, et que le "fils génial de Venise" m'aiderait à m'orienter dans le dédale de la ville et les souvenirs de lecture.
J'ai donc suivi ce fil arraché au manteau d'Albertine, qui se retrouve aussi dans le vêtement de Peau d'Âne, le costume d'Esther et les voiles de Shéhérazade..."
Gérard Macé -
Le mot "mascarets" désigne un remous ou une grande vague qui va à contre-courant. Il intitule également le dernier des huit récits du présent recueil et le recueil en sa totalité. Dans ces nouvelles l'amour, le désir, le rê
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Entreprenant le minutieux et maniaque inventaire de la maison de sa grand-mère, à Mazermes, le narrateur de L'Adoration a eu aussi la tentation, en se réfugiant dans le paradis du passé, d'échapper à l'irrespirable présent qu'est devenue sa vie avec sa femme et l'obsédant amour qu'il a pour elle.
Mais, tandis que le passé faisait, dans L'Adoration, sans cesse irruption dans le présent, c'est le présent qui, de plus en plus, va faire irruption ici dans le passé et miner l'entreprise dont le narrateur découvre à mesure qu'elle ne pouvait être, comme toute fuite, que faussement salvatrice. -
"Il n'y a pas de doute : rien n'a été ennuyeux comme une feuille morte qui courait devant nos pas, s'arrêtait avec nous, reprenait sa course, nous effrayait comme un animal, dans le petit chemin de la Messuguière - mais tout ce qui est séparé de nous par la vitre invisible, toujours pareille, toujours accrue du temps est plongé dans la même magie, doué de la même perfection. Corps des filles disparues, vous me soulevez encore en esprit, parfaites."
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Ce livre s'inscrit dans une tradition, prolonge un genre qui nous a déjà donné des vies parallèles, imaginaires, brèves et même minuscules. Il s'ouvre sur une citation de John Keats que Baudelaire paraphrase en ces termes dans l'un de ses poèmes en prose : 'Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu'il peut à sa guise être lui-même et autrui. Comme ces âmes errantes qui cherchent un corps, il entre, quand il veut, dans le personnage de chacun.'
Traduire, interpréter, rêver sa propre vie en se prenant pour un autre, c'est dire un souci poétique, exprimé ici par l'évocation de personnages apparemment aussi divers que le scribe égyptien, Simonide, Ésope, un peintre chinois du siècle dernier ou Henri Michaux vu en rêve... Mais ces personnages sont autant de fantômes ou de prête-noms, dont l'apparition est souvent due à un détail.
D'un récit à l'autre, et d'échos en associations, c'est la voix du narrateur qui fait le lien ; un narrateur dont la mémoire va bien au-delà des souvenirs personnels, et qui semble croire à cette vérité populaire : 'Dis-moi qui tu hantes... je te dirai qui tu es. -
Au centre du livre, une ville accrochée au gris de la mer. Également gris l'ordre régnant, l'omniprésence du pouvoir qui depuis les 'événements" maintient Aswerda dans une terreur immobile. Joris, brutalement arraché à son enfance, à la protection des murailles de livres de la librairie paternelle, commence sa dérive à travers une réalité qui s'effrite. Elenn, la première, le guide dans sa recherche de l'impossible unité, et grâce à elle Joris ouvre les yeux, peu à peu. Mais il reste à la lisière des choses, spectateur de l'existence des autres. Ana, elle, est au coeur de la vie ; elle est de ceux qui se battent pour redonner souffle au pays, ceux que la clandestinité forcée ne réduit pas au silence, ceux qui puisent dans l'oppression même une raison supplémentaire d'espérer. Aswerda étouffe sous ses cendres ; Ana et Joris y vivront une sorte de 'songe malade', une histoire qui devra se dénouer avant de naître vraiment. Joris ne peut pas entrer de plain-pied dans l'événement, vivre en même temps que ses gestes. Il peut tenter de questionner, d'arracher des réponses au réel, bâtir entre lui et le monde de fragiles passerelles de mots ; l'éloignement est sans remède. Loin des autres, loin de lui-même : le silence, l'exil.
Prix Max-Barthou de l'Académie française 1983
Prix de la Vocation 1982 -
Depuis 1960, Jacques Borel tient un journal des séjours qu'il passe auprès de sa mère entrée à l'hôpital psychiatrique de Ligenère pour un séjour qui devait, en principe, être de courte durée. Chaque visite ranime le désespoir de l'auteur de voir sa mère s'enfermer dans ce terrible univers rassurant et sans aucune perspective d'avenir. Ce drame a inspiré à Jacques Borel une longue méditation sur la rencontre de la littérature avec la folie et la mort. Ainsi se construit un grand livre. Une vie et une oeuvre y sont jour après jour remises en question à travers les tourments d'une âme assaillie par l'angoisse, la souffrance et la révolte.
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Légendaire chaque jour
Henri Meschonnic
- Gallimard (réédition numérique FeniXX)
- Le Chemin
- 18 September 2020
- 9782072135095
Si nombreuses que fussent - dans une salle de musée - les statues archaïques de jeunes dieux, il m'a toujours semblé les voir solitaires. Comme si leur démarche ambulante et fixe, la plénitude de leur torse, le port élevé de la tête, les yeux sans paupière ni prunelle, les entouraient naturellement de silence et d'espace. Ils apparaissaient, venant de la mer, à l'heure où elle ne se distingue pas du ciel, où les brumes se dissipent si lentement que les bateaux et les maisons sont des montagnes de brumes. Je les voyais grandir sans se déplacer, monter lentement à ma rencontre. Ils n'étaient là que dans l'entre-temps fugitif de la nuit et du crépuscule de l'aube. Ils venaient, littéralement, d'autre part. Je les ai vus, depuis, emprunter toutes sortes de tenues. Ils m'ont surpris et je n'ai pas toujours su les suivre sur le chemin qu'ils m'indiquaient. Mais ils m'ont toujours désigné des lieux magiques, et su changer - de leur ombre gigantesque - un immense hôtel désuet en un éléphant, les rues de Naples en lieu d'asile pour naufragé, une bibliothèque en un murmure de voix, une ville en un tombeau, un décor en un cortège.
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Jean Starobinski interroge trois figures exemplaires de la folie. Remontant à des documents capitaux, il met en évidence ce qui nous fascine et nous terrorise dans l'aliénation. L'enjeu n'est pas esthétique : il y va de notre principal pouvoir, celui que nous exerçons sur nos actes, et que dissout la fureur. Trois textes sont lus au plus près : l'Ajax de Sophocle ; le récit de l'Évangile de Marc qui relate l'exorcisme du démoniaque de Gerasa par le Christ ; une oeuvre picturale enfin, le Cauchemar de J.H. Füssli, où l'apparition de l'incube provoque l'effet d'étrangeté inquiétante.
Jean Starobinski met en oeuvre son savoir d'historien, de médecin, de critique et se donne tout entier à l'écoute des textes et de leurs relations internes. -
Pierre est mort. Dans la chambre blanche et froide où il est étendu, la narratrice tente à force de mémoire de redonner souffle à ce qui a existé. Elle exhume pour l'ultime parade les images de leur aventure, elle les lance contre la nuit qui gagne. Pour seule arme, les mots, grâce auxquels elle reconstitue le cheminement de Pierre vers la mort, la lente, l'impitoyable destruction physique et morale qu'il a choisi d'organiser, de devancer en supprimant les traces tangibles de son passage de vivant ; elle fait aussi resurgir le bonheur, le bonheur fou et le plaisir, la jouissance éperdue, la maison de Pierrebrune, le cimetière de Venise, le groupe des amis, tout cela : la douleur, la révolte, les cafés et les rues de la ville ; et puis il y a Claire, la lumineuse Claire, les moments de joie folle qui les réunissaient tous trois au confluent de leurs corps, ivres de vie... Insuffisante magie des mots. Si la narratrice veut tout dire, ose tout dire avec une telle véhémente sincérité, c'est qu'elle pense cette exigence seule capable de lui restituer ce qui s'est arraché d'elle.
Comme si les mots recelaient tout entière la puissance essentielle de la vie.
Prix Félix-Fénéon 1981 -
"C'est grâce à un nom de femme, aussi mystérieux que les lettres effacées d'un alphabet ancien, aussi difficile à retenir qu'une langue apprise et jamais parlée, que m'est revenu non le souvenir d'un rêve, mais le souvenir d'avoir rêvé."
Le nom obscur et fascinant auquel il est fait allusion dès les premières lignes du récit de Gérard Macé, c'est celui de Crepereia Tryphaena, qui désigne à la fois une morte et sa poupée, retrouvées sur les bords du Tibre à la fin du siècle dernier. À partir de l'histoire incertaine du sarcophage (qui date du deuxième siècle) et d'un rêve qui revient à ce propos, le narrateur erre dans la mémoire des noms, qui contient aussi ses propres souvenirs. Grâce à l'évocation de vies antérieures (dont celle de Champollion) et d'une identité qui se confond avec un jeu d'écritures, grâce à l'image d'un mannequin mais aussi grâce à l'étrange rendez-vous que propose le présent, dans un Paris à peine plus ré -
"Le corps cassé à angles droits suivant les lignes du fauteuil, mains crispées sur les volutes des accoudoirs, Horus aveuglé de mémoire et d'images, Monsieur laisse perler des mots qui viennent rouler sur ta feuille..." Hélène rédige, sous la dictée d'un écrivain vieillissant, l'histoire de Maria et Thomas, dont les existences ne cessent de se croiser, de se heurter. Manège halluciné de la possession : ils s'exaspèrent aux franges du désir jamais rassasié qui les dévaste.
Dans la maison qui craque comme un bateau sous les ruades du soleil et du vent, Monsieur dicte, se vidant de ses mots, de sa vie ; son corps se dessèche, se ravine, "comme si le temps avait décidé de recouvrer d'un coup d'anciennes créances".
Prise dans le jeu ambigu entre fiction et réalité, impatiente de comprendre le silence de Laure, fille mutique de l'écrivain, Hélène devient elle-même un personnage de l'histoire qui se construit. Entraînée par l'adolescente, elle est à son tour une femme en fuite.
Prix Valery-Larbaud 1988 -
Dans une rue étroite, à deux pas de la Bastille, l'immeuble en voie de réhabilitation grelotte sous le harcèlement des pics et des perceuses. Étienne Fage, refusant de quitter le bâtiment malgré les injonctions et les menaces, vit au dernier étage. Aidé par La Der, il écrit une histoire qui va nous entraîner vers d'autres temps, d'autres lieux.
Qui est La Der ? Recluse dans la chambre aux volets fermés, elle semble tout voir, tout comprendre. À travers la cloison qui les sépare lorsqu'il travaille à son bureau, elle exhorte Fage, l'encourage, le houspille. Grâce à elle, nous suivrons la rencontre furieuse de deux adolescents, Alice et Fred, puis leur équipée selon le trajet migratoire des oiseaux vers le Sud-Ouest.
Les récits s'entrelacent, se tendent à la façon d'un piège minutieusement réglé ; mais un rire traverse le livre, comme une maille qui se défait. -
L'OEil du peintre
Marc Le Bot
- Gallimard (réédition numérique FeniXX)
- Le Chemin
- 3 December 2015
- 9782072050336
C'est à partir de l'analyse en profondeur du plus singulier de nos sens, la vue, que l'auteur construit son essai. Dans un visage humain, la place des yeux, leur double fonction - ouverture sur le monde extérieur et réflexion braquée sur l'univers de l'imagination - sont en fait la clé jumelle, originelle, ouvrant toute oeuvre d'art. Marc Le Bot, après avoir corporellement amarré son texte sur le pouvoir de la vision créatrice, s'abandonne à une extraordinaire méditation composée de chapitres brefs, intenses, où ses références à Léonard de Vinci, Artaud, Bellmer, Michaux, Bacon, Matisse, Dubuffet, Klein, Klee, Giacometti, Masson apportent un éclairage absolument nouveau. La souplesse de sa pensée, la liberté de sa recherche, qui ne s'encombrent d'aucune structure sèchement intellectuelle, font de cet essai une exploration à la fois savante et charnelle, capable de passionner tous ceux qui, de près ou de loin, devinent le grand mystère du corps confronté au miroir de son intériorité.
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« Cet espace libre en chacun de nous que nous cherchons parfois vainement, le Trésorier-payeur, à force d'application, le retrouvait quotidiennement ; il s'était fait un art de le sculpter dans la lumière des après-midi, au point que son esprit, bridé par la vie de bureau, ne tendait plus que vers cet instant où la fine architecture de ses sens recevait avec les lueurs des deux chefs-d'oeuvre de Kyôto sa provision d'extase. » Yannick Haenel
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« Hier, je suis sorti faire une randonnée d'une vingtaine de kilomètres. » Laurent Graff
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« La réflexion sur la beauté n'est jamais dissociable d'une conscience sans cesse réactivée de la barbarie et des malheurs du monde. Peut-on vouloir le beau quand le virus nous enferme ? » Alain Duault
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« La pensée des poètes exerce un charme, et l'on se méfie de ce qui ensorcèle, on n'aime guère être séduit quand on voudrait que règnent les idées. » Gérard Macé
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« Est-ce que la nature vous a déjà fait peur ?, demanda Bertrand ex abrupto. Je veux dire : avez-vous déjà été effrayés par un phénomène naturel incompréhensible ? » Laurence Cossé
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Le Chemin (N°06) - Comment meurt un grand poète
Gregoire Polet
- Gallimard
- Le Chemin
- 14 April 2020
- 9782072911729
« Meers devait être du repas. Il n'était pas du genre à louper une soirée à table avec André Gide. Il n'arrivait pas, pourtant, et Franck rougissait de cette impolitesse. On retarda le passage à table, puis on y passa sans Meers. Après l'entrée le brave homme entra. Il dit : Elskamp est mort. » Grégoire Polet
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« J'avais choisi le toit du monde pour ma dérobade. Je voulais faire de mon éboulement une chute vers le sommet. J'étais si bas qu'il ne me fallait pas seulement remonter du fond de mon trou, mais monter au seul endroit de la planète où l'on ne peut pas monter plus haut. » Georgina Tacou
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« J'avais dix-huit ans quand nous nous sommes connus, une nuit d'été à Paris, rue Vieille-du-Temple. Un jeu de cartes, quelques copains, quelques bouteilles : les ingrédients étaient réunis pour former le noyau d'une solide bande. »
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Le Chemin (N°09) - Six doigts, sept griffes
Paul-Henry Bizon
- Gallimard
- Le Chemin
- 17 April 2020
- 9782072911569
« "Je vais me présenter au concours de sosies d'Hemingway le 21 juillet." La bonne blague ! Flatters ? Taille, 162 cm. Poids, 43 kg. Cheveux, roux. Yeux, marron. Signe distinctif, néant. Flat était un sosie raté de Didier Deschamps. »