« Il faut retraduire tout Shakespeare, avec courage, orgueil et patience. Rendre à ce théâtre génial sa violence et sa rapidité, y mettre tout le savoir-faire possible, ne reculer devant aucun procédé. [...] Écouter la langue et la voix françaises, respecter leur manière particulière. Et porter enfin la plus affectueuse attention à l'ordre des mots. L'ordre des mots ! Mon beau souci. »Jacques Drillon fait précéder sa traduction de la célèbre tragédie Le Roi Lear par une étude pertinente et incisive sur la pratique des traductions shakespeariennes. Il s'appuie sur de nombreux exemples de travaux (de François-Victor Hugo, Jean-Louis Curtis, Jean-Michel Déprats et bien d'autres encore) pour éclairer les maladresses ou les préciosités des traductions shakespeariennes au fil des époques. Il insiste ainsi sur la nécessité de ne pas traduire « au plus près » des mots attribués au dramaturge, et de ne pas se défaire de la complexité de la langue française. Il faut en effet traduire l'oeuvre en gardant en mémoire le but de la pièce : comment la représenter ? Jacques Drillon nous livre ainsi un Roi Lear clair et proprice à la représentation.
L'action se déroule sur une route départementale, 'le dernier chemin encore libre sur la terre, le dernier non étatisé, non socialisé, non cartographié, non botanisé endroit de la planète'.
C'est là que coexistent le moi épique et le moi dramatique. Tous deux vont rencontrer les 'occupants', arrivant seuls ou à plusieurs et formant la tribu des innocents, ainsi que leur chef, sa femme, et enfin l'inconnue, 'l'espérée, la désirée depuis longtemps'.
Cette pièce est une adaptation libre des nouvelles du Décaméron de Boccace. Après un séjour à la célèbre Scuola Holden de Turin, où il eut l'occasion de rencontrer Alessandro Baricco, Mario Vargas Llosa s'adonna à cet exigeant exercice de réécriture qui dessine un pont entre deux littératures et entre deux siècles.
Tout comme dans le grand classique de la Renaissance italienne, les histoires d'amour (érotiques, sentimentales, cocasses ou hardies) vont ici s'enchaîner. Elles nous montrent les multiples visages de la passion ainsi que les registres les plus variés de la conduite humaine. Mais Vargas Llosa apporte aussi à cette fresque les formes et les couleurs de sa
langue et son imagination sud-américaines. Le résultat est inattendu et formidable : une comédie très contemporaine, à la fois grotesque et tragique, sordide et héroïque, picaresque et romantique.
Quand Esfir Lvovna, vieille couturière autoritaire, a décidé quelque chose, elle est prête à tout pour y arriver. Ainsi décrète-t-elle que son fils Liova doit absolument épouser une jeune fille juive de la ville de Bobrouisk, d'où elle-même est originaire, afin de relancer une lignée après la quasi-disparition de cette communauté pendant la guerre. Elle fait la connaissance de Sonia, douce et d'une beauté délicate, et voit en elle la parfaite belle-fille.
Mais parfois, tout ne se passe pas exactement comme les mères le prévoient pour leurs fils. Le mariage, qui serait pourtant idéal pour Esfir, réserve des surprises et nécessite certains ajustements.
Dans cette pièce aux accents à la fois drôles et tragiques, Ludmila Oulitskaïa donne à voir un intérieur russe bouleversé par les événements politiques et historiques, et où la résistance d'un fils contre sa mère envahissante prend des formes inattendues. La grande romancière excelle à faire résonner sur la scène du théâtre les conflits personnels et collectifs, et interroge avec humour les notions d'héritage et d'altérité.
'J'ai écrit ce Sindbad en 2002. Les poissons de la Méditerranée se nourrissaient déjà de naufragés depuis cinq ans. Cela se passait à Pâques en 1997. Sur l'Adriatique, un navire de guerre italien essayait de bloquer la route d'un gros bateau albanais en éperonnant sa coque. Il coula à pic immédiatement et plus de quatre-vingts Albanais périrent. Le bateau s'appelait Kater I Rades et son naufrage inaugurait l'infamie.
J'ai emprunté un marin aux Mille et Une Nuits pour le faire naviguer sur Notre Mer avec le chargement de la plus rentable des marchandises de contrebande : le corps humain. Il n'a pas besoin d'emballage, il s'entasse tout seul, son transport est payé d'avance et pas à la livraison.
Ce Sindbad est un concentré de marins et d'histoires, depuis celle de Jonas, prophète avalé vivant par la baleine, à celles des émigrés italiens du vingtième siècle avalés vivants par les Amériques.
Ici, Sindbad en est à son dernier voyage. Il transporte des passagers de la malchance vers nos côtes fermées par des barbelés.'
Erri De Luca.
André Gide s'est toujours intéressé à la traduction de grands auteurs. Son oeuvre de traducteur va de Conrad à Tagore, de Pouchkine à Shakespeare. Il tenait que, pour devenir écrivain, il fallait avoir traduit des auteurs étrangers. Son entreprise la plus étrange est sans doute celle qui concerne Arden de Faversham, tragédie anonyme de 1592 tirée d'un fait divers aussi réel que les noms des personnages, et qui fut attribuée à tous les grands auteurs élisabéthains, Shakespeare en tête.
Pourquoi une pièce anonyme ou apocryphe plutôt qu'un autre Shakespeare? André Gide souligne à plusieurs reprises le caractère très 'curieux' de l'oeuvre et y voit une parodie de drame bourgeois : un notable est assassiné par l'amant de sa femme et par celle-ci, qui emploient des tueurs à gages. C'est la première tragédie familiale anglaise, les caractères sont brutaux et puissants, la pièce montre une grande connaissance du coeur humain.
Dans sa traduction, André Gide déploie des qualités de concision, de fermeté, d'élégance et de clarté. Il allège, condense, clarifie et,
surtout, il a le sens du théâtre et s'adapte à l'avance à la scène. Ses metteurs en scène préférés, un Copeau, un Barrault, n'ont qu'à
s'emparer de son texte, à défaut d'Artaud, qui y avait d'abord songé.
Dans le salon londonien d'Éléonore Marx, la fille cadette de Karl Marx, hommes politiques et écrivains, amis de la famille, se souviennent du passé et de la vie d'Éléonore, qui déjà et trop tôt touche à sa fin. Ces scènes alternent avec des monologues de la jeune Éléonore, des citations de lettres et des témoignages anachroniques, qui déconstruisent de manière ludique la chronologie et la vraisemblance dramatique. Jorge Semprún fait ainsi le portrait d'une femme contradictoire, à la fois forte et fragile, engagée et désespérée, prise au piège dans un filet d'événements dont les mailles se resserrent.
En 1768, la République de Gênes cède la Corse à la France. Un an plus tard, la bataille de Ponte Novu met un terme aux espoirs des Corses de demeurer indépendants. Malgré la paix, des jeunes gens, dénoncés pour conspiration, sont condamnés à être roués vifs et pendus, et les autorités interdisent qu'on leur donne une sépulture sous peine de subir le même châtiment. En 1769, Maria Gentile n'a pas vingt ans. Elle est fiancée à Bernardu Leccia, qui figure parmi les condamnés. Au péril de sa vie, elle passe outre à cet ordre inique et enterre u so caru (son amour). Cette nouvelle Antigone devient ainsi une grande figure de l'histoire corse et une héroïne de légende.
Une nuit d'été dans une station balnéaire. Sept personnages jouent un jeu dont ils ne savent pas où il va les mener. Jeunes pour la plupart, ils obéissent à leur instinct, à leur désir secret. Certains croient aux amours soudaines, d'autres doutent d'une réalité où ils ont du mal à trouver leur place. Le monde bourgeois se lézarde. Rimbaud est appelé en renfort. Cela suffira-t-il pour que le jour qui vient apporte, plus qu'un espoir, une renaissance ?
Le Chariot de terre cuite est une pièce attribuée au légendaire roi-poète indien Çudraka. Écrite et représentée aux environs du VIIe ou du VIIIe siècle, "siècle d'or" de l'Inde de Gupta, elle reprend un thème qui court à travers toute la littérature indienne : celui de la prostituée au coeur pur, arrachée par l'amour au commerce de la courtisane. Les personnages et les situations se retrouvent pour la plupart dans les contes, romans ou épopées indiens, du pilier de tripots au voleur professionnel, du poète parasite au prince insolent. En un mélange hardi des genres et des tons, dan l'esprit du théâtre élisabéthain, Le Chariot marie la prose et le vers, la philosophie savante et le propos de rue, l'amour courtois et la trivialité grotesque, la préciosité et l'argot, la farce et le tragique.
Travail érudit et oeuvre de poète, la version française de Claude Roy, tout en suivant scrupuleusement le dialogue, les caractères et le découpage de l'original sanskrit, éclaire et enrichit le texte de Çudraka par des emprunts organiques aux oeuvres des romanciers, des poètes et des dramaturges de son temps. Plus qu'une traduction, mieux qu'une adaptation, cette version est une restitution. Elle rend enfin aux lecteurs et à la scène française un chef-d'oeuvre universel, un grand classique millénaire, mais étonnamment moderne.
Fuyant les médias qui l'ont découvert, le dernier survivant des camps nazis se réfugie aux alentours de Buchenwald, dans le parc du château du Belvédère.
Un cimetière militaire soviétique en occupe une partie. Lieu idéal pour y rêver à son histoire personnelle, à l'histoire de l'Allemagne qu'incarne dramatiquement le destin de Carola Neher, jeune comédienne chassée de son pays par le nazisme, disparue ensuite dans le goulag stalinien.
Un homme seul, avec sa vie, du début à la fin.
Je chante le mariage et me livre à l'examen de mes possessions :
1. Une femme pas bête, encore désirable, qui exerce un métier très supérieur au mien question fric. S'est trompée en me trompant et le reconnaît.
2. Quelques maîtresses pour passer le temps.
3. Des enfants devenus une belle jeune fille et un beau jeune homme.
4. Un métier pas terrible, mais solide.
5. Une auto que je change tous le strois ans.
6. Des vacances au soleil, au sud de l'Europe ou au nord de l'Afrique, dans des hôtels parfaitement propres.
7. En vrac : des livres, la télé, des films, des disques, une oeuvre abstraite achetée à l'exposition d'un peintre inconnu.
Diverses cartes : a) de crédit, b) du syndicat, c) d'électeur.
8. Etc, etc.
9. Une vie, quoi. Une vie.
'Henry James a écrit pour le théâtre, sans que ses picces remportent aucun succcs. Quand, dégo"uté de la sccne, il revient au roman, les uvres nouvelles sont marquées par l'esthétique du théâtre. Plusieurs de ces romans ont été adaptés ´r la sccne : Le tour d'écrou, Les papiers d'Aspern. ´R ma connaissance, aucune picce n'a été tirée des Ambassadeurs. Je me suis amusé ´r dégager la comédie d'intrigues et de caractcres, dissimulée sous les préparations et les analyses de ce grand roman, l'un des plus remarquables de l'écrivain.'
Michel Mohrt.
Cripure, de son vrai nom Merlin, est professeur de philosophie dans un lycée de province. Quelques-uns de ses élèves admirent son enseignement et ses ouvrages. Mais il est tourné en dérision par ses collègues et par ses concitoyens qui se moquent de sa grosse tête, de ses membres démesurés, de ses costumes disparates et défraîchis, de son air ahuri. On le méprise également parce qu' il vit avec une grosse servante d'auberge, Maïa, parce qu' il boit trop chez lui et au café.
Le drame se situe pendant la guerre de 1917 ; des régiments russe ramenés du front sont cantonnés dans la ville. Le bourdonnement de leurs chants forme avec une multitude d'autres bruits - sirènes, siIflets, etc. - une sorte de symphonie accompagnant l'action.
En une succession de tableaux on voit Cripure chez lui, au café, à une fête donnée pour décorer une patriote locale, à la gare où un convoi de troupe est en partance. Cripure est amené à frapper l'affreux Nabucet, son voisin d'en face qui a appris à son perroquet à crier de toutes ses forces "Cripure croupit" ou bien "Cripure est f'tu". Il va y avoir un duel. Au cours d'une sorte de veillée d'armes Cripure médite sur la mort, sur le duel, surprend l'émotion sincère de Maïa, renonce à s'enfuir et retrouve sa propre estime. Mais des amis bien intentionnés ont "tout arrangé", et d'accord avec l'offensé il signe une formule de regret. Resté seul, il comprend qu'on vient de lui voler sa dignité retrouvée et il se tue.
Cette pièce, adaptée du roman Le Sang noir, en a gardé le sobre réalisme et l'atmosphère générale a quelque chose de mystérieux et de fatal.
Nouvelle édition en 1986.
Albert Cohen, né en 1895 à Corfou (Grèce), a fait ses études secondaires à Marseille et ses études universitaires à Genève. Il a été attaché à la division diplomatique du Bureau international du travail, à Genève. Pendant la guerre, il a été à Londres le conseiller juridique du Comité intergouvernemental pour les réfugiés, dont faisaient notamment partie la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. En cette qualité, il a été chargé de l'élaboration de l'accord international du 15 octobre 1946 relatif à la protection des réfugiés. Après la guerre, il a été directeur dans l'une des institutions spécialisées des Nations Unies. Albert Cohen est mort à Genève le 17 octobre 1981.
"- Et nos rôles à chacun ? - Ils se préciseront au cours de l'action.- Et nos noms de joueurs ? - Ce sont les noms de nous, les joueurs. - Et nos costumes ? - De soirée (ou bien non). - Printaniers ? Estivaux ? Automnaux, hivernaux ? - Printemps, et automne, et été, et hiver, c'est selon. (Quand Zdenek Adamec, 18 ans, de Humpolec sur le plateau de Bohême, s'est immolé à Prague sur la place Venceslas, c'était un matin, et c'était au début de mars.)"
La première mondiale de Zdenek Adamec a eu lieu au Festival de Salzbourg en 2020 dans une mise en scène d'Andrea Vilter. La pièce a ensuite été montée à Vienne par Frank Castorf, à Berlin par Jossi Wieler et à Prague par Dusan D. Parízek.