« Je suis encore petit. Lili aime se frotter contre moi l'après-midi quand on fait la sieste. Elle ôte ses culottes qui sentent fort en disant que c'est parce que le bébé a fait pipi dessus. C'est bon et irritant à la fois ; je me laisse faire sans protester. Je la trouve jolie, ma petite tante, surtout lorsqu'elle ne se fâche pas, qu'elle soupire et me serre entre ses jambes moites. La chaleur de la chambre fermée et une fatigue étrange me poussent vers le sommeil. Ça sent le bébé qui dort, la sueur et les culottes de Lili. Lorsque je me réveille, qu'elle n'est plus là, je ne me souviens de rien. Seules les odeurs persistent, mélangées à celle de la moisissure qui envahit les murs. Le soleil frappe de biais les battants fermés des jalousies et tisse des raies brillantes de poussière dans la pénombre humide. Très forte envie de pisser. »
« J'ai amplement le temps de réfléchir, mais je ne sais pas par où commencer. Son conseil de continuer à copier les maîtres anciens, à la recherche de leur secret englouti, ne m'est d'aucun secours. J'évite même de regarder les reproductions dans les livres d'art, car j'ai peur de me perdre davantage. De toute façon, je peux imiter à merveille et sans aucun effort les maîtres que j'admire. Mon problème serait plutôt celui de me retrouver moi-même, le Max Willem d'autrefois, celui du temps d'avant les contrefaçons et les mensonges. »
« Il est revenu à la fin de la guerre et ni mon frère ni moi ne nous sommes réjouis de son retour. Il a vite repris la direction de la maisonnée, instaurant règles draconiennes et principes stricts auxquels il n'était pas question de déroger. Il s'est réinstallé dans le lit matrimonial, nous reléguant du coup à la chambre voisine. Grâce à l'ingéniosité de maman, nous avions vécu, dans ce grand vaisseau, des heures merveilleuses. Nous devions maintenant nous contenter chacun d'une couchette, déjà presque trop petite. Et gare à nous si nous nous avisions de lire ou de parler. Rien n'échappait à notre père, lequel surgissait au moindre murmure, nous imposant le silence et confisquant livre et lampe de poche. »
Recueil de contes modernes, Suite féminine évoque les destins contrastés de femmes aux prises avec un quotidien tantôt trivial, tantôt complexe et tragique. Ainsi, Agathe tente de se conformer aux exigences de la société en choisissant la profession de statisticienne, tandis que Suzanne semble prête à tout pour devenir comédienne. Catherine, alias La Marquise, n'a rien perdu de sa joie de vivre, même en fauteuil roulant. Quant à Emma, elle a tout de la princesse des contes, mais avec une touche d'ironie. Sur un ton primesautier et faussement naïf, Maud Suchet parle de la vie adulte, de la parentalité à l'abandon, en passant par le rêve et les désillusions.
« Negâo se dirige de nouveau vers le haut, comme s'il participait aussi à la battue, de son pas marin, sans se cacher, en remontant les sentiers la mitraillette sous le bras. Il fait un signe de la main aux hommes armés, en leur indiquant l'impasse qu'ils croyaient vide. Ceux-ci se protègent d'un ennemi invisible, se retournent en suivant sa consigne pour cribler de balles les cabanes de ce côté. Et ils tombent un à un, non sans avoir blessé d'autres policiers qui leur faisaient face. La confusion est générale, la meute se mord elle-même au milieu des cris et des imprécations pendant que la proie s'éclipse.
Toujours en remontant, Negâo profite du brouhaha pour s'approcher d'un autre petit détachement. La lueur de leurs cigarettes est une cible parfaite. D'une rafale, il les fauche encore à la hauteur de la poitrine pour disparaître de nouveau. »
« Fils d'un père canadien-français et d'une mère russe immigrée à Québec au début du siècle, [Serge Régnier] était fasciné par la révolution bolchevique. En dépit des récits contradictoires véhiculés sur la Russie, il avait choisi le parti des travailleurs, déterminé à changer les choses. Les villes de Montréal et de Québec n'avaient pas échappé à la crise économique qui avait laminé l'Amérique. "Les travailleurs ne peuvent que se tourner vers Moscou et rejeter le capitalisme", pensaient Régnier et ses camarades. Cette crise représentait à leurs yeux l'occasion de secouer l'inertie des ouvriers, peu ouverts aux idéaux communistes. »
Inspiré par le poète de la révolution soviétique, Vladimir Maïakovski, un jeune communiste de Québec, Serge Régnier, se rend à Moscou au début des années trente. Son travail au journal Les Nouvelles de Moscou lui fait découvrir diverses facettes de la société soviétique jusqu'à ce que des événements hors de son contrôle l'obligent à fuir l'URSS par une route inusitée.
De retour au Québec, il collabore à l'élection de Paul Gouin, le chef de l'Action libérale nationale, avant de s'engager avec Norman Bethune auprès des républicains espagnols. Au cours de ce second périple, Serge Régnier comprend que les hommes de Moscou ne l'ont oublié ni à Montréal, ni à Paris, ni à Barcelone et que son ardoise soviétique est toujours en souffrance.
Julien Loiselle ne s'imaginait pas, lorsqu'il est arrivé dans la capitale de l'Europe, que son univers allait changer du tout au tout. Bien sûr, ce changement n'était pas tout à fait une surprise, et cette métamorphose, il l'avait planifiée de longue date. Il n'attendait que le moment propice. Un signe.
L'événement déclencheur allait se produire d'une manière particulièrement brutale quand une explosion dévasterait la salle de départ de l'aéroport. Par un étonnant concours de circonstances, Julien s'en tirerait indemne. Tout était prêt : nouveau passeport, nouvelle adresse, nouvelle ville et nouvelle vie. Mais on ne devient pas quelqu'un d'autre si facilement. Et il y avait des relents du passé qui remontaient en lui.
Il devait les chasser de son esprit pour tout réapprendre sous le nom d'Octave Damphousse. Se refaire une personnalité quand on est adolescent, passe encore, mais à cinquante ans... Hanté par le grand vide intérieur de son personnage comme par celui de la civilisation dans laquelle il vit, libre mais à la dérive, seul et confronté à la foule, le détective de Québec part à la recherche de sa nouvelle identité, en errant dans le Mile End de Montréal. Cette filature d'une nature inattendue le mènera à une fin surprenante.
« Régnier prit place dans un fauteuil en rotin. Tout cela lui paraissait assez incroyable. Le premier ministre alla droit au but.
- Vous êtes ici avant tout parce que j'ai besoin de vous, dit Churchill qui était resté debout à ses côtés, ce qui le rendait davantage intimidant.
- Ah oui ?
- J'ai besoin de vous pour mettre fin à un conflit stupide, un conflit fratricide qui a fait trop de morts jusqu'à présent.
- De quel conflit parlez-vous ?
- De la guerre en Syrie. »
En juin 1941, Damas vient d'être « libérée » de la France de Vichy par l'armée britannique, soutenue par les soldats de la France libre du général de Gaulle. Serge Régnier se trouve au coeur de la capitale syrienne, dans l'attente d'une rencontre qui va changer le cours de l'Histoire. Cependant, les choses ne tournent pas comme prévu pour celui qui a été investi d'une mission singulière. Le rendez-vous de Damas présente le parcours tumultueux d'un homme tour à tour journaliste pacifiste au quotidien Le Canada, artilleur pendant la bataille de Londres et, finalement, émissaire de Churchill dans un épisode occulté de la Seconde Guerre mondiale. Ce roman d'aventures est aussi le récit de la relation amoureuse de Régnier avec un soldat québécois. Il brosse également le tableau d'une partie des dessous de la vie homosexuelle à Montréal et dans le Londres de cette époque trouble de l'Histoire.
Démonstration implacable qui invalide la lecture consensuelle de Two Solitudes de Hugh MacLennan, lecture voulant que ce roman soit une représentation unificatrice des deux identités nationales au Canada. Avec rigueur et clarté, Jacques Cardinal montre que ce bestseller des années 1960 trahit plutôt les préjugés culturels, religieux et raciaux qui survalorisent l'ethos protestant et anglo-saxon au détriment de l'identité francophone d'avant la Révolution tranquille. Selon Jacques Cardinal, ce roman pourtant célébré ici et dans le monde, condamne à l'échec ceux et celles qui veulent demeurer fidèles aux traditions (françaises), de même que toute personne francophone et canadienne qui chercherait à s'émanciper.
Émerveillé par le géant de fer qui, depuis plus de cent ans, se dresse à l'ouest de Québec et surplombe la vallée de Cap-Rouge, l'auteur s'est laissé transporter dans le temps pour imaginer douze histoires suscitant le mystère, la magie, l'amour des voyages et la nostalgie. Ces douze nouvelles, çà et là parées d'accents de conte, de légende et de roman noir, ravivent dans certains cas les souvenirs d'un passé enchanté, où l'on s'ébahissait de la découverte de contrées différentes et du passage d'un train dans la nuit. D'autres, au contraire, racontent le vertige et la désillusion du monde, à petite ou grande échelle. Périple à travers les époques et les lieux de conquête, ce recueil trace les vies, les destinées de différents protagonistes autour d'un thème principal, motif architectural récurrent, personnage gigantesque et monumentale toile de fond : le Tracel de Cap-Rouge. Partie intégrante d'un segment qui relie Moncton à Winnipeg, cet étonnant pont ferroviaire, reconnu site historique national de génie civil, figure parmi les plus longs et les plus élevés au monde. Il a inspiré à l'écrivain Stéphane Ledien des nouvelles émouvantes, étranges ou inquiétantes, sises au coeur d'un petit coin de pays devenu univers à part entière - territoire d'actions et d'évocations où temps et rêverie peuvent être suspendus au Paris de la Belle Époque, à des histoires de feu de camp ou à la beauté des couleurs de l'automne.
Dix femmes partent pour le Japon
« Le Japon, je n'en suis pas encore revenue. De la beauté des milliers de cerisiers en fleurs, sous la pluie ou le soleil, sur les kimonos des femmes. De toutes ces splendeurs printanières qui invitent à la contemplation le long du sentier du philosophe à Kyoto, autour des temples. Des gigantesques bouddhas laqués or supposés apaiser le peuple ou ramener la paix. L'illumination plutôt que la haine. » Nous étions dix Québécoises à parcourir ce pays paradoxal, de Tokyo à l'île sacrée de Miyajima et Kyoto, la majestueuse inoubliable. Mon récit commence à Hiroshima, au parc du Mémorial de la Paix, là où est tombée la première bombe atomique. Des femmes lisent L'amant sous les cerisiers en fleurs.
« Qu'est-ce qu'un carnet littéraire ? C'est peut-être avant tout une sorte de repos de l'écriture de fiction. Le carnet commence en effet souvent au moment où l'écrivain lève la tête de son manuscrit rebelle et se met à considérer ce qui l'entoure. Alors surgit, depuis toujours ajourné, le vieux rêve d'une autre approche, débarrassée du devoir de sens et de logique romanesque, le besoin d'un langage neuf, vagabond, exploratoire, libre. Et c'est parti ! » (Robert Lalonde, directeur de la collection « Carnets d'écrivains »)
Pour marquer le cinquantième anniversaire de la création des cégeps, France Boisvert publie ce roman caustique dans lequel un professeur de littérature dérape dans un pays qui s'enfonce.
Oui, depuis des années, Maurice Lecamp s'ingénie à enseigner la littérature à des cégépiens qui s'intéressent plus à leur cellulaire qu'à l'histoire et à la géographie. Pour survivre, il a choisi de se concentrer sur le paragraphe d'une dissertation portant sur un grand classique, comme l'exige le devis ministériel prescrit par les mandarins évoluant dans les tours de verre de la capitale nationale.
Ce professeur pense qu'ici plus qu'ailleurs la littérature est une matière qui se délite au fur et à mesure qu'on la décrit, alors qu'au même moment, la langue s'efface dans une société hyperconnectée communiquant par émoticônes. Cela dit, parce qu'il est plus résistant que résiliant, Maurice Lecamp persiste et signe, mais pour combien de temps ? Voilà qu'il ne supporte plus les exceptions confirmant la règle et que sa femme Janou, linguiste, s'est engagée dans une réforme de l'orthographe. Leur mariage bat de l'aile et sa carrière tombe en chute libre. Parmi ses élèves, il ne compte plus les cas qu'il finit par éviter en inventant. Un jour, il gaffe. Mis au pied du mur, persistera-t-il au coeur de l'institution ou quittera-t-il le métier ? C'est ce que nous verrons en le suivant dans les montagnes russes de ses approximations.
« Un jour, ils virent approcher de grands voiliers. Des hommes en descendirent et vinrent à leur rencontre. Ils avaient des noms européens que l'on entend partout aujourd'hui. Les gens qui les accueillirent s'appelaient quant à eux... S'appelaient comment, déjà ? François ne parvient pas à s'en rappeler. Comment est-ce possible ? Comme si un homme pouvait oublier jusqu'au nom de sa propre mère !
C'est pourtant ce qui lui arrive. Il ne sait pas qui était sa mère.
Voilà ce qu'il doit confier à son fils. »
François, un lointain descendant des premiers Européens ayant conquis le Nouveau Monde, remonte le cours du temps jusqu'aux débuts de la colonie. Ce faisant, il prend conscience de l'importance de la présence autochtone, ainsi que de l'apport de nombreuses femmes issues des Premières Nations. En découvrant le destin de ces femmes fortes et généreuses que l'histoire s'est pourtant empressée d'oublier, François en vient peu à peu à se retrouver lui-même. Reste à savoir s'il pourra transmettre à son fils un héritage qui ne soit marqué ni par la honte ni par le déni.
Hommage aux Premières Nations et, en particulier, aux femmes, Neka (« maman » en langue innue) est un roman tout en nuances qui nous invite à nous réconcilier avec une part trop longtemps occultée de nous-mêmes.
Si la littérature réinvente le monde, c'est tout autant par la représentation d'un territoire ancré dans le quotidien le plus trivial que par la cartographie d'un espace proche de l'utopie. On touche là au paradoxe fondateur et fédérateur des grands récits et des littératures nationales. La littérature québécoise n'y échappe pas. Qu'ils soient créés de toutes pièces ou inspirés de sites réels, les décors de ses fictions ont fini par tracer les contours d'une topographie spécifique, à la fois concrète et évanescente. Ainsi, du Péribonka de Louis Hémon au Plateau Mont-Royal de Michel Tremblay, en passant par le Griffin Creek d'Anne Hébert et le Saint-Élie-de-Caxton de Fred Pellerin, Les territoires imaginaires. Lieu et mythe dans la littérature québécoise explore la manière dont la fiction québécoise s'approprie symboliquement le territoire pour l'élever au rang de mythe.
Textes de Sara Bédard-Goulet, Sébastien Chabot, Stéphanie Chifflet, Maude Deschênes-Pradet, Georges Desmeules, Aubrey D. Jones, Christiane Lahaie, Daniel Poitras, Alice Delphine Tang, Marie-Hélène Voyer, Bertrand Westphal.
Les auteurs à l'étude : Victor-Lévy Beaulieu, Laure Conan, Nicolas Dickner, Fernand Dumont, Anne Hébert, Louis Hémon, Jérôme Lafond, Anne Legault, Catherine Mavrikakis, Fred Pellerin, Jacques Poulin, Esther Rochon, Jocelyne Saucier, Michel Tremblay, Élisabeth Vonarburg.
Connu pour ses recueils de nouvelles, Jean-Paul Beaumier propose avec L'esprit tout en arrière une suite de réflexions tantôt primesautières, tantôt graves, sur la vie et ses liens avec le désir irrépressible d'écrire. Couvrant une pratique qui s'étend sur plus d'un quart de siècle, ce carnet illustre les correspondances qu'entretiennent, tels des vases communicants, la vie quotidienne et l'écriture, avec son lot d'inattendus et ce qui influence, nourrit et, à d'autres moments, empêche ou retarde l'écriture. Selon Beaumier, l'écriture représente un combat de tous les jours, d'où le doute constant qui traverse ces pages. Il y témoigne également de son amour pour le genre de la nouvelle, tout en rendant hommage à ceux et celles qui l'ont précédé : Annie Dillard, Paul Auster, Robert Lalonde, Julio Cortázar, notamment. Au fil des pages, se déploie l'humour subtil de Beaumier, indispensable garde-fou contre l'intranquillité du monde. Bref, le nouvelliste livre ici un itinéraire de création complexe. Et passionnant.
- Je lis dans vos feuilles ?
Sans attendre une réponse, elle s'est emparée de ma tasse avec ses petites mains blanches et froides. La tête penchée, une masse de cheveux roux éclipsant son visage, elle a remué trois fois les restes de mon Darjeeling. Son rituel terminé, elle a repoussé sa tignasse à l'intérieur de son capuchon. Elle prenait le temps de potasser mon destin, son pouce caressant une lézarde dans la tasse.
Soudain, elle a relevé la tête et a plongé son regard bruineux dans le mien. L'espace d'un instant, j'ai senti quelque chose grouiller au fond de moi. J'ai rougi en m'éclaircissant la gorge. Elle a soupiré :
- Mon pauvre, vous n'avez aucun avenir devant vous.
Premier ouvrage de Caroline Thérien, le recueil de nouvelles Ce que l'avenir ne dira pas explore les arcanes d'un monde crépusculaire que la poésie parvient toujours à ré-enchanter. Sous la plume à la fois décapante et lyrique de l'auteure, le destin de jeunes faussement blasés et de vieux très sages se croisent. Parfois, un détail en apparence trivial porte en lui le sens profond des choses. D'autres fois, un souffle épique s'éteint avec le jour. Ainsi, une femme retourne sur les lieux d'une tragique noyade ; un couple âgé couvent un oeuf de corbeau ; un enquêteur passe une nuit dans la demeure d'une suicidée... Au fil d'intrigues trouées et d'une narration résolument elliptique, la nouvellière brosse à traits fins le portrait de générations qui peinent à dialoguer, mais qui finissent par se rejoindre dans l'attente de ce qui viendra. Ou ne viendra pas.
« Qu'est-ce qu'un carnet littéraire ? C'est peut-être avant tout une sorte de repos de l'écriture de fiction. Le carnet commence en effet souvent au moment où l'écrivain lève la tête de son manuscrit rebelle et se met à considérer ce qui l'entoure. Alors surgit, depuis toujours ajourné, le vieux rêve d'une autre approche, débarrassée du devoir de sens et de logique romanesque, le besoin d'un langage neuf, vagabond, exploratoire, libre. Et c'est parti ! » (Robert Lalonde)
Le carnet d'écrivain d'Isabel Vaillancourt se lit un peu comme... un roman. Au fil des jours, une femme d'âge mûr réfléchit, se désole devant le départ inéluctable de son vieil amant atteint de démence, écoute de la musique et contemple la lumière qui, malgré tout, parvient à s'immiscer dans sa vie. Avec le temps, et grâce au pouvoir des mots, elle apprivoise la perte de l'être cher, et revient lentement mais sûrement du côté de la vie. Sorte de plaidoyer en faveur de l'art et de ses vertus salvatrices, Ça va aller est livré sur un ton tantôt lyrique, tantôt primesautier. Le quotidien y côtoie la transcendance, les grandes idées issues de la science s'estompant au profit de l'expérience sensible des êtres et des choses.
Campé dans le quartier populaire de Saint-Sauveur à Québec, ce roman par nouvelles de Lyne Richard raconte les hauts et les bas d'une petite communauté aux prises avec les aléas de la vie : une femme abandonnée, mère d'un petit garçon, finit par se suicider, un clochard passe et se réjouit de trouver une boîte de papier-mouchoirs intacte dans une poubelle, un sculpteur tombe amoureux d'une inconnue et, tel Pygmalion, la modèle et la remodèle sans cesse. À l'horizon se dressent les cordes à linge de la Basse-Ville, tels de révélateurs des destins croisés et contrastés que Richard raconte avec le doigté, la poésie et la finesse qu'on lui connaît depuis Il est venu avec des anémones.
Depuis plusieurs années les scandales concernant la pédophilie au sein de l'Église se sont succédés. Et ça dure depuis des siècles...
C'est l'an de grâce 1593. Tandis que la plupart des moines de Sahagun sont partis sur les chemins de Santiago de Compostelle, un enfant est abandonné sur le seuil du monastère. C'est le frère Isidoro, apothicaire féru de botanique, doit trancher : accueillir le bâtard ou l'abandonner à son sort. Or, le petit garçon se révèle d'une fascinante beauté et séduit le vieux frère qui le nomme Tiago, avant de le prendre sous son aile. Bien vite, toutefois, l'enfant devient le jouet sexuel de moines lubriques, au grand dam d'Isidoro. Mais le pire, c'est cette étrange absence au monde dont fait preuve Tiago et qui le rend vulnérable. Doté de facultés étonnantes dont il ne comprend pas la portée, le garçon s'avère le bouc émissaire tout désigné pour une Église en quête de fidèles... et de revenus.
« Mon père, cet homme d'images et de peu de mots. Cet homme pour qui l'émotion était décuplée par la présence de taches de couleur et de tons de gris, par les réactions chimiques qui forment, comme par magie, l'essence même de la mémoire, des souvenirs et de l'Histoire avec un grand H. Mon père : photographe de profession, photographe de guerre par nécessité. »
Karim, jeune homme volontaire, vient de perdre son père, photographe de presse. Ce dernier laisse derrière lui quantité de photos prises un peu partout sur le globe. Ses points chauds, surtout. Parmi les clichés, des scènes de guerre, et des visages inconnus. S'entame alors pour Karim un deuil doublé d'une quête des origines. Résolu à retourner en ex-U.R.S.S., où il aurait vu le jour, Karim quitte Montréal pour l'Ingouchie, où il espère rencontrer une femme que son père aurait passionnément aimée et dont il ignore tout.
Les chambres obscures parle de notre époque, de ses traumatismes, de ses abandons et, aussi, de la recherche de la vérité, notion d'autant plus nécessaire qu'elle se fait de plus en plus rare.
« La mère disait souvent, en riant, n'avoir que ses seins qui lui appartiennent véritablement. Aussi se faisait-elle une gloire de les afficher. D'une grosseur désarmante, ils se promenaient tels des projectiles, toujours prêts à fendre la lumière du jour et de la nuit. La fille croyait qu'ils avaient une âme, un souffle, et craignait de les voir s'animer au moindre sursaut. Il ne fallait pas les contredire, pensait-elle, car on ne savait jamais quelles vagues ils soulèveraient. »
Avec ce nouveau recueil de nouvelles, Claudine Potvin poursuit son exploration singulière des rapports entre les êtres et le corps comme interface avec le monde. Dans Body Scan, relation incestueuse, découverte des sens dans l'enfance, fascination obsessive, fugue d'adolescente, existences bouleversées par la maladie sont autant de représentations d'attouchements et de cicatrices, de passions et de performances, d'amours et de pertes. L'écriture précise et faussement détachée de l'auteure entraîne le lecteur dans des univers déroutants, mais toujours révélateurs de nos angoisses bien contemporaines.
« Depuis plusieurs mois maintenant je tape avec deux doigts à partir de menus gestes, de micro-événements, je prends le pouls de mes humeurs, me dépose sur l'air, cherche mon équilibre, attrape des éclairs de mémoire [...] Est-ce que, par cette écriture du rien, j'apprivoise la mort? Et, par ricochet, le désir de vivre vivant? »
Au fil de Brèches, se déroule une vie qui oscille entre passé et quotidien, une vie animée par la quête de la beauté, la nécessité de l'écriture, la présence à toute chose, une vie où l'enfance est dépeinte telle une période fondatrice dont on ne peut jamais tout à fait s'affranchir.
Louis-Philippe Hébert excelle quand il s'agit de créer des êtres surprenants aux prises avec les fantaisies de leur destin. Ce nouveau livre n'échappe pas à la règle. Cette fois, l'auteur nous ramène à une époque où les tombolas, les fêtes foraines et les spectacles au goût douteux faisaient ressurgir le personnage de cirque tapi en chacun de nous.
Un garçon pur et doux pouvait jouer du couteau après avoir suivi les enseignements d'un délinquant, alors qu'une femme maigre et loin d'être sujette à l'embonpoint commençait à devenir obèse sous le regard abasourdi des voyeurs; un collégien reverrait des années plus tard le confrère de classe qui le harcelait caché derrière son gros nez de clown, et il prendrait enfin sa revanche; à la fin, un amoureux déçu entrera dans une auberge où il fera la rencontre d'un chat nommé Petit-Chagrin qui le suivra partout et fera tout pour l'empêcher d'oublier son amour perdu.
Toujours, le trouble est là, sournois, à chaque page, le piège est tendu, la porte est ouverte sur un autre monde, et le lecteur ne peut s'empêcher de suivre Hébert dans ce dédale fascinant où chacun finit par voir comment fonctionne sa vie.
Cette étude consacrée aux littératures de l'imaginaire au Québec emprunte la voix de la géocritique, soit l'analyse de la représentation des lieux. Si l'époque contemporaine se caractérise, entre autres, par une perte de repères spatio-temporels et un sentiment de fragmentation, il y a fort à parier que les oeuvres de fiction traduisent cette expérience particulière. Aussi, dans un essai à la fois savant et accessible, Maude Deschênes-Pradet postule-t-elle que même les lieux inventés par les écrivaines et les écrivains ont quelque chose à révéler sur notre rapport à l'espace et au lieu. Certes, les littératures de l'imaginaire se doivent de créer leur propre atlas, mais comment s'articulerait une géocritique des lieux inventés, alors que cette approche a été conçue d'abord et avant tout pour rendre compte de lieux qui, bien que transfigurés par une mise en fiction, s'inspirent de sites bien réels? Pour répondre à cette question, l'auteure revisite les bases conceptuelles entourant les littératures de l'imaginaire, et ce, dans le contexte du tournant spatial qui a influencé les études littéraires depuis deux décennies. Elle se penche ensuite sur des oeuvres emblématiques telles que Récits de Médilhault d'Anne Legault, Les Baldwin de Serge Lamothe, L'aigle des profondeurs d'Esther Rochon et Hôtel Olympia d'Élisabeth Vonarburg.
À l'été 1958, dans le camp forestier de Capitachouane, des hommes et des femmes mènent une existence ardue, placée sous le signe de la démesure, à l'image du vaste territoire de forêts qu'ils sont chargés d'abattre. Le destin tantôt comique, tantôt tragique de ces personnages pittoresques témoigne admirablement de l'avant-Révolution tranquille.
À Capitachouane, on apprend à connaître Rachel, mère aimante et résignée, Potawatomi, la vieille Algonquine qui hume l'avenir à même le vent, la famille Carreau, aux innombrables rejetons, le redoutable « homme qui ramasse des souris », sans compter ceux et celles qui défilent à la cookery pour se nourrir de porc et de soupe au chou.
Ariel, un jeune garçon de huit ans souffrant de l'absence du père et de la perte d'un être cher, y découvre la fragilité des êtres et leur soif d'amour qui ne semble rimer à rien. C'est néanmoins dans ce contexte que naît sa passion pour l'écriture, art qui deviendra sa planche de salut.
Chroniques de Capitachouane est un voyage dans le temps qui raconte au quotidien un pan peu connu de l'histoire du Québec, celui des camps de bûcherons. Ce portrait d'une époque révolue entremêle vérité et fiction, prose et poésie, mort et vie.