À la fin des années 1960, la concurrence internationale et la peur du déclassement transforment un populisme de gauche (rooseveltien, conquérant, égalitaire) en un « populisme » de droite faisant son miel de la crainte de millions d'ouvriers et d'employés d'être rattrapés par plus déshérités qu'eux. C'est alors que la question de l'insécurité resurgit. Elle va embourgeoiser l'identité de la gauche, perçue comme laxiste, efféminée, intellectuelle, et prolétariser celle de la droite, jugée plus déterminée, plus masculine, moins « naïve ».
Cette métamorphose s'accomplit à mesure que l'inflation resurgit, que les usines ferment et que l'« élite », jadis associée aux grandes familles de l'industrie et de la banque, devient identifiée à une « nouvelle gauche » friande d'innovations sociales, sexuelles et raciales.
Les médias conservateurs n'ont plus qu'à se déchaîner contre une oligarchie radical-chic protégée d'une insécurité qu'elle conteste avec l'insouciance de ceux que cette violence épargne. Au reste, n'est-elle pas entretenue dans ses aveuglements par une ménagerie de juges laxistes, d'intellectuels jargonnants et autres boucs émissaires rêvés du ressentiment populaire ?
« Progressistes en limousine » là-bas ; « gauche caviar » chez nous.
Extrait de la préface de Serge Halimi
Ce livre retrace l'histoire d'un empire indigène qui, au plus fort de l'expansion coloniale européenne entre les XVIIIe et XIXe siècles, a inversé radicalement le mouvement de l'expansion occidentale. Pekka Hämäläinen, dans un travail minutieux auprès des fonds d'archives les moins exploités, a démontré l'existence, près de deux siècles durant, dans le Sud-Ouest de l'Amérique, d'un Empire comanche plus vaste que la France tout entière.
Le 4 septembre 1866, au Texas, la petite Bianca Babb, âgée de 10 ans, était enlevée avec son grand frère Dot par une bande d'Indiens Comanches. Adoptée par une jeune veuve, elle restera pendant sept mois auprès de sa « mère squaw ».
Près de soixante ans plus tard, dans les années 1920, elle décida de mettre en ordre la mémoire de cette expérience fondatrice de son existence.
Mélange de cauchemars et de rêves d'enfant, les souvenirs que la vieille dame rapporte de la petite fille qu'elle a été au coeur d'un campement comanche - le travail exténuant, les terreurs enfantines, la faim tenaillante, mais aussi les joies, les jeux et les peines - plongent le lecteur dans l'ordinaire d'un monde révolu qui était en train de disparaître.
Il existe des centaines de récits de captivité chez les Indiens ; aucun ne possède la vigueur évocatrice de celui de Bianca Babb.
« Mon nom est Madame J. D. Bell, de Denton, au Texas. Avant mon mariage, je m'appelais Bianca Babb, fille de J. S. et Isabel Babb, des pionniers du Texas.
À l'époque de ma capture par les Indiens Comanches, j'étais une petite fille âgée de neuf étés, et je vivais avec mes parents dans un ranch situé sur la Dry Creek, à environ vingt kilomètres à l'ouest de Decatur, Wise County, Texas. Mon histoire commence véritablement à la fin des années 1860, aux temps anciens du Territoire indien, quand les bisons parcouraient les prairies de l'Ouest du Texas par milliers et qu'il y avait encore quantité d'antilopes et de daims. »
Jeremiah Johnson (ou John Garrisson, en fait peu importe) arriva dans les montagnes Rocheuses au milieu du XIXe siècle pour s'y faire trappeur. Mais l'assassinat de son épouse indienne le conduisit à mener une sanglante vendetta contre la tribu des Crows. Méchant, il mangeait cru le foie de ses ennemis. Ce livre rapporte sa légende. Bourré d'outrances, horrifiant, traversé par un humour sardonique et servi par un style alerte, Jeremiah Johnson le Mangeur de Foie, petit chef-d'oeuvre de la littérature folklorique américaine, adapté au cinéma par Sydney Pollack avec Robert Redford dans le rôle-titre, est aux antipodes du Nature Writing classique : c'est une ode à la sauvagerie brute.
Le 30 avril 1871, sur le Territoire de l'Arizona, dans le canyon d'Aravaipa, une troupe d'Indiens Tohono O'odham, de Mexicains et d'Américains massacrait dans leur sommeil plus de 140 Apaches. il est demeuré une masse d'informations sur ce drame, qui a permis à Karl Jacoby de proposer une approche inédite de l'événement, connu sous le nom de Massacre de Camp Grant.
Son ouvrage possède un caractère, en quelque manière, totalisant : son enquête interroge les modalités de la reconstitution des faits passés autour de la question de la violence non seulement dans l'histoire, mais en même temps de la violence de l'histoire.
C'est d'abord par le choix de la structure narrative que la démarche de Karl Jacoby frappe par sa pertinence. Plutôt que de conduire un seul fil narratif, il en propose quatre, chacun constituant l'histoire de chacune des communautés impliquées dans le massacre : ce sont autant de perspectives particulières, contradictoires et complémentaires qui s'ouvrent de la sorte. Le livre en outre se dédouble en deux moments, celui de l'histoire de chacune de ces communautés avant le massacre, puis celui de la mémoire de chacune après le massacre.
Avec ces regards subjectifs croisés, cette narration entrelacée portant sur le même événement, Karl Jacoby met à jour toute la difficulté de l'entreprise historique ; et, surtout, il stimule remarquablement le lecteur, auquel il propose au fond une méditation sur le travail de l'historien. Cette approche, dès lors qu'il s'agit d'aborder la question de la pulsion génocidaire chez les gens ordinaires, est radicalement originale sur ce terrain.
Apparenté au maître-ouvrage de Christopher Browning, Des Hommes ordinaires, Des ombres à l'aube, s'agissant de l'histoire américaine, reconsidère ainsi au plus près le problème de la violence faite aux autochtones américains, trop souvent réduite à quelques archétypes, mais aussi propose un examen en profondeur des entreprises mémorielles et de leurs conséquences - parfois terribles - y compris dans et par l'histoire.
Né esclave dans une plantation du Texas en 1864, William Henry Ellis devint millionnaire à Manhattan dans les années 1890, puis décéda dans le dénuement à Mexico en 1923. Autour de la figure interlope de cet homme, Karl Jacoby mène une enquête palpitante parmi les failles de l'histoire des États-Unis du Gilded Age, l'Âge doré de Mark Twain.
À travers le récit de la vie d'Ellis - rocambolesque parfois -, il éclaire d'un jour différent l'histoire américaine, en l'arrimant notamment à l'histoire du Mexique, et en adoptant la perspective de la question raciale comme ligne de fissure où se réfractent les contradictions de cette société en plein essor. Poursuivant Ellis du Texas à New York, à Mexico ou en Éthiopie, il produit un ouvrage lumineux, comme une nouvelle histoire des États-Unis.
Karl Jacoby, né en 1965, est enseignant à l'université de Columbia à New York. Son précédent ouvrage traduit en France, Des ombres à l'aubes (Anacharsis, 2013), a reçu le Prix des Rendez-vous de l'histoire de Blois de 2014.
The Buffalo Harvest (La Moisson des buffalos) fut publié en 1958. Frank Mayer y détaille avec minutie le quotidien d'années de tueries et ravive l'univers hallucinant d'une gigantesque boucherie en plein air. La mythologie sentimentale et naturaliste du bison comme symbole romantique d'un monde perdu tombe en lambeaux devant le trivial du réel.
La guerre du Roi Philip dévasta les colonies anglaises de la côte est de l'Amérique entre 1675 et 1676. Colons puritains et Indiens Algonquins s'y affrontèrent avec une violence inouïe. Après avoir manqué de disparaître, les colons finirent par l'emporter. Outrancièrement : au-delà de leur victoire par les armes, ils furent seuls à coucher cette guerre par écrit, à l'imprimer, à en publier la mémoire pour les siècles à venir - à lui donner ce nom. Avec un art consommé de la narration, Jill Lepore opère une plongée dans le monde brutal de cette époque, où le sang et l'encre coulaient d'un même élan pour engloutir les autochtones dans l'oubli ; prolongeant son enquête jusqu'au XXe siècle, elle expose de surcroît par quels détours cette guerre implacable fut instituée comme un moment fondateur de l'identité américaine. Méditation suggestive sur la guerre parmi les hommes et réflexion sur l'histoire que l'on en fait, Le Nom de la guerre est une réussite rare : un livre d'histoire totale.
Lorsque, en 1886, le fameux Géronimo se rend à l'armée des États-Unis pour la dernière fois, Samuel Kenoi, Apache chiricahua, n'a qu'une dizaine d'années. Cinquante ans plus tard, Morris Opler, anthropologue, recueille le récit que le vieil homme lui fait de cette époque.