C'est après avoir terminé ses deux titanesques « cathédrales d'écriture », l'Archipel du Goulag d'une part, la Roue rouge d'autre part, qu'Alexandre Soljénitsyne entreprit de lire ou de relire la littérature russe, celle du XIXe siècle, comme celle du XXe siècle. Ma collection littéraire est ainsi, à l'état brut, le fonctionnement mental d'un grand écrivain défrichant le texte d'un autre. On trouve dans ce premier tome des lectures d'écrivains du grand siècle classique : Lermontov, Tchekhov, Alexeï Tolstoï, et d'autres du suivant : celui des années soviétiques (1920-1930) : Andreï Biély, Mikhaïl Boulgakov, Iouri Tyniavov, Pantéleïmon Romanov, puis des années 1970 comme Iouri Naguibine, ou de la dissidence comme Guéorgui Vladimov.Ce volume est tout sauf un essai de critique ou un cours de littérature, mais un texte où, tour à tour admiratif, rageur, emporté, un maître de l'écriture dévore ce qu'il lit et perce le mystère de l'écriture.Alexandre Soljénitsyne (1918-2008) a obtenu le prix Nobel de littérature en 1970. Déchu de sa nationalité en 1974 après la parution en Occident de l'Archipel du Goulag, il fut expulsé d'URSS, émigra aux Etats-Unis, où il vécut vingt ans avant de revenir en Russie.
Traduit et annoté par Georges et Lucile Nivat
Récit traduit du russe par Lucile Nivat Dans la petite ville imaginaire de Khnov, le pilote de chasse Voskoboïev a été victime d'un accident lors d'un exercice aérien. Il s'est catapulté à temps, mais est devenu un inadapté à la vie. Le commandant Troutko, aviateur et poète, tente de lui redonner goût à la vie en l'entraînant à la chasse, à la cueillette de champignons, dans des beuveries de garnison. Élizavéta, l'épouse de Voskoboïev, réconforte la femme de Troutko, Galina, persuadée que son mari la délaisse. Troutko, lui, entretient une correspondance littéraire avec un homme de lettres moscovite, Zoïev. Comme les personnages de la Mouette de Tchekhov, tous se meurent lentement de mélancolie et imaginent leur propre théâtre. Un récit tout en subtilité, où se mêlent les cartes du vrai et du faux, de la cabale et de l'amour, par l'une des voix les plus originales de la prose russe d'aujourd'hui.
«Kharitonov coud ses récits comme les Parques cousent les destins, lentement, opiniâtrement... Ce sont des exercices en existence, c'est-à-dire en survie. Survivre à l'envahissement du vide, à l'effacement du souvenir, au brouillage des signes du destin.
«Paumés heureux d'avoir tout largué, nouveaux riches en survie dangereuse, partouzes dans de riches datchas ou de fétides sous-sols, carrières fulgurantes à la télévision, studios de cinéma à l'abandon où l'on envoie un nouveau metteur en scène remplacer au pied levé celui qui a tout laissé en plan... Savons-nous dans les studios de Kharitonov si le ciel au-dessus de nous est le vrai ou un pavillon de décor ? si l'esprit de Pouchkine qui vient frapper est le bon ou le faux ? et si nous sommes encore vivants, pour de bon ? La voix d'en haut annonce : «On rembobine !» Les ombres sur la caverne kharitonovienne se précipitent en sens inverse.»
Georges Nivat.
Né en 1937 à Jitomir,