Après Le droit d'emmerder Dieu, éloge du droit au blasphème, Richard Malka revient sur l'origine profonde d'une guerre millénaire au sein de l'Islam : la controverse brûlante sur la nature du Coran.
Plus qu'une plaidoirie, ces pages mûries pendant des années questionnent ce qu'il est advenu de l'Islam entre le VIIème et le XIème siècle, déchiré entre raison et soumission.
Les radicaux ont gagné, effectuant un tri dans le Coran et les paroles du Prophète, oppressant leurs ennemis - au premier rang desquels les musulmans modérés, les musiciens, artistes, philosophes, libres penseurs, les femmes et minorités sexuelles.
Plonger avec passion dans cette cassure au sein d'une religion n'est pas être « islamophobe », c'est regarder l'histoire en face.
Traité sur l'intolérance est une méditation puissante, un appel aux islamologues du savoir et de la nuance - pour qu'enfin chacun sache, comprenne, échange, s'exprime.
« Le 18 août 2021, j'ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l'Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu'il n'en sait pas grand-chose. Comment l'appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment.
Est-ce un témoignage, un testament, une oeuvre ?
Celle d'une jeune fille, qui n'aura pour tout voyage qu'un escalier à monter et à descendre, moins d'une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l'imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J'imaginais la nuit propice à accueillir l'absence d'Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s'est habitée, éclairée de reflets ; au coeur de l'Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver. »L. L.
La philosophie politique et la psychanalyse ont en partage un problème essentiel à la vie des hommes et des sociétés, ce mécontentement sourd qui gangrène leur existence. Certes, l'objet de l'analyse reste la quête des origines, la compréhension de l'être intime, de ses manquements, de ses troubles et de ses désirs. Seulement il existe ce moment où savoir ne suffit pas à guérir, à calmer, à apaiser. Pour cela, il faut dépasser la peine, la colère, le deuil, le renoncement et, de façon plus exemplaire, le ressentiment, cette amertume qui peut avoir notre peau alors même que nous pourrions découvrir son goût subtil et libérateur. L'aventure démocratique propose elle aussi la confrontation avec la rumination victimaire. La question du bon gouvernement peut s'effacer devant celle-ci : que faire, à quelque niveau que ce soit, institutionnel ou non, pour que cette entité démocratique sache endiguer la pulsion ressentimiste, la seule à pouvoir menacer sa durabilité? Nous voilà, individus et État de droit, devant un même défi : diagnostiquer le ressentiment, sa force sombre, et résister à la tentation d'en faire le moteur des histoires individuelles et collectives.
« C'est à nous, et à nous seuls, qu'il revient de réfléchir, d'analyser et parfois de prendre des risques pour rester libres. Libres de nous engager et d'être ce que nous voulons. C'est à nous, et à personne d'autre, qu'il revient de trouver les mots, de les prononcer, de les écrire avec force, pour couvrir le son des couteaux sous nos gorges.
A nous de rire, de dessiner, d'aimer, de jouir de nos libertés, de vivre la tête haute, face à des fanatiques qui voudraient nous imposer leur monde de névroses et de frustration - en coproduction avec des universitaires gavés de communautarisme anglo-saxon, des militants aveuglés, et des intellectuels qui sont les héritiers de ceux qui ont soutenu parmi les pires dictateurs du XXème siècle, de Staline à Pol Pot. »
Ainsi plaide Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, lors du procès des attentats de janvier 2015. Procès historique, procès intellectuel, au cours duquel l'auteur retrace, avec puissance et talent, le cheminement souterrain et idéologique du Mal. Chaque mot pèse. Chaque mot frappe. Ou apporte la douceur. Evoquant les noms des disparus, des amis, leurs plumes, leurs pinceaux, leur distance ironique et tendre. Oui, la liberté d'expression est un combat, chaque jour vivifié par des gestes, des paroles, des échanges.
Face à la mort, la littérature nous tient : ce texte, bien plus qu'une plaidoirie, est un éloge de la vie libre, joyeuse et éclairée.
Ginette Kolinka, qui va fêter ses 98 ans, habite le même appartement depuis qu'elle a dix ans.
Elle a toujours vécu là, rue Jean-Pierre Timbaud, au coeur de Paris, à l'exception de trois ans : de 1942 à 1945.
Cet appartement, c'est sa vie qui défile devant nos yeux. Il y a les portraits de ceux qui ne sont pas revenus de Birkenau : son père, son petit frère, son neveu.
Les disques d'or de son fils unique, Richard, batteur du groupe Téléphone.
Les photos de ses cinq soeurs, Ginette est la cadette, des petits-enfants, des arrière-petits-enfants.
Les dessins des écoliers, à qui elle raconte désormais son histoire, tous les jours, aux quatre coins de la France.
Et même les meubles qu'ont laissés les « collabos ».
Ginette nous fait la visite.
On traverse le temps : l'atelier de confection de son père, la guerre, ce mari adorable et blagueur. Les marchés, qui l'ont sauvée. Et les camps qui affleurent à chaque page, à chaque pas.
Mais Ginette, c'est la vie ! Le grand présent. « On me demande pourquoi je souris tout le temps, mais parce que j'ai tout pour être heureuse ! »
Le chagrin conduit le coeur vers la littérature et la philosophie dans l'espoir d'y trouver une consolation, comme un enfant se réfugie dans les bras de sa mère. Mais les mots des autres ne consolent pas. Regarder la mort en face, n'est-ce pas constater notre condition d'êtres résolument inconsolables ?
Qu'est-ce que ça change, vraiment, de perdre son père ? Sans croyance en un au-delà, que signifie l'ultime disparition de ce qui est ? Rien ne change, et pourtant le monde n'est plus le même. Il faut s'habituer à vivre dans un monde sans lui. La vie continue, les matins se succèdent, les enfants grandissent, un nouveau chat rejoint la maison, et après la grande tristesse c'est la peur de l'oubli qui survient.
Et si tout redevenait comme avant ? La vie, même dans l'impossible face-à-face avec la mort, se trouve dans cette alternative : quand le temps s'étire, on s'ennuie ; quand le temps s'arrête, on gémit. Le drame n'est-il qu'une suspension provisoire de nos soucis ? Mais alors, nous autres, êtres inconsolables, avons-nous la possibilité de jouir de l'existence en connaissance de cause ?
A. V. R.
"Nous ne savons pas ce qui nous arrive et c'est précisément ce qui nous arrive", écrit José Ortega y Gasset.
Que nous arrive-t-il ? Qu'arrive-t-il à la France ? Au monde ? Notre impéritie vient-elle d'une myopie à l'égard de tout ce qui dépasse l'immédiat ? d'une perception inexacte ? d'une crise de la pensée ? d'un somnambulisme généralisé ?
Tant de certitudes ont été balayées !
Comment naviguer dans un océan d'incertitude ? Comment comprendre l'histoire que nous vivons ? Comment admettre enfin que, en dégradant l'écologie de notre planète, nous dégradons nos vies et nos sociétés ? Comment appréhender le monde qui se transforme de crise en crise ? Comment concevoir l'aventure inouïe de notre humanité ? Est-ce une course à la mort ou à la métamorphose ?
Serait-ce à la fois l'un et l'autre ?
Réveillons-nous !
E. M.
Et si Deborah Levy nous ouvrait les portes de sa bibliothèque personnelle ? Si elle nous emmenait à la découverte des artistes qui l’inspirent et la secouent ? Et si, en passant, elle nous livrait une anecdote savoureuse impliquant les petites cuillères, son voisin de palier et Nietzsche ? Tour à tour jeune femme aux yeux noircis de khôl, ses fidèles creepers aux pieds pour arpenter le Londres underground des années 1970, déjà fascinée par Colette et Simone de Beauvoir, amante féministe relisant Marguerite Duras et Sigmund Freud et Violette Leduc et Roland Barthes, voyante lorsqu’il s’agit de scruter l’âme des artistes qui l’obsèdent – Édouard Manet, Lee Miller, Francesca Woodman –, à l’affût du monde sous toutes ses coutures – technologie, pandémie, gastronomie… – Deborah Levy nous livre au fil de ces textes réjouissants, rassemblés ici pour la toute première fois, un véritable traité de l’indiscipline et une plongée revigorante dans son intimité loufoque et érudite.
« Changer l'Église ? Plutôt changer ses modes d'organisation et de gouvernance, interroger ses lieux de décision. Qu'avons-nous à perdre si ce n'est du pouvoir ! Qu'aurions-nous à gagner ? Un meilleur service des frères et de Dieu. Pour moi, le choix est vite fait ! »
Mgr Pascal Wintzer
Quand le mensonge, la dissimulation, les délits et les crimes entachent l'épiscopat français, laissant les fidèles honteux et l'opinion incrédule, comment ne pas se sentir empêché dans l'accomplissement de sa mission ? C'est un tel désarroi qui s'exprime ici par la voix de l'archevêque de Poitiers, s'interrogeant sur le sens et le devenir de sa charge après la série de révélations sur les abus sexuels au sein de l'Église. En pleine crise morale et systémique, l'Institution catholique donne aujourd'hui l'impression de faire écran à Celui qu'elle sert. Si elle ne veut s'éteindre, elle n'a d'autre choix que de se convertir. Par où commencer ? Probablement par tout ce qui entretient l'entre-soi et l'impunité, l'immaturité et l'emprise dans l'exercice exclusif du pouvoir par la cléricature... et qui aura détourné celle-ci de ses devoirs d'humanité indissociables de sa vocation pastorale.
Surnommée « la reine des fleurs » depuis l'Antiquité, la rose règne sans partage : elle est la plus offerte au monde. En l'associant à l'amour dès son apparition, en Perse, nous lui avons prêté une passion que nous la chargeons de transmettre, ce qu'elle accomplit avec charme et fugacité, douceur et piquant. Cueillons-la avant qu'il ne soit trop tard, en compagnie d'Alain Baraton, le jardinier de Versailles, dans ce livre qui est la première histoire culturelle de la rose.
Qu'est-ce qui la caractérise ? Comment et quand s'est-elle répandue sur toute la terre ? Quelles sont ses propriétés, quelle est sa symbolique ? La rose rose est-elle la rose originelle ? Qui sont ceux qui lui ont donné son nom (et ceux qui en rêvent) ? De quels grands peintres a-t-elle été la fleur favorite, quels sont les plus beaux poèmes en son honneur, quels musiciens ont composé en s'inspirant d'elle ? Saviez-vous que la rose a causé des guerres, et engendré des usages gastronomiques ? La fleur la plus célèbre du monde est pleine de surprises.
Tout ceci, et bien d'autres découvertes encore, nous attendent dans Le Livre de la rose, où, alliant botanique, histoire et anecdotes, Alain Baraton révèle les secrets de la fleur aux cent pétales.
D'où vient le jihadisme ? Où va-t-il ? Depuis l'effondrement de Daech en Syrie, ces interrogations semblent avoir disparu du débat public. Certes, les affaires qui émaillent tragiquement l'actualité rappellent que le sujet du terrorisme islamiste est loin d'être réglé. Mais en dehors des attentats, il est urgent de comprendre ce qui a permis au jihadisme de devenir, en l'espace d'une génération, un enjeu politique, sociétal et démocratique de premier plan. Hugo Micheron retrace avec précision ce qu'est le jihadisme depuis 1989, au-delà de la simple menace sécuritaire et du seul cas de la France.
Il propose la première histoire du jihadisme européen, un phénomène d'abord ignoré, dont les transformations sont passées inaperçues et dont les implications sont considérables pour les équilibres actuels et futurs des démocraties européennes. C'est un récit à hauteur d'hommes et de femmes, sur plusieurs continents, qui permet de comprendre pourquoi l'Europe a été autant frappée par les attentats, de Stockholm à Madrid en passant par Nice, Paris, Londres et Berlin. Il éclaire la nature du jihadisme en Occident, ses métamorphoses passées et présentes, et nous fait prendre conscience des enjeux de la décennie à venir, car c'est quand on s'y attend le moins que les attentats nous frappent.
« Je sens très fortement un "appel à nager", comme une attraction physique. L'eau s'offre dans un présent intemporel ; elle appartient à la jeunesse, et surtout à l'enfance : quand les gens se précipitent vers l'eau, ils sont comme happés par un bonheur qui les dépasse... »
Chantal Thomas a grandi à Arcachon entre deux éléments fondateurs, l'eau et le sable. École du regard et du silence, cet horizon premier a forgé ses principes d'existence : autonomie, attention à l'instant et à l'impermanence. Synonyme de liberté, d'amour de son corps, la nage contribue à l'émancipation des femmes.
Plage et page se confondent... Chantal Thomas évoque ses voyages, ses lectures, les figures artistiques qui l'ont marquée. De New York à Nice, de Roland Barthes à Patti Smith, elle nous immerge dans une vie nomade où l'écriture prend corps.
Dans ce bref ouvrage, Elena Ferrante se confie sur sa vision de l'écriture et du roman à travers trois « conférences » - qui n'en sont peut-être pas vraiment - et un essai. L'autrice de la saga de L'amie prodigieuse revisite l'écrivaine en devenir qu'elle était sur les bancs de l'école jusqu'à la parution des best-sellers qui ont fait sa renommée actuelle. En se souvenant de ses cahiers d'écolière, elle relève une tension qui marque encore aujourd'hui sa plume : elle s'appliquait à respecter les marges tout en désirant les dépasser. Elena Ferrante apparaît dans Entre les marges comme une romancière qui interroge sa pratique en profondeur. Elle n'hésite pas à s'appuyer sur les citations d'écrivains qui ont compté pour enrichir ses réflexions et évoque, notamment, Goliarda Sapienza comme un véritable séisme dans sa vie de lectrice et d'écrivaine. Cette découverte lui a permis de s'émanciper d'une forme d'écriture « masculine ». À travers ces interrogations, Elena Ferrante s'aventure sur des territoires plus vastes, ne questionnant pas seulement sa propre oeuvre mais nourrissant une réflexion sur l'art et l'écriture créative en général. Ces courts textes, que l'on peut voir comme une continuation de Frantumaglia (2019), éclairent avec finesse et profondeur le chemin d'écriture d'une des autrices les plus énigmatiques de notre époque.
"Par habitude, par nécessité ou en raison de la faiblesse de notre intelligence dépassée par le tsunami des savoirs et des informations, nos façons ordinaires de nourrir la vie des idées consistent à la découper en secteurs, à la compartimenter en disciplines, à l'atomiser en petites spécialités étiquetées bien comme il faut.
Il s'agira ici de suivre le chemin inverse, de briser les enclos, s'encanailler, provoquer des courts-circuits au petit bonheur la chance et, si possible, des étincelles. D'associer des éléments trop souvent séparés dans les analyses : physique et philosophie, pensée et action, réalité et imagination, hasard et destin, infini mathématique et engagement existentiel, intelligence analytique et courage physique, Einstein et Rolling Stones, image et mirage, langage et impesanteur, raison et déraison... Mettons le nez dehors, inventons une chimie nouvelle, bâtissons des molécules littéraires à partir d'atomes disciplinaires !"
« Michel Louise. Née le 29 mai 1830 à Vroncourt. Profession institutrice. Religion idolâtre. Matricule 9. Coupable 1/ de Port d'armes apparentes étant revêtue d'un uniforme, pendant un mouvement insurrectionnel. 2/ d'avoir fait usage de ces armes. »
Ainsi s'ouvre le dossier pénitentiaire de celle qui fut embarquée et encagée vers le bagne de Nouvelle Calédonie en 1872, où elle vivra presque dix ans, avant de revenir en métropole poursuivre son combat. Ce n'est que le premier des dossiers instruits contre elle. Toute sa vie, cette figure puissante de la Commune, féministe et anarchiste qui a dédié sa vie à la révolution, sera placée sous surveillance par la République et sa police, et plusieurs fois arrêtée. C'est en prison, qu'elle rédige ses mémoires.
Dans la lignée de sa série pour France Culture, Judith Perrignon nous offre le destin de cette femme exceptionnelle, en même temps qu'un voyage dans les archives officielles. Des procès, des rapports, des courriers, des rumeurs d'indics, des filatures, pour creuser au-delà d'une biographie, le sillage des révolutions jusqu'à la Commune, cette guerre civile française jamais nommée, si peu enseignée dans les classes, et parvenir à ce moment fondateur de la fin du 19ème siècle, « ce qu'on appelle la République française », ricanait Louise Michel dans une lettre envoyé depuis le bagne à ceux qui l'y avait envoyée. « Au revoir messieurs, à bientôt ! » signait-elle.
Portrait d'une femme, d'une époque agitée par l'idéal et les idées : Judith Perrignon fait entendre avec puissance et émotion les voix d'alors.
"Pas de shabbat, pas de dimanche pour les machines. Et les hommes suivent au rythme infernal du cirque consumériste. Et ça se dit libre."
Jean Rouaud
Alors que le débat sur la place du travail dans nos vies anime à nouveau la société française, il est utile de nous remémorer le jour de paresse que, selon les Écritures, s'octroya le Créateur au septième jour de la Genèse. Cette sagesse n'est certes pas celle des hommes, occupés depuis le Néolithique, et l'invention géniale de l'agriculture, à exploiter sans répit ni mesure ce qui leur a été donné : la Terre, les animaux et eux-mêmes. Exploiter jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à tirer, exploiter jusqu'à l'épuisement de toutes nos vraies richesses, naturelles et humaines. Comme Dieu le fit pour lui-même, et à l'exemple de ce que fut la succession des saisons, octroyons-nous ce temps de repos, laissons vivre le vivant et, avant qu'il ne soit trop tard, accordons des vacances à la terre :"Vacances pour la Terre, Repos la Terre, Shabbat ma Terre".
Par ses investigations sur la mafia et le crime organisé, par ses prises de parole politiques, Roberto Saviano incarne le courage civique. En puisant dans sa propre expérience, il s'adresse aujourd'hui aux générations futures, les incitant à s'exprimer, à s'engager. En dressant les portraits de trente personnalités, de la Grèce antique à nos jours, il dénonce dans un livre incisif les manipulations, la propagande, la censure, le formatage par le marketing, les dérives du monde contemporain, et invite à réfléchir par soi-même, à ne pas tergiverser sur la défense de nos valeurs fondamentales.
La néoplatonicienne Hypatie, Martin Luther King, Giordano Bruno, Émile Zola, Anna Akhmatova, Edward Snowden, Jamal Khashoggi... ces figures choisies comme exemples de courage et de dignité sont, loin de toute héroïsation, présentées avant tout comme des hommes et des femmes ordinaires qui n'ont jamais renoncé à leurs convictions. Autant de cris, d'inspirations audacieuses pour tous ceux qui veulent s'engager pour un monde plus juste.
Palmarès Le Point - Les 30 livres de l'année 2022
« C'est à l'âge de quinze ans que le chant s'est éveillé en moi. Je m'ouvrais à la poésie et entrais, comme par effraction, dans la voie de la création... » Depuis son premier essai sur l'eau et la soif - unique témoin de son adolescence chinoise qu'il a emporté en France et dont il nous livre aujourd'hui la traduction - en passant par ses rencontres avec Gide, Vercors, Lacan, Michaux, Emmanuel, Bonnefoy et tant d'autres, François Cheng nous fait partager la longue route qui l'a conduit à devenir, lui l'exilé qui ne savait dire ni « bonjour » ni « merci » lorsqu'il est arrivé à Paris, un poète français.
Cette route, malgré les affres de la guerre en Chine, l'extrême précarité matérielle des premières décennies en France, et de cruels tourments intérieurs, mais est toujours éclairée par la poésie française qu'il intériorise au fond de sa nuit solitaire. Elle l'est aussi par un amour passionné pour la langue d'un pays dont François Cheng a fini par épouser le « chant » et le destin. La lumière singulière qui émane de ce récit est celle d'une symbiose qui unit la Voie du Tao et la voie orphique et christique, orientant sans cesse le poète vers l'authentique universel.
" Une merveille." Challenges
« Il est tout blanc, d'un blanc spectral, taillé en Hermès. Privé de son socle, pour ainsi dire détrôné, il jouxte des artefacts faits de la même substance dure, compacte, quelque peu élimés par le temps, imprégnés de la même grandeur surannée. La vitrine expose une matière - l'ivoire - à travers ses multiples usages exhumés d'un grenier de grand-mère. Un chausse-pied, des coquetiers, des ronds de serviette, un coupe-papier, un bougeoir, des boules de billard, une brosse à cheveux, et au milieu de ce bric-à-brac de brocanteur, un roi avec sa barbe et ses médailles. Léopold II n'est plus qu'un bibelot parmi d'autres. »King Kasaï est le nom d'un éléphant empaillé qui fut longtemps le symbole du Musée royal de l'Afrique centrale, situé près de Bruxelles. C'est devant le « roi du Kasaï » et près d'un Léopold II à la gloire déboulonnée, dans cette ancienne vitrine du projet colonial belge aujourd'hui rebaptisée Africa Museum, que Christophe Boltanski passe la nuit. En partant sur les traces du chasseur qui participa à la vaste expédition zoologique du Musée et abattit l'éléphant en 1956, l'auteur s'aventure au coeur des plus violentes ténèbres, celles de notre mémoire.
Derrière l'épouvantail woke, le vieux monde allié à l'extrême droite s'attaque à la jeunesse et à son combat renouvelé pour la justice, sexuelle, raciale, sociale, climatique - en fustigeant une génération de fanatiques qui menaceraient la civilisation. Or, la violence et l'intolérance, le cancel et le shaming, sont en face : là où on fait la guerre aux minorités, hurle au racisme anti-blanc et à l'hystérie féministe, ridiculise les transitions de genre et punit les écolos radicaux. Contre ces retours de bâton, quelque chose d'inédit est en train de se lever, qui a ses tics de langage mais aussi ses ruses, ses affects, son ancrage et son intelligence critique, en quête d'une civilité nouvelle et d'un horizon d'émancipation commun.
« Fin mai 2022, j'ai acheté, dans un magasin parisien spécialisé dans les randonnées en montagne, un lit de camp, un sac de couchage et une lampe torche. Le lendemain, j'ai installé mon équipement d'alpiniste sur le sol froid du musée de l'Acropole à Athènes pour y passer une nuit de lune décroissante, entièrement seule.
Comment arriverez-vous à dormir avec tous ces yeux de marbre qui vous fixent ? m'avait-on prévenue. Mais c'est une nuit dans un musée vide que je m'apprêtais à passer devant l'Acropole. À Athènes, il ne reste que des miettes : un pied de déesse, la main de Zeus, la tête d'un cheval. Nous avons tous dérobé quelque chose à la Grèce : ses idées, à partir desquelles nous avons forgé nos racines occidentales. Les marbres du Parthénon, arrachés à la pioche et envoyés en Angleterre par Lord Elgin au début du XIXe siècle. Dans ce vol collectif, je ne suis qu'un imposteur parmi d'autres : je ne suis pas grecque, je ne parle pas le grec moderne, et pourtant j'ai bâti ma vie et mon écriture sur ce vol.
Ce soir, ce privilège sans précédent dans l'histoire du musée m'a pourtant été accordé, à moi, qui n'ai ni Homère ni Platon dans mon sac, mais la biographie de Lord Elgin. »A. M.
Traduit de l'italien par Béatrice Robert-Boissier
Pourquoi Colette ? Un grand écrivain, c'est aussi un écrivain qui crée des mythes, qui renouvelle notre mythologie. « Créer un poncif, c'est le génie », disait Baudelaire. Colette a créé quatre mythes : Claudine; Sido, Gigi, et Colette, elle-même, grand écrivain national, monstre sacré. Admirée par Simone de Beauvoir, pionnière de la transgression et de la provocation, elle fait souffler dans ses romans ce vent de liberté qui nous manque tant aujourd'hui. Antoine Compagnon décline toutes les facettes de Colette, des plus connues ou plus secrètes. De Claudine, sa première héroïne, dont son mari, Willy, s'appropria la paternité, signant de son propre nom les textes de son épouse et récoltant le succès et l'argent à sa place. Sido, inspirée par sa propre mère, sans doute sa plus belle invention romanesque. En passant par Gigi, son double littéraire charmante, légère, heureuse en amour et en mariage - à l'opposé de sa créatrice qui fuira « l'homme, souvent méchant » et trouvera refuge auprès des femmes. De sa Bourgogne natale à la présidence de l'académie Goncourt - elle qui n'avait aucun diplôme -, Colette ne fut jamais là où on l'attendait et emmena la littérature là où personne d'autre n'avait osé aller. Plus accessible que Proust, plus moderne que Gide, Claudel ou Valéry, Colette réussit la prouesse d'être à la fois lue dans les écoles et d'avoir conçu une oeuvre toujours aussi sulfureuse. Lire Colette aujourd'hui, c'est embrasser le XXe siècle dans toute son extravagance, grâce à un style qui n'a pas pris une ride.
«Nous, linguistes de France, de Belgique, de Suisse, du Canada, sommes proprement atterrées par l'ampleur de la diffusion d'idées fausses sur la langue française.»
Les Linguistes atterrées
Les discours sur les "fautes" saturent quasiment l'espace éditorial et médiatique contemporain. Mais la différence entre une faute et une évolution, c'est la place qu'elle occupera à long terme dans l'usage. Et l'usage, ça s'étudie avec minutie. C'est le travail des linguistes. Face aux rengaines déclinistes, il devient indispensable de rétablir la rigueur des faits.
Non, l'orthographe n'est pas immuable en français. Non, les jeunes, les provinciaux ou les Belges ne "déforment" pas la langue. Oui, le participe passé tend à devenir invariable. Non, le français n'appartient pas à la France. Oui, tout le monde a un accent, voire plusieurs.
Dix idées reçues sur la langue, et surtout trente propositions pour en sortir.
"La différence des sexes existe. On peut la nier, elle ressurgira, sous une forme brutale, abâtardie, caricaturale."
Eugénie Bastié
La différence biologique des sexes est une donnée irréfutable de l'expérience humaine. Elle est pourtant aujourd'hui au coeur d'un vif débat. Pour certains en effet, prioritairement à toutes les distinctions physiologiques et à ce qu'elles engagent au plan des pratiques et des sensibilités, il y a la norme subie, la construction sociale et politique d'une identité. Et, de la même façon que nous aurions été faits femmes et hommes sous contrainte, il serait aujourd'hui loisible à chacun de se défaire de cette assignation par le seul levier de la volonté. Le corps deviendrait dès lors l'horizon d'un projet personnel, rabattant le réel biologique au rang des biens accessoires, sans incidence existentielle sur l'identité de l'individu et le devenir de la communauté humaine. Cette arrogante illusion des temps présents, qui porte le nom de déconstruction, est une menace dont il faut se prémunir. Vecteur de mal-être et de désunion, elle est un poison lent qui mine les relations entre les hommes et les femmes, en ignorant tout autant les leçons subtiles de la tradition que les acquis de la révolution des moeurs en Occident.